Author: | John Ruskin, Marcel Proust | ISBN: | 1230000227433 |
Publisher: | GO | Publication: | March 23, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | John Ruskin, Marcel Proust |
ISBN: | 1230000227433 |
Publisher: | GO |
Publication: | March 23, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Je donne ici une traduction de la Bible d’Amiens, de John Ruskin. Mais il m’a semblé que ce n’était pas assez pour le lecteur. Ne lire qu’un livre d’un auteur, c’est voir cet auteur une fois. Or, en causant une fois avec une personne, on peut discerner en elle des traits singuliers. Mais c’est seulement par leur répétition, dans des circonstances variées, qu’on peut les reconnaître pour caractéristiques et essentiels. Pour un écrivain, pour un musicien ou pour un peintre, cette variation des circonstances qui permet de discerner, par une sorte d’expérimentation, les traits permanents du caractère, c’est la variété des œuvres. Nous retrouvons, dans un second livre, dans un autre tableau, les particularités dont la première fois nous aurions pu croire qu’elles appartenaient au sujet traité autant qu’à l’écrivain ou au peintre. Et du rapprochement des œuvres différentes nous dégageons des traits communs dont l’assemblage compose la physionomie morale de l’artiste. Quand plusieurs portraits peints par Rembrandt, d’après des modèles différents, sont réunis dans une salle, nous sommes aussitôt frappés par ce qui leur est commun à tous et qui est les traits mêmes de la figure de Rembrandt. En mettant une note au bas du texte de la Bible d’Amiens, chaque fois que ce texte éveillait par des analogies, même lointaines, le souvenir d’autres ouvrages de Ruskin, et en traduisant dans la note le passage qui m’était ainsi revenu à l’esprit, j’ai tâché de permettre au lecteur de se placer dans la situation de quelqu’un qui ne se trouverait pas en présence de Ruskin pour la première fois, mais qui, ayant déjà eu avec lui des entretiens antérieurs, pourrait, dans ses paroles, reconnaître ce qui est, chez lui, permanent et fondamental. Ainsi j’ai essayé de pourvoir le lecteur comme d’une mémoire improvisée où j’ai disposé des souvenirs des autres livres de Ruskin, — sorte de caisse de résonance, où les paroles de la Bible d’Amiens pourront prendre une sorte de retentissement en y éveillant des échos fraternels. Mais aux paroles de la Bible d’Amiens ces échos ne répondront pas sans doute, ainsi qu’il arrive dans une mémoire qui s’est faite elle-même, de ces horizons inégalement lointains, habituellement cachés à nos regards et dont notre vie elle-même a mesuré jour par jour les distances variées. Ils n’auront pas, pour venir rejoindre la parole présente dont la ressemblance les a attirés, à traverser la résistante douceur de cette atmosphère interposée qui a l’étendue même de notre vie et qui est toute la poésie de la mémoire.
Je donne ici une traduction de la Bible d’Amiens, de John Ruskin. Mais il m’a semblé que ce n’était pas assez pour le lecteur. Ne lire qu’un livre d’un auteur, c’est voir cet auteur une fois. Or, en causant une fois avec une personne, on peut discerner en elle des traits singuliers. Mais c’est seulement par leur répétition, dans des circonstances variées, qu’on peut les reconnaître pour caractéristiques et essentiels. Pour un écrivain, pour un musicien ou pour un peintre, cette variation des circonstances qui permet de discerner, par une sorte d’expérimentation, les traits permanents du caractère, c’est la variété des œuvres. Nous retrouvons, dans un second livre, dans un autre tableau, les particularités dont la première fois nous aurions pu croire qu’elles appartenaient au sujet traité autant qu’à l’écrivain ou au peintre. Et du rapprochement des œuvres différentes nous dégageons des traits communs dont l’assemblage compose la physionomie morale de l’artiste. Quand plusieurs portraits peints par Rembrandt, d’après des modèles différents, sont réunis dans une salle, nous sommes aussitôt frappés par ce qui leur est commun à tous et qui est les traits mêmes de la figure de Rembrandt. En mettant une note au bas du texte de la Bible d’Amiens, chaque fois que ce texte éveillait par des analogies, même lointaines, le souvenir d’autres ouvrages de Ruskin, et en traduisant dans la note le passage qui m’était ainsi revenu à l’esprit, j’ai tâché de permettre au lecteur de se placer dans la situation de quelqu’un qui ne se trouverait pas en présence de Ruskin pour la première fois, mais qui, ayant déjà eu avec lui des entretiens antérieurs, pourrait, dans ses paroles, reconnaître ce qui est, chez lui, permanent et fondamental. Ainsi j’ai essayé de pourvoir le lecteur comme d’une mémoire improvisée où j’ai disposé des souvenirs des autres livres de Ruskin, — sorte de caisse de résonance, où les paroles de la Bible d’Amiens pourront prendre une sorte de retentissement en y éveillant des échos fraternels. Mais aux paroles de la Bible d’Amiens ces échos ne répondront pas sans doute, ainsi qu’il arrive dans une mémoire qui s’est faite elle-même, de ces horizons inégalement lointains, habituellement cachés à nos regards et dont notre vie elle-même a mesuré jour par jour les distances variées. Ils n’auront pas, pour venir rejoindre la parole présente dont la ressemblance les a attirés, à traverser la résistante douceur de cette atmosphère interposée qui a l’étendue même de notre vie et qui est toute la poésie de la mémoire.