Author: | JEAN JAURÈS | ISBN: | 1230001726268 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | June 20, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JEAN JAURÈS |
ISBN: | 1230001726268 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | June 20, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
Présentation de l’éditeur :
Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.
Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait :
C’est du point de vue socialiste que nous voulons raconter au peuple, aux ouvriers, aux paysans, les événements qui se développent de 1789 à la fin du XIXe siècle. Nous considérons la Révolution française comme un fait immense et d’une admirable fécondité ; mais elle n’est pas, à nos yeux, un fait définitif dont l’histoire n’aurait ensuite qu’à dérouler sans fin les conséquences. La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise.
Peu à peu le mouvement économique et politique, la grande industrie, la croissance de la classe ouvrière qui grandit en nombre et en ambition, le malaise des paysans écrasés par la concurrence et investis par la féodalité industrielle et marchande, le trouble moral de la bourgeoisie intellectuelle qu’une société mercantile et brutale offense en toutes ses délicatesses, tout prépare une nouvelle crise sociale, une nouvelle et plus profonde Révolution où les prolétaires saisiront le pouvoir pour transformer la propriété et la moralité. C’est donc la marche et le jeu des classes sociales depuis 1789 que nous voudrions retracer à grands traits. Il est toujours un peu arbitraire de marquer des limites, des divisions tranchantes dans le progrès ininterrompu et nuancé de la vie. Pourtant, on peut, avec une suffisante exactitude, distinguer trois périodes dans l’histoire de la classe bourgeoise et de la classe prolétarienne depuis un siècle.
D’abord de 1789 à 1848, la bourgeoisie révolutionnaire triomphe et s’installe. Elle utilise contre l’absolutisme royal et contre les nobles la force des prolétaires, mais ceux-ci, malgré leur prodigieuse activité, malgré le rôle décisif qu’ils jouent en certaines journées, ne sont qu’une puissance subordonnée, une sorte d’appoint historique. Ils inspirent parfois aux possédants bourgeois une véritable terreur : mais au fond ils travaillent pour eux ; ils n’ont pas une conception de la société radicalement différente : le communisme de Babeuf et de ses rares disciples ne fut qu’une convulsion sublime, le spasme suprême de la crise révolutionnaire avant l’apaisement du Consulat et du Premier Empire. Même en 1793 et 1794 les prolétaires étaient confondus dans le Tiers État : ils n’avaient ni une claire conscience de classe ni le désir ou la notion d’une autre forme de propriété. Ils n’allaient guère au delà de la pauvre pensée de Robespierre : une démocratie politiquement souveraine, mais économiquement stationnaire, faite de petits propriétaires paysans et de petite bourgeoisie artisane. La merveilleuse sève de vie du socialisme, créateur de richesse, de beauté et de joie, n’était point en eux : aux jours terribles, ils brûlaient d’une flamme sèche, flamme de colère et d’envie. Ils ignoraient la séduction, la puissante douceur d’un idéal nouveau.
Pourtant la société bourgeoise commence à peine à s’apaiser et à se fixer, et déjà la pensée socialiste s’essaie. Après Babeuf, voici de 1800 à 1848, Fourier, Saint-Simon, Proudhon, Louis Blanc. Voici, sous Louis-Philippe, les soulèvements ouvriers de Lyon et de Paris. À peine la Révolution bourgeoise est-elle définitivement victorieuse, les prolétaires se demandent : D’où vient notre souffrance et quelle Révolution nouvelle faudra-t-il accomplir ? Dans le flot de la Révolution bourgeoise, d’abord bouillonnant et trouble, plus calme maintenant et plus clair, ils mirent leur pauvre visage exténué, et ils sont pris d’épouvante. Mais, avant 1848, malgré la multiplicité des systèmes socialistes et des révoltes ouvrières, la domination bourgeoise est encore intacte.
La bourgeoisie ne croit pas possible que le pouvoir lui échappe et que la propriété se transforme. Elle a, sous Louis-Philippe, la force de lutter à la fois contre les nobles et les prêtres, et contre les ouvriers. Elle écrase les soulèvements légitimistes de l’Ouest, comme les révoltes prolétariennes des grandes villes affamées. Elle croit naïvement, avec l’orgueil de Guizot, qu’elle est l’aboutissement de l’histoire, qu’elle a des titres historiques et philosophiques au pouvoir définitif, qu’elle résume l’effort séculaire de la France et qu’elle est l’expression sociale de la raison. Les prolétaires de leur côté, malgré les soubresauts de la misère et de la faim, ne sont pas des révolutionnaires conscients. Ils entrevoient à peine la possibilité d’un ordre nouveau. C’est surtout dans la classe « intellectuelle » que les « utopies » socialistes recrutent d’abord des adeptes. Et d’ailleurs les systèmes socialistes sont très fortement imprégnés ou de pensée capitaliste, comme celui de Saint-Simon, ou de pensée petite-bourgeoise, comme celui de Proudhon. Il a fallu la crise révolutionnaire de 1848 pour que la classe ouvrière prît conscience d’elle-même, pour qu’elle opérât, suivant le mot de Proudhon, sa scission définitive avec les autres éléments sociaux.
Et encore la deuxième période, celle qui va de Février 1848 à Mai 1871, du gouvernement provisoire à la répression sanglante de la Commune, est-elle trouble et incertaine. Déjà, il est vrai, le socialisme s’affirme comme une force et comme une idée ; le prolétariat s’affirme comme une classe. La Révolution ouvrière se dresse si menaçante contre l’ordre bourgeois que les classes dirigeantes coalisent contre elle toutes les puissances de la bourgeoisie et les propriétaires paysans affolés par le spectre rouge. Mais il y a encore indécision et confusion dans les doctrines socialistes : en 1848, le communisme de Cabet, le mutuellisme de Proudhon, l’étatisme de Louis Blanc se heurtent désespérément, et le moule de pensée où doit prendre forme la force ouvrière est inconsistant et inachevé : les théoriciens se disputent le métal en fusion qui sort de la fournaise, et pendant qu’ils se querellent, la réaction, conduite par l’homme de Décembre, brise tous les moules ébauchés et refroidit le métal. Sous la Commune même, blanquistes, marxistes, proudhoniens impriment à la pensée ouvrière des directions divergentes : nul ne peut dire quel idéal socialiste eût appliqué la Commune victorieuse.
En outre, il y a trouble et mélange dans le mouvement même comme dans la pensée. En 1848, la Révolution est préparée par la démocratie radicale des petits bourgeois autant et plus peut-être que par le socialisme ouvrier, et aux journées de Juin la démocratie bourgeoise couche sur le pavé ardent de Paris les prolétaires. En 1871 aussi, c’est d’un soulèvement de la bourgeoisie commerçante irritée par la loi des échéances et par la dureté des hobereaux de Versailles, c’est aussi de l’exaspération patriotique et des défiances républicaines de Paris que le mouvement de la Commune est sorti.
Présentation de l’éditeur :
Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.
Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait :
C’est du point de vue socialiste que nous voulons raconter au peuple, aux ouvriers, aux paysans, les événements qui se développent de 1789 à la fin du XIXe siècle. Nous considérons la Révolution française comme un fait immense et d’une admirable fécondité ; mais elle n’est pas, à nos yeux, un fait définitif dont l’histoire n’aurait ensuite qu’à dérouler sans fin les conséquences. La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise.
Peu à peu le mouvement économique et politique, la grande industrie, la croissance de la classe ouvrière qui grandit en nombre et en ambition, le malaise des paysans écrasés par la concurrence et investis par la féodalité industrielle et marchande, le trouble moral de la bourgeoisie intellectuelle qu’une société mercantile et brutale offense en toutes ses délicatesses, tout prépare une nouvelle crise sociale, une nouvelle et plus profonde Révolution où les prolétaires saisiront le pouvoir pour transformer la propriété et la moralité. C’est donc la marche et le jeu des classes sociales depuis 1789 que nous voudrions retracer à grands traits. Il est toujours un peu arbitraire de marquer des limites, des divisions tranchantes dans le progrès ininterrompu et nuancé de la vie. Pourtant, on peut, avec une suffisante exactitude, distinguer trois périodes dans l’histoire de la classe bourgeoise et de la classe prolétarienne depuis un siècle.
D’abord de 1789 à 1848, la bourgeoisie révolutionnaire triomphe et s’installe. Elle utilise contre l’absolutisme royal et contre les nobles la force des prolétaires, mais ceux-ci, malgré leur prodigieuse activité, malgré le rôle décisif qu’ils jouent en certaines journées, ne sont qu’une puissance subordonnée, une sorte d’appoint historique. Ils inspirent parfois aux possédants bourgeois une véritable terreur : mais au fond ils travaillent pour eux ; ils n’ont pas une conception de la société radicalement différente : le communisme de Babeuf et de ses rares disciples ne fut qu’une convulsion sublime, le spasme suprême de la crise révolutionnaire avant l’apaisement du Consulat et du Premier Empire. Même en 1793 et 1794 les prolétaires étaient confondus dans le Tiers État : ils n’avaient ni une claire conscience de classe ni le désir ou la notion d’une autre forme de propriété. Ils n’allaient guère au delà de la pauvre pensée de Robespierre : une démocratie politiquement souveraine, mais économiquement stationnaire, faite de petits propriétaires paysans et de petite bourgeoisie artisane. La merveilleuse sève de vie du socialisme, créateur de richesse, de beauté et de joie, n’était point en eux : aux jours terribles, ils brûlaient d’une flamme sèche, flamme de colère et d’envie. Ils ignoraient la séduction, la puissante douceur d’un idéal nouveau.
Pourtant la société bourgeoise commence à peine à s’apaiser et à se fixer, et déjà la pensée socialiste s’essaie. Après Babeuf, voici de 1800 à 1848, Fourier, Saint-Simon, Proudhon, Louis Blanc. Voici, sous Louis-Philippe, les soulèvements ouvriers de Lyon et de Paris. À peine la Révolution bourgeoise est-elle définitivement victorieuse, les prolétaires se demandent : D’où vient notre souffrance et quelle Révolution nouvelle faudra-t-il accomplir ? Dans le flot de la Révolution bourgeoise, d’abord bouillonnant et trouble, plus calme maintenant et plus clair, ils mirent leur pauvre visage exténué, et ils sont pris d’épouvante. Mais, avant 1848, malgré la multiplicité des systèmes socialistes et des révoltes ouvrières, la domination bourgeoise est encore intacte.
La bourgeoisie ne croit pas possible que le pouvoir lui échappe et que la propriété se transforme. Elle a, sous Louis-Philippe, la force de lutter à la fois contre les nobles et les prêtres, et contre les ouvriers. Elle écrase les soulèvements légitimistes de l’Ouest, comme les révoltes prolétariennes des grandes villes affamées. Elle croit naïvement, avec l’orgueil de Guizot, qu’elle est l’aboutissement de l’histoire, qu’elle a des titres historiques et philosophiques au pouvoir définitif, qu’elle résume l’effort séculaire de la France et qu’elle est l’expression sociale de la raison. Les prolétaires de leur côté, malgré les soubresauts de la misère et de la faim, ne sont pas des révolutionnaires conscients. Ils entrevoient à peine la possibilité d’un ordre nouveau. C’est surtout dans la classe « intellectuelle » que les « utopies » socialistes recrutent d’abord des adeptes. Et d’ailleurs les systèmes socialistes sont très fortement imprégnés ou de pensée capitaliste, comme celui de Saint-Simon, ou de pensée petite-bourgeoise, comme celui de Proudhon. Il a fallu la crise révolutionnaire de 1848 pour que la classe ouvrière prît conscience d’elle-même, pour qu’elle opérât, suivant le mot de Proudhon, sa scission définitive avec les autres éléments sociaux.
Et encore la deuxième période, celle qui va de Février 1848 à Mai 1871, du gouvernement provisoire à la répression sanglante de la Commune, est-elle trouble et incertaine. Déjà, il est vrai, le socialisme s’affirme comme une force et comme une idée ; le prolétariat s’affirme comme une classe. La Révolution ouvrière se dresse si menaçante contre l’ordre bourgeois que les classes dirigeantes coalisent contre elle toutes les puissances de la bourgeoisie et les propriétaires paysans affolés par le spectre rouge. Mais il y a encore indécision et confusion dans les doctrines socialistes : en 1848, le communisme de Cabet, le mutuellisme de Proudhon, l’étatisme de Louis Blanc se heurtent désespérément, et le moule de pensée où doit prendre forme la force ouvrière est inconsistant et inachevé : les théoriciens se disputent le métal en fusion qui sort de la fournaise, et pendant qu’ils se querellent, la réaction, conduite par l’homme de Décembre, brise tous les moules ébauchés et refroidit le métal. Sous la Commune même, blanquistes, marxistes, proudhoniens impriment à la pensée ouvrière des directions divergentes : nul ne peut dire quel idéal socialiste eût appliqué la Commune victorieuse.
En outre, il y a trouble et mélange dans le mouvement même comme dans la pensée. En 1848, la Révolution est préparée par la démocratie radicale des petits bourgeois autant et plus peut-être que par le socialisme ouvrier, et aux journées de Juin la démocratie bourgeoise couche sur le pavé ardent de Paris les prolétaires. En 1871 aussi, c’est d’un soulèvement de la bourgeoisie commerçante irritée par la loi des échéances et par la dureté des hobereaux de Versailles, c’est aussi de l’exaspération patriotique et des défiances républicaines de Paris que le mouvement de la Commune est sorti.