Parmi les vues de ces artistes, j'entre dans celle de présenter, en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premières époques ne semblent pas, dans leur gaîté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais qui, dans le plan de l'auteur, ont une connexion intime, propre à verser le plus vif intérêt sur les représentations de la Mère coupable. J'ai donc pensé avec les Comédiens, que nous pouvions dire au Public: Après avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à-peu-près celle de tous les hommes: Après avoir, le second jour, gaîment considéré, dans la Folle journée, les fautes de son âge viril, et qui sont trop souvent les nôtres: Par le tableau de sa vieillesse, et voyant la Mère coupable, venez vous convaincre avec nous, que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon, quand l'âge des passions s'éloigne, et sur-tout quand il a goûté le bonheur si doux d'être père! c'est le but moral de la Pièce. Elle en renferme plusieurs autres que ses détails feront sortir. Et moi, l'Auteur, j'ajoute ici: Venez juger la Mère coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mêler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée: si ses pleurs commandent les vôtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théâtre, sur des maux simulés qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion! Auprès de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille; Ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de Molière était celui de la religion: aussi de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entière qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des piéges de ces monstres (et il en existe par-tout) que j'ai traduit sévèrement celui-ci sur la scène française. Pardonnez-le moi, en faveur de sa punition, qui fait la clôture de la Pièce. Ce cinquième acte m'a couté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités; si je ne vous eusse calmés après des alarmes si vives. Peut être ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien long-temps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper: je craignais de manquer de force; et peut-être n'en ai-je plus à l'époque où je l'ai tenté! mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure: avec la tête froide d'un homme, et le cœur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé deRousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit.
Parmi les vues de ces artistes, j'entre dans celle de présenter, en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premières époques ne semblent pas, dans leur gaîté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais qui, dans le plan de l'auteur, ont une connexion intime, propre à verser le plus vif intérêt sur les représentations de la Mère coupable. J'ai donc pensé avec les Comédiens, que nous pouvions dire au Public: Après avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à-peu-près celle de tous les hommes: Après avoir, le second jour, gaîment considéré, dans la Folle journée, les fautes de son âge viril, et qui sont trop souvent les nôtres: Par le tableau de sa vieillesse, et voyant la Mère coupable, venez vous convaincre avec nous, que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon, quand l'âge des passions s'éloigne, et sur-tout quand il a goûté le bonheur si doux d'être père! c'est le but moral de la Pièce. Elle en renferme plusieurs autres que ses détails feront sortir. Et moi, l'Auteur, j'ajoute ici: Venez juger la Mère coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mêler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée: si ses pleurs commandent les vôtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théâtre, sur des maux simulés qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion! Auprès de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille; Ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de Molière était celui de la religion: aussi de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entière qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des piéges de ces monstres (et il en existe par-tout) que j'ai traduit sévèrement celui-ci sur la scène française. Pardonnez-le moi, en faveur de sa punition, qui fait la clôture de la Pièce. Ce cinquième acte m'a couté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités; si je ne vous eusse calmés après des alarmes si vives. Peut être ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien long-temps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper: je craignais de manquer de force; et peut-être n'en ai-je plus à l'époque où je l'ai tenté! mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure: avec la tête froide d'un homme, et le cœur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé deRousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit.