L'hiver de 1859 étendait son blanc et floconneux tapis de neige sur les remparts de la joyeuse capitale autrichienne et, aux environs, sur les coupoles du Kahlenberg et du Leopoldsberg. Le monde brillant et aristocratique était rentré des eaux et de ses terres, et l'on s'amusait, dans les salons privés, ainsi qu'aux lieux de réjouissances publiques, simplement et gaîment, comme cela n'était guère possible, alors, que dans la ville impériale, résidence de l'empereur Franz. Mais le point culminant des distractions et des plaisirs, comme de l'intérêt artistique et littéraire, était encore et toujours le Burgthéâtre, institution populaire au sens le plus élevé, où les aspirations idéales de l'élite de la nation se joignaient aux efforts les plus nobles, car une censure hautement sagace rognait les ailes fougueuses du Pégase autrichien, et la vie politique n'agitait encore que la Hongrie avoisinante, ne se manifestant guère que par les paroles, les chansons et les actes des compagnonnages allemands et de quelques étudiants des universités de Vienne ou de Prague. Entre le public et les acteurs, régnait une véritable intimité, car les Viennois de cette époque ne se contentaient pas d'admirer l'artiste sur la scène; ils le suivaient dans sa vie journalière et jusque dans sa demeure, non pour épier un scandale et s'amuser des vices des protagonistes chargés d'incarner les rêves héroïques ou spirituels des poètes, comme cela a lieu de nos jours, mais avec le naïf désir de voir la pâle Louise assise à sa table à thé, d'entendre la rêveuse Charlotte potiner en buvant du café, de surprendre la fière princesse Eboli en train de tricoter des bas ou le vaillant chevalier Goetz de faire sa partie de tarok. Le public viennois était au courant de tout ce qui se passait derrière les coulisses. Il connaissait le nom de chaque adorateur de la Stich; il savait toujours, à n'en pas douter, quel soir Korn était plus rauque que de coutume et en quel lieu il avait bu le champagne responsable, et, lorsqu'enfin Sophie Schrœder monta, tel un soleil, au firmament de l'art dramatique, faisant pâlir toutes les étoiles, il ne tomba pas une épingle dans le boudoir de la tragédienne sans que le Tout-Vienne en fût informé, depuis le chancelier d'Etat jusqu'à l'apprenti cordonnier, depuis le cocher de fiacre jusqu'à l'empereur.
L'hiver de 1859 étendait son blanc et floconneux tapis de neige sur les remparts de la joyeuse capitale autrichienne et, aux environs, sur les coupoles du Kahlenberg et du Leopoldsberg. Le monde brillant et aristocratique était rentré des eaux et de ses terres, et l'on s'amusait, dans les salons privés, ainsi qu'aux lieux de réjouissances publiques, simplement et gaîment, comme cela n'était guère possible, alors, que dans la ville impériale, résidence de l'empereur Franz. Mais le point culminant des distractions et des plaisirs, comme de l'intérêt artistique et littéraire, était encore et toujours le Burgthéâtre, institution populaire au sens le plus élevé, où les aspirations idéales de l'élite de la nation se joignaient aux efforts les plus nobles, car une censure hautement sagace rognait les ailes fougueuses du Pégase autrichien, et la vie politique n'agitait encore que la Hongrie avoisinante, ne se manifestant guère que par les paroles, les chansons et les actes des compagnonnages allemands et de quelques étudiants des universités de Vienne ou de Prague. Entre le public et les acteurs, régnait une véritable intimité, car les Viennois de cette époque ne se contentaient pas d'admirer l'artiste sur la scène; ils le suivaient dans sa vie journalière et jusque dans sa demeure, non pour épier un scandale et s'amuser des vices des protagonistes chargés d'incarner les rêves héroïques ou spirituels des poètes, comme cela a lieu de nos jours, mais avec le naïf désir de voir la pâle Louise assise à sa table à thé, d'entendre la rêveuse Charlotte potiner en buvant du café, de surprendre la fière princesse Eboli en train de tricoter des bas ou le vaillant chevalier Goetz de faire sa partie de tarok. Le public viennois était au courant de tout ce qui se passait derrière les coulisses. Il connaissait le nom de chaque adorateur de la Stich; il savait toujours, à n'en pas douter, quel soir Korn était plus rauque que de coutume et en quel lieu il avait bu le champagne responsable, et, lorsqu'enfin Sophie Schrœder monta, tel un soleil, au firmament de l'art dramatique, faisant pâlir toutes les étoiles, il ne tomba pas une épingle dans le boudoir de la tragédienne sans que le Tout-Vienne en fût informé, depuis le chancelier d'Etat jusqu'à l'apprenti cordonnier, depuis le cocher de fiacre jusqu'à l'empereur.