Author: | Charles Renel | ISBN: | 1230001734935 |
Publisher: | er | Publication: | June 26, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Charles Renel |
ISBN: | 1230001734935 |
Publisher: | er |
Publication: | June 26, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ce livre numérique comporte une table des matières dynamique. Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait :
Le 20 octobre 1909, le Melbourne, paquebot des Messageries Maritimes, sortait lentement du port de la Joliette, à destination de Madagascar. L’appareillage avait été long, retardé encore par l’embarquement d’un gros courrier postal. Il était midi. Toutes les laideurs du port intérieur s’étaient effacées : les quais nus et tristes, salis par le charbon, les tas de marchandises alignées sous de plats hangars, les rames de wagons barrant de lignes noires des maisons lépreuses, et les moires graisseuses de la mer sillonnée de barques rondes, pareilles à ces gros insectes qui courent à la surface des étangs.
Maintenant le panorama de Marseille emplissait la moitié de l’horizon : les bassins avec les cheminées et les mâts d’innombrables navires, au pied de collines grises, les fils d’araignée du pont transbordeur, tendant leur trame métallique au-dessus du vieux port, les coupoles byzantines de la cathédrale, la montagne pierreuse où s’agenouille Notre-Dame-De-La-Garde. Sous le ciel hivernal d’un bleu très doux, la côte toute blanche irradiait de la lumière, la mer d’azur scintillait entre les îles. Puis la Corniche incurvait ses calanques, ouvrait ses ports en miniature, étageait parmi les chênes-liège et les oliviers ses bastides et ses villas.
Cependant le vent fraîchissait, mettait à la surface de la mer frissonnante d’innombrables franges d’écume. Sur le pont du Melbourne des femmes, déjà incommodées, se repentaient d’avoir voulu jouir de la vue de Marseille et songeaient à regagner leurs cabines. Les vieux coloniaux, blasés sur le spectacle, étaient descendus pour déjeuner. Seuls quelques rares passagers, demeurés à l’arrière, regardaient.
L’un d’eux, absorbé dans sa contemplation, oubliait l’heure. C’était un jeune ingénieur, engagé par la Compagnie Australe de Madagascar pour diriger les travaux et surveiller les affaires de cette société à Tananarive. Il venait d’éprouver une déception de cœur cruelle, en rompant un mariage depuis longtemps projeté, et il se remémorait les péripéties douloureuses de ce drame intime. Ses hésitations d’abord : épouserait-il ou n’épouserait-il pas Marthe Villaret ? Cette parisienne élégante, mondaine, éprise de tous les plaisirs qu’offre aux femmes inoccupées la vie contemporaine, convenait-elle bien à l’homme qu’il était ?… Puis leurs fiançailles. Sa passion grandissait, tandis que celle qui en était l’objet semblait n’avoir aucune hâte de renoncer à sa libre existence de femme divorcée. À mesure qu’il était moins hésitant, elle le devenait davantage… Enfin la rupture. Il revivait leur dernière entrevue au Ritz, quelques jours auparavant. Il la pressait de fixer la date de leur mariage : elle cherchait des atermoiements, arguait de mille petits obstacles matériels, puis elle avait eu pour lui un mot cruel ; ils s’étaient quittés sur une impression pénible. Par un soudain revirement, fréquent chez les impulsifs, il avait décidé de la fuir. On venait précisément de lui offrir une situation aux colonies. En rentrant chez lui, il avait écrit deux lettres, l’une de rupture à Marthe Villaret, l’autre d’acceptation pour la Compagnie Australe de Madagascar. Il avait entassé hâtivement les effets les plus indispensables dans ses malles, pris le train pour Marseille, signé son contrat pour la colonie. Maintenant l’irréparable était consommé : chaque tour d’hélice du Melbourne augmentait entre eux la distance, ce serait dans quelques jours toute la Méditerranée qui les séparerait, ensuite des milliers de lieues, de Marseille à Tamatave…
Charles Renel est un écrivain français né en 1866 et mort en 1925. Installé à Madagascar jusqu'à la fin de sa vie, il est l'auteur de nombreux ouvrages relatifs à cette nouvelle colonie, en particulier Le “Décivilisé”, qui paraît en 1923.
Ce livre numérique comporte une table des matières dynamique. Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait :
Le 20 octobre 1909, le Melbourne, paquebot des Messageries Maritimes, sortait lentement du port de la Joliette, à destination de Madagascar. L’appareillage avait été long, retardé encore par l’embarquement d’un gros courrier postal. Il était midi. Toutes les laideurs du port intérieur s’étaient effacées : les quais nus et tristes, salis par le charbon, les tas de marchandises alignées sous de plats hangars, les rames de wagons barrant de lignes noires des maisons lépreuses, et les moires graisseuses de la mer sillonnée de barques rondes, pareilles à ces gros insectes qui courent à la surface des étangs.
Maintenant le panorama de Marseille emplissait la moitié de l’horizon : les bassins avec les cheminées et les mâts d’innombrables navires, au pied de collines grises, les fils d’araignée du pont transbordeur, tendant leur trame métallique au-dessus du vieux port, les coupoles byzantines de la cathédrale, la montagne pierreuse où s’agenouille Notre-Dame-De-La-Garde. Sous le ciel hivernal d’un bleu très doux, la côte toute blanche irradiait de la lumière, la mer d’azur scintillait entre les îles. Puis la Corniche incurvait ses calanques, ouvrait ses ports en miniature, étageait parmi les chênes-liège et les oliviers ses bastides et ses villas.
Cependant le vent fraîchissait, mettait à la surface de la mer frissonnante d’innombrables franges d’écume. Sur le pont du Melbourne des femmes, déjà incommodées, se repentaient d’avoir voulu jouir de la vue de Marseille et songeaient à regagner leurs cabines. Les vieux coloniaux, blasés sur le spectacle, étaient descendus pour déjeuner. Seuls quelques rares passagers, demeurés à l’arrière, regardaient.
L’un d’eux, absorbé dans sa contemplation, oubliait l’heure. C’était un jeune ingénieur, engagé par la Compagnie Australe de Madagascar pour diriger les travaux et surveiller les affaires de cette société à Tananarive. Il venait d’éprouver une déception de cœur cruelle, en rompant un mariage depuis longtemps projeté, et il se remémorait les péripéties douloureuses de ce drame intime. Ses hésitations d’abord : épouserait-il ou n’épouserait-il pas Marthe Villaret ? Cette parisienne élégante, mondaine, éprise de tous les plaisirs qu’offre aux femmes inoccupées la vie contemporaine, convenait-elle bien à l’homme qu’il était ?… Puis leurs fiançailles. Sa passion grandissait, tandis que celle qui en était l’objet semblait n’avoir aucune hâte de renoncer à sa libre existence de femme divorcée. À mesure qu’il était moins hésitant, elle le devenait davantage… Enfin la rupture. Il revivait leur dernière entrevue au Ritz, quelques jours auparavant. Il la pressait de fixer la date de leur mariage : elle cherchait des atermoiements, arguait de mille petits obstacles matériels, puis elle avait eu pour lui un mot cruel ; ils s’étaient quittés sur une impression pénible. Par un soudain revirement, fréquent chez les impulsifs, il avait décidé de la fuir. On venait précisément de lui offrir une situation aux colonies. En rentrant chez lui, il avait écrit deux lettres, l’une de rupture à Marthe Villaret, l’autre d’acceptation pour la Compagnie Australe de Madagascar. Il avait entassé hâtivement les effets les plus indispensables dans ses malles, pris le train pour Marseille, signé son contrat pour la colonie. Maintenant l’irréparable était consommé : chaque tour d’hélice du Melbourne augmentait entre eux la distance, ce serait dans quelques jours toute la Méditerranée qui les séparerait, ensuite des milliers de lieues, de Marseille à Tamatave…
Charles Renel est un écrivain français né en 1866 et mort en 1925. Installé à Madagascar jusqu'à la fin de sa vie, il est l'auteur de nombreux ouvrages relatifs à cette nouvelle colonie, en particulier Le “Décivilisé”, qui paraît en 1923.