Author: | Claire de Duras | ISBN: | 1230000877688 |
Publisher: | CP | Publication: | January 6, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Claire de Duras |
ISBN: | 1230000877688 |
Publisher: | CP |
Publication: | January 6, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
J’allais rejoindre à Baltimore mon régiment, qui faisait partie des troupes françaises employées dans la guerre d’Amérique ; et, pour éviter les lenteurs d’un convoi, je m’étais embarqué à Lorient sur un bâtiment marchand armé en guerre. Ce bâtiment portait avec moi trois passagers : l’un d’eux m’intéressa dès le premier moment que je l’aperçus ; c’était un grand jeune homme, d’une belle figure, dont les manières étaient simples et la physionomie spirituelle ; sa pâleur, et la tristesse dont toutes ses paroles et toutes ses actions étaient comme empreintes, éveillaient à la fois l’intérêt et la curiosité. Il était loin de les satisfaire ; il était habituellement silencieux, mais sans dédain.
On aurait dit, au contraire, qu’en lui la bienveillance avait survécu à d’autres qualités éteintes par le chagrin. Habituellement distrait, il n’attendait ni retour ni profit pour lui-même de rien de ce qu’il faisait. Cette facilité à vivre, qui vient du malheur, a quelque chose de touchant ; elle inspire plus de pitié que les plaintes les plus éloquentes. Je cherchais à me rapprocher de ce jeune homme ; mais, malgré l’espèce d’intimité forcée qu’amène la vie d’un vaisseau, je n’avançais pas. Lorsque j’allais m’asseoir auprès de lui, et que je lui adressais la parole, il répondait à mes questions ; et si elles ne touchaient à aucun des sentiments intimes du cœur, mais aux rapports vagues de la société, il ajoutait quelquefois une réflexion, mais dès que je voulais entrer dans le sujet des passions, ou des souffrances de l’âme, ce qui m’arrivait souvent, dans l’intention d’amener quelque confiance de sa part, il se levait, il s’éloignait, ou sa physionomie devenait si sombre que je ne me sentais pas le courage de continuer
J’allais rejoindre à Baltimore mon régiment, qui faisait partie des troupes françaises employées dans la guerre d’Amérique ; et, pour éviter les lenteurs d’un convoi, je m’étais embarqué à Lorient sur un bâtiment marchand armé en guerre. Ce bâtiment portait avec moi trois passagers : l’un d’eux m’intéressa dès le premier moment que je l’aperçus ; c’était un grand jeune homme, d’une belle figure, dont les manières étaient simples et la physionomie spirituelle ; sa pâleur, et la tristesse dont toutes ses paroles et toutes ses actions étaient comme empreintes, éveillaient à la fois l’intérêt et la curiosité. Il était loin de les satisfaire ; il était habituellement silencieux, mais sans dédain.
On aurait dit, au contraire, qu’en lui la bienveillance avait survécu à d’autres qualités éteintes par le chagrin. Habituellement distrait, il n’attendait ni retour ni profit pour lui-même de rien de ce qu’il faisait. Cette facilité à vivre, qui vient du malheur, a quelque chose de touchant ; elle inspire plus de pitié que les plaintes les plus éloquentes. Je cherchais à me rapprocher de ce jeune homme ; mais, malgré l’espèce d’intimité forcée qu’amène la vie d’un vaisseau, je n’avançais pas. Lorsque j’allais m’asseoir auprès de lui, et que je lui adressais la parole, il répondait à mes questions ; et si elles ne touchaient à aucun des sentiments intimes du cœur, mais aux rapports vagues de la société, il ajoutait quelquefois une réflexion, mais dès que je voulais entrer dans le sujet des passions, ou des souffrances de l’âme, ce qui m’arrivait souvent, dans l’intention d’amener quelque confiance de sa part, il se levait, il s’éloignait, ou sa physionomie devenait si sombre que je ne me sentais pas le courage de continuer