Abrégé de l’histoire générale des voyages Tome V et VI

Nonfiction, History
Cover of the book Abrégé de l’histoire générale des voyages Tome V et VI by Jean-François de la Harpe, GILBERT TEROL
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Author: Jean-François de la Harpe ISBN: 1230003015780
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 4, 2019
Imprint: Language: French
Author: Jean-François de la Harpe
ISBN: 1230003015780
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 4, 2019
Imprint:
Language: French

Tome V et VI

Nous croyons devoir placer ici cette relation très-attachante par la singularité des événemens et l’intérêt des situations. Elle pourra reposer l’attention de nos lecteurs, que nous venons d’occuper de détails qui ne sont pas toujours amusans, s’ils sont toujours instructifs. Si, après avoir trouvé dans les derniers articles de quoi exercer leur raison et leur curiosité, ils désirent des objets faits pour intéresser leur sensibilité et leur imagination, ils pourront se satisfaire en lisant les aventures de Pinto et celles de Bontékoë, qui les suivront. Les premières ont quelquefois un air fabuleux, et il est permis sans doute de s’en défier, sans que cette espèce d’incrédulité nuise au plaisir qu’on y peut prendre. Mais il faut observer aussi que tout ce qui paraît incroyable n’est pas toujours impossible : si dans certaines matières on a commencé à croire moins, à mesure qu’on s’est éclairé davantage, on peut dire aussi que, sur d’autres points, on est devenu moins incrédule à mesure qu’on est devenu plus savant. C’est surtout aux récits des voyageurs, à l’histoire des mœurs et à la description des objets lointains, que cette assertion peut être appliquée ; et d’ailleurs elle est prouvée par une infinité d’exemples.

Comme dans le détail des événemens personne ne s’exprime avec plus d’intérêt que celui qui était acteur ou témoin, nous laisserons le plus souvent parler Pinto lui-même, et nous ne prendrons sa place que lorsqu’il faudra abréger son récit.

« J’avais éprouvé pendant dix ou douze ans, dit-il, la misère et la pauvreté dans la maison de mon père, lorsqu’un de mes oncles, formant quelque espérance de mes qualités naturelles, me conduisit à Lisbonne, où il me mit au service d’une très-illustre maison. Ce fut la même année que se fit la pompe funèbre de don Emmanuel, le 13 décembre 1521, et je ne trouve rien de plus ancien dans ma mémoire. Cependant le succès répondit si mal aux intentions de mon oncle, qu’après un an et demi de service, je me trouvai engagé dans une malheureuse aventure qui exposa ma vie au dernier danger. Je pris la fuite avec une si vive épouvante, qu’étant arrivé, sans aucun autre dessein que d’éviter la mort, au gué de Pedra, petit port où je trouvai une caravelle qui partait chargée de chevaux pour Setuval, je m’y embarquai le lendemain. Mais à peine fûmes-nous éloignés du rivage, qu’un corsaire français nous ayant abordés, se rendit maître de notre bâtiment sans la moindre résistance, nous fit passer dans le sien avec toutes nos marchandises, qui montaient à plus de six mille ducats, et coula notre caravelle à fond. Nous reconnûmes bientôt que nous étions destinés à la servitude, et que l’intention de nos maîtres étaient de nous aller vendra à Larache en Barbarie. Ils y portaient des armes, dont ils faisaient commerce avec les mahométans. Pendant treize jours entiers qu’ils conservèrent ce dessein, ils nous traitèrent avec beaucoup de rigueur. Mais le soir du treizième jour, ils découvrirent un navire auquel ils donnèrent la chasse pendant toute la nuit, et qu’ils joignirent à la pointe du jour. L’ayant attaqué avec beaucoup de courage, ils le forcèrent de se rendre, après avoir tué six Portugais et dix ou douze esclaves. Ce bâtiment, que plusieurs marchands de Lisbonne avaient chargé de sucre et d’esclaves, fit passer entre les mains des corsaires un butin de quarante mille ducats. Ils abandonnèrent le dessein d’aller à Larache ; et ne pensant qu’à faire voile vers la France avec une partie de leurs prisonniers, qu’ils jugèrent propres à les servir dans leur navigation, ils laissèrent les autres pendant la nuit dans une rade nommée Mélides. J’étais de ce dernier nombre, nu comme tous mes compagnons et couvert de plaies, qui nous restaient des coups de fouet que nous avions reçus les jours précédents. Dans ce triste état, nous arrivâmes à Saint-Jacques de Caçon, où nos misères furent soulagées par les habitans. Après y avoir rétabli mes forces, je pris le chemin de Setuval. Ma bonne fortune m’y fit trouver, presqu’en arrivant, l’occasion de m’employer pendant plusieurs années. Mais l’essai que j’avais fait de la mer ne m’avait pas dégoûté de cet élément. Je considérai qu’en Portugal mes plus hautes espérances se réduisaient à me mettre à couvert de la pauvreté. J’entendais parler sans cesse des trésors qui venaient des Indes, et je voyais souvent arriver des vaisseaux chargés d’or ou de précieuses marchandises. Le désir de mener une vie aisée, plutôt que le courage ou l’ambition, me fit tourner les yeux vers la source de tant de richesses, et je pris la résolution de m’embarquer sur ce seul principe, qu’à quelque fortune que je fusse réservé, je ne devais pas craindre de perdre beaucoup au changement.

» Ce fut le onzième jour de mars de l’année 1537 que je partis avec une flotte de cinq navires, dont chaque vaisseau était commandé par un capitaine indépendant. Le plus considérable était sous les ordres de don Pedro de Sylva, fils du fameux amiral don Vasco de Gama. C’était dans ce même navire que don Pedro avait apporté les os de son père, qui était mort aux Indes ; et le roi, qui se trouvait alors à Lisbonne, les avait fait recevoir avec une pompe dont le Portugal n’avait jamais vu d’exemple.

» En arrivant au port de Mozambique, nous y trouvâmes un ordre de Nugno d’Acugna, vice-roi des Indes, par lequel tous les vaisseaux portugais qui devaient arriver cette année étaient obligés de se rendre à Diu, où la forteresse était menacée de l’attaque des Turcs. Trois des cinq navires de la flotte prirent aussitôt cette route.

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Tome V et VI

Nous croyons devoir placer ici cette relation très-attachante par la singularité des événemens et l’intérêt des situations. Elle pourra reposer l’attention de nos lecteurs, que nous venons d’occuper de détails qui ne sont pas toujours amusans, s’ils sont toujours instructifs. Si, après avoir trouvé dans les derniers articles de quoi exercer leur raison et leur curiosité, ils désirent des objets faits pour intéresser leur sensibilité et leur imagination, ils pourront se satisfaire en lisant les aventures de Pinto et celles de Bontékoë, qui les suivront. Les premières ont quelquefois un air fabuleux, et il est permis sans doute de s’en défier, sans que cette espèce d’incrédulité nuise au plaisir qu’on y peut prendre. Mais il faut observer aussi que tout ce qui paraît incroyable n’est pas toujours impossible : si dans certaines matières on a commencé à croire moins, à mesure qu’on s’est éclairé davantage, on peut dire aussi que, sur d’autres points, on est devenu moins incrédule à mesure qu’on est devenu plus savant. C’est surtout aux récits des voyageurs, à l’histoire des mœurs et à la description des objets lointains, que cette assertion peut être appliquée ; et d’ailleurs elle est prouvée par une infinité d’exemples.

Comme dans le détail des événemens personne ne s’exprime avec plus d’intérêt que celui qui était acteur ou témoin, nous laisserons le plus souvent parler Pinto lui-même, et nous ne prendrons sa place que lorsqu’il faudra abréger son récit.

« J’avais éprouvé pendant dix ou douze ans, dit-il, la misère et la pauvreté dans la maison de mon père, lorsqu’un de mes oncles, formant quelque espérance de mes qualités naturelles, me conduisit à Lisbonne, où il me mit au service d’une très-illustre maison. Ce fut la même année que se fit la pompe funèbre de don Emmanuel, le 13 décembre 1521, et je ne trouve rien de plus ancien dans ma mémoire. Cependant le succès répondit si mal aux intentions de mon oncle, qu’après un an et demi de service, je me trouvai engagé dans une malheureuse aventure qui exposa ma vie au dernier danger. Je pris la fuite avec une si vive épouvante, qu’étant arrivé, sans aucun autre dessein que d’éviter la mort, au gué de Pedra, petit port où je trouvai une caravelle qui partait chargée de chevaux pour Setuval, je m’y embarquai le lendemain. Mais à peine fûmes-nous éloignés du rivage, qu’un corsaire français nous ayant abordés, se rendit maître de notre bâtiment sans la moindre résistance, nous fit passer dans le sien avec toutes nos marchandises, qui montaient à plus de six mille ducats, et coula notre caravelle à fond. Nous reconnûmes bientôt que nous étions destinés à la servitude, et que l’intention de nos maîtres étaient de nous aller vendra à Larache en Barbarie. Ils y portaient des armes, dont ils faisaient commerce avec les mahométans. Pendant treize jours entiers qu’ils conservèrent ce dessein, ils nous traitèrent avec beaucoup de rigueur. Mais le soir du treizième jour, ils découvrirent un navire auquel ils donnèrent la chasse pendant toute la nuit, et qu’ils joignirent à la pointe du jour. L’ayant attaqué avec beaucoup de courage, ils le forcèrent de se rendre, après avoir tué six Portugais et dix ou douze esclaves. Ce bâtiment, que plusieurs marchands de Lisbonne avaient chargé de sucre et d’esclaves, fit passer entre les mains des corsaires un butin de quarante mille ducats. Ils abandonnèrent le dessein d’aller à Larache ; et ne pensant qu’à faire voile vers la France avec une partie de leurs prisonniers, qu’ils jugèrent propres à les servir dans leur navigation, ils laissèrent les autres pendant la nuit dans une rade nommée Mélides. J’étais de ce dernier nombre, nu comme tous mes compagnons et couvert de plaies, qui nous restaient des coups de fouet que nous avions reçus les jours précédents. Dans ce triste état, nous arrivâmes à Saint-Jacques de Caçon, où nos misères furent soulagées par les habitans. Après y avoir rétabli mes forces, je pris le chemin de Setuval. Ma bonne fortune m’y fit trouver, presqu’en arrivant, l’occasion de m’employer pendant plusieurs années. Mais l’essai que j’avais fait de la mer ne m’avait pas dégoûté de cet élément. Je considérai qu’en Portugal mes plus hautes espérances se réduisaient à me mettre à couvert de la pauvreté. J’entendais parler sans cesse des trésors qui venaient des Indes, et je voyais souvent arriver des vaisseaux chargés d’or ou de précieuses marchandises. Le désir de mener une vie aisée, plutôt que le courage ou l’ambition, me fit tourner les yeux vers la source de tant de richesses, et je pris la résolution de m’embarquer sur ce seul principe, qu’à quelque fortune que je fusse réservé, je ne devais pas craindre de perdre beaucoup au changement.

» Ce fut le onzième jour de mars de l’année 1537 que je partis avec une flotte de cinq navires, dont chaque vaisseau était commandé par un capitaine indépendant. Le plus considérable était sous les ordres de don Pedro de Sylva, fils du fameux amiral don Vasco de Gama. C’était dans ce même navire que don Pedro avait apporté les os de son père, qui était mort aux Indes ; et le roi, qui se trouvait alors à Lisbonne, les avait fait recevoir avec une pompe dont le Portugal n’avait jamais vu d’exemple.

» En arrivant au port de Mozambique, nous y trouvâmes un ordre de Nugno d’Acugna, vice-roi des Indes, par lequel tous les vaisseaux portugais qui devaient arriver cette année étaient obligés de se rendre à Diu, où la forteresse était menacée de l’attaque des Turcs. Trois des cinq navires de la flotte prirent aussitôt cette route.

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