Zéphire, fils d'Éole et de l'Aurore—qui prêta son nom à l'une des plus mignonnes et singulières maîtresses de Monsieur Nicolas—Zéphire est la seule divinité qu'il nous convienne d'invoquer au début de cette étude d'essayiste. C'est, à vrai dire, avec une légèreté de papillon butinant et folâtrant au milieu des innombrables documents amassés par d'érudits et curieux chercheurs que nous allons effleurer les reliefs extravagants et si multiples de cette physionomie changeante du plus fécond conteur à la mode au dernier siècle. Selon le rite antique, nous sacrifions donc très volontiers au petit dieu, époux de Chloris, une des blanches brebis du poétique troupeau de Mme Deshoulières; puisse cette offrande si peu onéreuse nous rendre propice le favonius des Latins; puisse ce même Zéphire soutenir notre plume comme une houlette enrubannée, au cours de cette analyse; puisse-t-il enfin voiler de ses ailes et couvrir des tendres roses dont il fut si prodigue les mille et un détails cyniques que la vérité historique va placer sur notre route. Restif de la Bretonne—dont nous venons de nous approprier, en quelque manière, le style imagé dans ce préambule—est aujourd'hui recherché, prôné, sinon très lu dans certains milieux d'enthousiastes. «On l'a placé dans une chapelle comme une puissante statue de Bouddha, dit un savant psychologue dans une étude sur notre illuminé; on l'a redoré à nouveau après un séjour d'un demi-siècle dans quelque fosse humide, et maintenant ce n'est plus qu'hymnes et oraisons parmi les flots d'encens. Le bon goût en gémit; mais sait-on encore ce que sont le goût et les traditions françaises en fait de littérature? Ceux qui le savent, poursuit le même pessimiste, ne comptent plus guère dans une société affairée et distraite, avide d'émotions violentes et de spectacles nouveaux. Ce qu'on appelait jadis le culte des belles-lettres est une religion disparue. Ce n'est qu'à cet affaissement des mœurs et des habitudes littéraires qu'un écrivain comme Restif doit un regain de célébrité; ajoutons que ses œuvres sont fort rares et nous aurons le mot de l'énigme. «Les bibliophiles, en effet, passent aujourd'hui pour des lettrés; ils donnent le ton aux personnes du monde qui se piquent de littérature, l'engouement de quelques riches amateurs suffit pour faire une réputation. On ne lit pas, mais on montre dans sa bibliothèque tel volume de Restif ainsi que de vieux laques de Chine ou du Japon... A en juger par le nombre des curieux, l'ère de la curiosité sera longue; mais quelle erreur de confondre le lettré et le collectionneur et de prendre pour arbitre du goût, du talent et de l'esprit des amateurs de belles reliures!»
Zéphire, fils d'Éole et de l'Aurore—qui prêta son nom à l'une des plus mignonnes et singulières maîtresses de Monsieur Nicolas—Zéphire est la seule divinité qu'il nous convienne d'invoquer au début de cette étude d'essayiste. C'est, à vrai dire, avec une légèreté de papillon butinant et folâtrant au milieu des innombrables documents amassés par d'érudits et curieux chercheurs que nous allons effleurer les reliefs extravagants et si multiples de cette physionomie changeante du plus fécond conteur à la mode au dernier siècle. Selon le rite antique, nous sacrifions donc très volontiers au petit dieu, époux de Chloris, une des blanches brebis du poétique troupeau de Mme Deshoulières; puisse cette offrande si peu onéreuse nous rendre propice le favonius des Latins; puisse ce même Zéphire soutenir notre plume comme une houlette enrubannée, au cours de cette analyse; puisse-t-il enfin voiler de ses ailes et couvrir des tendres roses dont il fut si prodigue les mille et un détails cyniques que la vérité historique va placer sur notre route. Restif de la Bretonne—dont nous venons de nous approprier, en quelque manière, le style imagé dans ce préambule—est aujourd'hui recherché, prôné, sinon très lu dans certains milieux d'enthousiastes. «On l'a placé dans une chapelle comme une puissante statue de Bouddha, dit un savant psychologue dans une étude sur notre illuminé; on l'a redoré à nouveau après un séjour d'un demi-siècle dans quelque fosse humide, et maintenant ce n'est plus qu'hymnes et oraisons parmi les flots d'encens. Le bon goût en gémit; mais sait-on encore ce que sont le goût et les traditions françaises en fait de littérature? Ceux qui le savent, poursuit le même pessimiste, ne comptent plus guère dans une société affairée et distraite, avide d'émotions violentes et de spectacles nouveaux. Ce qu'on appelait jadis le culte des belles-lettres est une religion disparue. Ce n'est qu'à cet affaissement des mœurs et des habitudes littéraires qu'un écrivain comme Restif doit un regain de célébrité; ajoutons que ses œuvres sont fort rares et nous aurons le mot de l'énigme. «Les bibliophiles, en effet, passent aujourd'hui pour des lettrés; ils donnent le ton aux personnes du monde qui se piquent de littérature, l'engouement de quelques riches amateurs suffit pour faire une réputation. On ne lit pas, mais on montre dans sa bibliothèque tel volume de Restif ainsi que de vieux laques de Chine ou du Japon... A en juger par le nombre des curieux, l'ère de la curiosité sera longue; mais quelle erreur de confondre le lettré et le collectionneur et de prendre pour arbitre du goût, du talent et de l'esprit des amateurs de belles reliures!»