Author: | Jean-François de la Harpe | ISBN: | 1230003015759 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 4, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Jean-François de la Harpe |
ISBN: | 1230003015759 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 4, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Tome I et II
Avant d’entrer dans aucun détail sur le continent d’Afrique, nous jetterons un regard sur les îles du cap Vert, que l’on rencontre entre le tropique et la ligne, dans la route des Indes par la grande mer. Le capitaine anglais Roberts sera notre guide. Nous nous arrêterons d’abord sur ses aventures, parce qu’elles peignent les mœurs de la piraterie, mœurs assez extraordinaires pour mériter d’être connues. Ensuite nous passerons à la description de ces îles, en suivant toujours le récit de ce même Roberts, qui, dans le séjour qu’il y fit, eut le temps de les observer en voyageur et en commerçant.
Roberts partit pour la Virginie, en 1721, sur le vaisseau du capitaine Scot. Arrivé à la Virginie, il devait prendre le commandement d’un navire nommé le Dauphin, appartenant à des marchands de Londres, et chargé d’une cargaison pour la côte de Guinée. On ne trouve d’abord rien de remarquable dans son trajet, que la rencontre d’une baleine morte que dévorait un nombre prodigieux d’oiseaux, quoique la terre la plus proche fut à plus de trois cents lieues. Scot mouilla aux îles du cap Vert, qu’il parcourut l’une après l’autre, et dans lesquelles il séjourna près d’un an. Ensuite, comme il devait mettre à la voile pour la Barbarie, Roberts acheta une felouque nommée la Marguerite, d’environ soixante tonneaux, pour commercer en son propre nom. Il la chargea de marchandises qu’à son retour il croyait vendre avec avantage aux îles du cap Vert. C’est dans le voisinage de ces îles que l’attendait son malheur.
Vers le soir, il découvrit trois bâtimens ; et le premier, qu’il observa soigneusement avec sa lunette, lui parut gros et chargé. Il ne douta point que les autres ne fussent de même, et qu’ils n’arrivassent ensemble. Cependant comme le calme continuait, et qu’ils ne faisaient aucun signe, il passa la nuit à l’ancre ; mais le vent s’étant levé avec le soleil, il aperçut bientôt sur le vaisseau qu’il avait observé un grand nombre d’hommes en chemise, et une longue bordée de canons qui lui rendirent cette rencontre fort suspecte. Il était trop tard pour se dérober par la fuite. Déjà le vaisseau était fort proche. Cependant, lorsqu’il fut à la portée du canon, ce vaisseau arbora le pavillon d’Angleterre, ce qui rendit l’espérance aux Anglais. Roberts se hâta de faire paraître aussi le sien. Il remarqua que le vaisseau portait environ soixante-dix hommes et quatorze pièces d’artillerie. Le capitaine, se faisant voir sur l’avant, demanda à qui appartenait la felouque, et d’où elle venait. Roberts répondit qu’elle était de Londres, et qu’elle venait de la Barbarie. Fort bien ! lui dit-on, c’est ce qu’on n’ignorait pas. Là-dessus on lui ordonna brusquement d’envoyer sa chaloupe.
Roberts ne fit pas difficulté d’obéir. Le capitaine du vaisseau était un Portugais, nommé Jean Lopez, comme on l’apprit ensuite ; mais qui, sachant fort bien la langue anglaise, avait jugé à propos de se faire passer pour un Anglais né vers le nord de l’Angleterre, sous le nom de John Russel. Il demanda aux deux matelots que Roberts lui avait envoyés où était le patron de la felouque. Ils lui montrèrent Roberts, qui était à se promener sur son tillac. Aussitôt la fureur paraissant dans ses yeux, il l’accabla d’injures. Roberts était en mules et en chemise, aussi peu capable de défense par sa situation que par la petitesse et le mauvais état de son bâtiment. Il comprit dans quelles mains il était tombé, et qu’en déclarant son mépris par le silence, il s’exposait à se faire tuer d’un coup de balle. Sa réponse fut une marque honnête d’étonnement sur la manière dont il se voyait traité. On continua les outrages, et l’on y joignit les plus furieuses menaces, avec des reproches de ce qu’il n’était pas venu lui-même à bord. Il répondit que, n’ayant entendu demander que la chaloupe, il n’avait pas cru que cet ordre le regardât personnellement. « Quoi ! misérable chien, reprit Russel, tu feins de ne m’avoir pas entendu ! Je vais te faire prendre de meilleures manières. »
Russel donna ordre aussitôt à quelques-uns de ses gens de lui amener Roberts, et chargea dix ou douze autres de ces brigands de prendre possession de la felouque. À l’arrivée de Roberts, qui fut amené sur-le-champ, il tira son sabre, en répétant avec d’affreux blasphèmes qu’il saurait lui apprendre à vivre. Le malheureux Roberts se crut à sa dernière heure, et continua de s’excuser sur son ignorance ; mais l’autre tenait toujours son sabre levé et continuait ses menaces. Un de ses gens affecta de lui retenir le bras, et promit à Roberts qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux. Alors Russel voulut savoir pourquoi il était si mal vêtu. L’excuse de Roberts fut qu’il ne s’attendait pas à paraître devant un homme si redoutable. Et pour qui me prenez-vous ? reprit Russel. Ici Roberts, fort embarrassé, chercha long-temps sa réponse. Enfin, dans la crainte d’offenser également par la vérité ou par la flatterie : « Je crois, répondit-il, que vous êtes un homme de distinction, qui fait de grandes entreprises sur mer. Tu ment, répliqua Russel ; ou si tu crois dire vrai, apprends que nous sommes pirates. »
Tome I et II
Avant d’entrer dans aucun détail sur le continent d’Afrique, nous jetterons un regard sur les îles du cap Vert, que l’on rencontre entre le tropique et la ligne, dans la route des Indes par la grande mer. Le capitaine anglais Roberts sera notre guide. Nous nous arrêterons d’abord sur ses aventures, parce qu’elles peignent les mœurs de la piraterie, mœurs assez extraordinaires pour mériter d’être connues. Ensuite nous passerons à la description de ces îles, en suivant toujours le récit de ce même Roberts, qui, dans le séjour qu’il y fit, eut le temps de les observer en voyageur et en commerçant.
Roberts partit pour la Virginie, en 1721, sur le vaisseau du capitaine Scot. Arrivé à la Virginie, il devait prendre le commandement d’un navire nommé le Dauphin, appartenant à des marchands de Londres, et chargé d’une cargaison pour la côte de Guinée. On ne trouve d’abord rien de remarquable dans son trajet, que la rencontre d’une baleine morte que dévorait un nombre prodigieux d’oiseaux, quoique la terre la plus proche fut à plus de trois cents lieues. Scot mouilla aux îles du cap Vert, qu’il parcourut l’une après l’autre, et dans lesquelles il séjourna près d’un an. Ensuite, comme il devait mettre à la voile pour la Barbarie, Roberts acheta une felouque nommée la Marguerite, d’environ soixante tonneaux, pour commercer en son propre nom. Il la chargea de marchandises qu’à son retour il croyait vendre avec avantage aux îles du cap Vert. C’est dans le voisinage de ces îles que l’attendait son malheur.
Vers le soir, il découvrit trois bâtimens ; et le premier, qu’il observa soigneusement avec sa lunette, lui parut gros et chargé. Il ne douta point que les autres ne fussent de même, et qu’ils n’arrivassent ensemble. Cependant comme le calme continuait, et qu’ils ne faisaient aucun signe, il passa la nuit à l’ancre ; mais le vent s’étant levé avec le soleil, il aperçut bientôt sur le vaisseau qu’il avait observé un grand nombre d’hommes en chemise, et une longue bordée de canons qui lui rendirent cette rencontre fort suspecte. Il était trop tard pour se dérober par la fuite. Déjà le vaisseau était fort proche. Cependant, lorsqu’il fut à la portée du canon, ce vaisseau arbora le pavillon d’Angleterre, ce qui rendit l’espérance aux Anglais. Roberts se hâta de faire paraître aussi le sien. Il remarqua que le vaisseau portait environ soixante-dix hommes et quatorze pièces d’artillerie. Le capitaine, se faisant voir sur l’avant, demanda à qui appartenait la felouque, et d’où elle venait. Roberts répondit qu’elle était de Londres, et qu’elle venait de la Barbarie. Fort bien ! lui dit-on, c’est ce qu’on n’ignorait pas. Là-dessus on lui ordonna brusquement d’envoyer sa chaloupe.
Roberts ne fit pas difficulté d’obéir. Le capitaine du vaisseau était un Portugais, nommé Jean Lopez, comme on l’apprit ensuite ; mais qui, sachant fort bien la langue anglaise, avait jugé à propos de se faire passer pour un Anglais né vers le nord de l’Angleterre, sous le nom de John Russel. Il demanda aux deux matelots que Roberts lui avait envoyés où était le patron de la felouque. Ils lui montrèrent Roberts, qui était à se promener sur son tillac. Aussitôt la fureur paraissant dans ses yeux, il l’accabla d’injures. Roberts était en mules et en chemise, aussi peu capable de défense par sa situation que par la petitesse et le mauvais état de son bâtiment. Il comprit dans quelles mains il était tombé, et qu’en déclarant son mépris par le silence, il s’exposait à se faire tuer d’un coup de balle. Sa réponse fut une marque honnête d’étonnement sur la manière dont il se voyait traité. On continua les outrages, et l’on y joignit les plus furieuses menaces, avec des reproches de ce qu’il n’était pas venu lui-même à bord. Il répondit que, n’ayant entendu demander que la chaloupe, il n’avait pas cru que cet ordre le regardât personnellement. « Quoi ! misérable chien, reprit Russel, tu feins de ne m’avoir pas entendu ! Je vais te faire prendre de meilleures manières. »
Russel donna ordre aussitôt à quelques-uns de ses gens de lui amener Roberts, et chargea dix ou douze autres de ces brigands de prendre possession de la felouque. À l’arrivée de Roberts, qui fut amené sur-le-champ, il tira son sabre, en répétant avec d’affreux blasphèmes qu’il saurait lui apprendre à vivre. Le malheureux Roberts se crut à sa dernière heure, et continua de s’excuser sur son ignorance ; mais l’autre tenait toujours son sabre levé et continuait ses menaces. Un de ses gens affecta de lui retenir le bras, et promit à Roberts qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux. Alors Russel voulut savoir pourquoi il était si mal vêtu. L’excuse de Roberts fut qu’il ne s’attendait pas à paraître devant un homme si redoutable. Et pour qui me prenez-vous ? reprit Russel. Ici Roberts, fort embarrassé, chercha long-temps sa réponse. Enfin, dans la crainte d’offenser également par la vérité ou par la flatterie : « Je crois, répondit-il, que vous êtes un homme de distinction, qui fait de grandes entreprises sur mer. Tu ment, répliqua Russel ; ou si tu crois dire vrai, apprends que nous sommes pirates. »