Croyez-moi, Baille, prenons l'habitude de retourner dans cette hospitalière ville de Bâle, où il nous est permis de nous laver de toutes les turpitudes contemporaines qui nous écoeurent dans l'un de ces grands fleuves de la musique, Bach ou Hændel, larges et sereins comme le fleuve des Amazones, sacrés comme le Gange et purifiants comme lui. Ne disons pas trop de mal de Wagner: contentons-nous d'échapper, fût-ce pour quelques heures, à son influence qui n'est pas toujours bienfaisante. Entre deux auditions d'un chef-d'oeuvre riche en fugues immenses, regardons couler le Rhin, pâmons-nous devant le Saint Georges de la cathédrale ou devant le Saint Martin qui coupe en deux son manteau comme pour en revêtir pieusement un tronc d'arbre; étudions les dessins de Holbein, admirables de vie et de science, de force et de vérité; ne négligeons pas d'arroser de quelque vin rose le saumon du Rhin, les filets de féras, la tanche frite ou le fin brochet; faisons résonner discrètement, dans le silence du musée gothique, l'épinette ou le virginal; esquissons le sujet de mainte fugue de Bach sur des touches creusées par les terribles galops d'anciens pandours du clavicorde; enfin laissons-nous vivre, respirons un air paisible, perdons tout souvenir des littératures et musiques faisandées dont le parfum vaut celui de certaines cuisines parisiennes à dix-neuf sous, par les soirs d'orage qui en exaltent les miasmes. Chaque année, Baille, recommençons notre pèlerinage vers cette ville amie où les maîtres que nous vénérons le plus nous apparaissent dans leur fulgurante beauté; et redescendons lumineux de la sainte montagne, bras dessus, bras dessous, comme Moïse et Aaron, vous plein de l'esprit de Dieu, moi humble porte-parole, puisque le Seigneur m'a fait la grâce de délier ma langue et que je peux, sans balbutier trop, dire aux autres ce que j'ai profondément ressenti et verser en eux le trop-plein de mon âme.
Croyez-moi, Baille, prenons l'habitude de retourner dans cette hospitalière ville de Bâle, où il nous est permis de nous laver de toutes les turpitudes contemporaines qui nous écoeurent dans l'un de ces grands fleuves de la musique, Bach ou Hændel, larges et sereins comme le fleuve des Amazones, sacrés comme le Gange et purifiants comme lui. Ne disons pas trop de mal de Wagner: contentons-nous d'échapper, fût-ce pour quelques heures, à son influence qui n'est pas toujours bienfaisante. Entre deux auditions d'un chef-d'oeuvre riche en fugues immenses, regardons couler le Rhin, pâmons-nous devant le Saint Georges de la cathédrale ou devant le Saint Martin qui coupe en deux son manteau comme pour en revêtir pieusement un tronc d'arbre; étudions les dessins de Holbein, admirables de vie et de science, de force et de vérité; ne négligeons pas d'arroser de quelque vin rose le saumon du Rhin, les filets de féras, la tanche frite ou le fin brochet; faisons résonner discrètement, dans le silence du musée gothique, l'épinette ou le virginal; esquissons le sujet de mainte fugue de Bach sur des touches creusées par les terribles galops d'anciens pandours du clavicorde; enfin laissons-nous vivre, respirons un air paisible, perdons tout souvenir des littératures et musiques faisandées dont le parfum vaut celui de certaines cuisines parisiennes à dix-neuf sous, par les soirs d'orage qui en exaltent les miasmes. Chaque année, Baille, recommençons notre pèlerinage vers cette ville amie où les maîtres que nous vénérons le plus nous apparaissent dans leur fulgurante beauté; et redescendons lumineux de la sainte montagne, bras dessus, bras dessous, comme Moïse et Aaron, vous plein de l'esprit de Dieu, moi humble porte-parole, puisque le Seigneur m'a fait la grâce de délier ma langue et que je peux, sans balbutier trop, dire aux autres ce que j'ai profondément ressenti et verser en eux le trop-plein de mon âme.