Le mort qu’on venge

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le mort qu’on venge by Ubald Paquin, GILBERT TEROL
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Author: Ubald Paquin ISBN: 1230003232422
Publisher: GILBERT TEROL Publication: May 15, 2019
Imprint: Language: French
Author: Ubald Paquin
ISBN: 1230003232422
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: May 15, 2019
Imprint:
Language: French

— Mort ?

Le médecin, pour toute réponse, fit un signe affirmatif de la tête. Les yeux secs, les traits étirés, Julien Daury pénétra dans la chambre. Sur le lit reposait celui qui avait été son père. C’était un homme fortement charpenté, bâti en force, aux os saillants. Ses cheveux gris collaient sur le front mêlé au sang coagulé. Il avait le nez cassé, la lèvre fendue d’où sortait un filet de sang qui striait le menton. Le veston et la chemise enlevés laissaient voir le torse nu d’où l’on devinait la rupture des côtes. La chair était blanche, tachetée d’ecchymoses bleues, vertes et jaunes. Près de la clavicule, une entaille large laissait voir les os… Une jambe pendait inerte et molle. Elle avait été brisée par le choc.

Près du lit, Julien s’arrêta. Une grimace horrible contracta ses traits.

— Rien à faire ? aucune chance ?

— Tout est fini. Il ne souffre plus.

Longtemps contenues, les larmes coulèrent au long des joues du jeune homme. Des sanglots le secouèrent, spasmodiques.

— Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas vrai ! Il était là, plein de vie, ce midi.

Puis il se jeta sur le corps déchiqueté. Il embrassa les joues du cadavre. Elles goûtaient le sang.

— Père ! Père ! Papa !

Il souleva la paupière pour voir l’œil qui était vitreux. La paupière retomba d’elle-même.

Alors, il s’écrasa sur le sol, les deux bras ballant sur le lit, et s’abîma dans les pleurs.

Le médecin, stoïque par métier, haussa les épaules, s’approcha du jeune homme, le releva avec un geste presque maternel et l’amena dans la pièce voisine.

Il savait les mots impuissants, et que les phrases ne rendraient que plus lancinantes les souffrances morales.

— Mon pauvre Monsieur Daurv, lui dit-il enfin.

Il assit le jeune homme dans un fauteuil. Les larmes maintenant ne coulaient plus. Julien fixait le plancher, stupide, hébété.

Pourtant ! oui pourtant il était plein de vie ce midi.

Qu’est-ce que la vie ? qu’est-ce que la mort ?

Paul Daurv avait quarante-quatre ans. Il était dans la plénitude de son âge et de sa force. Veuf depuis longtemps, n’ayant qu’un fils de vingt-trois ans, dont l’avenir assuré s’annonçait brillant, il avait éprouvé dans son cœur cette passion tardive que Bourget a qualifiée « Démon du midi » pour une jeune fille de vingt-deux ans, jolie, accorte d’allure, qui lui avait fait espérer un bonheur tissé d’amour et de rêves partagés, jusqu’au jour, où, sans raison aucune, et sans vouloir le rencontrer à nouveau, elle avait brisé subitement le charme de relations sentimentales, nobles et pures.

Ce qu’il avait souffert, personne maintenant ne le saura. Mais l’intensité du désespoir fut telle que de lui-même, tantôt, à la gare, il se jeta devant une locomotive en marche, terminant tragiquement une existence de souffrances trop lourdes à ses épaules et que ses forces ne pouvaient supporter.

Julien, dès la première nouvelle, eut l’intuition du drame. Il garda tout en lui par une habitude qu’il avait de celer dans un repli de son âme toutes ses impressions.

Quand il fut remis de son émotion, par un effort de l’être entier tendu pour la maîtrise des nerfs et des muscles :

— Et que pensez-vous, docteur ?

— Un accident banal. Votre père croyait pouvoir traverser la voie avant l’arrivée du train. Il fut frappé par la locomotive et entraîné à plusieurs pieds plus loin.

— Et votre rapport ?

— Il sera en conséquence. « Mort accidentelle ».

Mais lui, savait, ou plutôt, il devinait le dénouement de ce drame atroce.

Et sa douleur s’en aiguisait.

Les embaumeurs qui venaient d’arriver entrèrent dans la pièce où gisait le cadavre.

D’un geste, Julien les fit sortir, leur demandant d’attendre un peu.

Comme si, tantôt, en quelques secondes, toutes les larmes de ses yeux avaient coulé, il ne pouvait plus pleurer, bien que l’envie l’en tenaillait, lui causant une souffrance physique qu’il n’avait jamais prévue si douloureuse.

En passant devant la glace d’une commode, il y jeta un coup d’œil. Il eut peur de ce qu’il y vit. Était-ce lui ce jeune homme livide, pâle, étiré. Ses yeux étaient creux avec une expression d’angoisse et toute la figure tourmentée gardait l’empreinte de cette angoisse dévorante.

Il approcha du lit.

Il prit dans la sienne la main du mort. Elle était plus froide.

Il ne sut le dire puisqu’aucune sensation de froideur n’envahissait sa chair.

— Ah ! Père ! Je te vengerai !

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— Mort ?

Le médecin, pour toute réponse, fit un signe affirmatif de la tête. Les yeux secs, les traits étirés, Julien Daury pénétra dans la chambre. Sur le lit reposait celui qui avait été son père. C’était un homme fortement charpenté, bâti en force, aux os saillants. Ses cheveux gris collaient sur le front mêlé au sang coagulé. Il avait le nez cassé, la lèvre fendue d’où sortait un filet de sang qui striait le menton. Le veston et la chemise enlevés laissaient voir le torse nu d’où l’on devinait la rupture des côtes. La chair était blanche, tachetée d’ecchymoses bleues, vertes et jaunes. Près de la clavicule, une entaille large laissait voir les os… Une jambe pendait inerte et molle. Elle avait été brisée par le choc.

Près du lit, Julien s’arrêta. Une grimace horrible contracta ses traits.

— Rien à faire ? aucune chance ?

— Tout est fini. Il ne souffre plus.

Longtemps contenues, les larmes coulèrent au long des joues du jeune homme. Des sanglots le secouèrent, spasmodiques.

— Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas vrai ! Il était là, plein de vie, ce midi.

Puis il se jeta sur le corps déchiqueté. Il embrassa les joues du cadavre. Elles goûtaient le sang.

— Père ! Père ! Papa !

Il souleva la paupière pour voir l’œil qui était vitreux. La paupière retomba d’elle-même.

Alors, il s’écrasa sur le sol, les deux bras ballant sur le lit, et s’abîma dans les pleurs.

Le médecin, stoïque par métier, haussa les épaules, s’approcha du jeune homme, le releva avec un geste presque maternel et l’amena dans la pièce voisine.

Il savait les mots impuissants, et que les phrases ne rendraient que plus lancinantes les souffrances morales.

— Mon pauvre Monsieur Daurv, lui dit-il enfin.

Il assit le jeune homme dans un fauteuil. Les larmes maintenant ne coulaient plus. Julien fixait le plancher, stupide, hébété.

Pourtant ! oui pourtant il était plein de vie ce midi.

Qu’est-ce que la vie ? qu’est-ce que la mort ?

Paul Daurv avait quarante-quatre ans. Il était dans la plénitude de son âge et de sa force. Veuf depuis longtemps, n’ayant qu’un fils de vingt-trois ans, dont l’avenir assuré s’annonçait brillant, il avait éprouvé dans son cœur cette passion tardive que Bourget a qualifiée « Démon du midi » pour une jeune fille de vingt-deux ans, jolie, accorte d’allure, qui lui avait fait espérer un bonheur tissé d’amour et de rêves partagés, jusqu’au jour, où, sans raison aucune, et sans vouloir le rencontrer à nouveau, elle avait brisé subitement le charme de relations sentimentales, nobles et pures.

Ce qu’il avait souffert, personne maintenant ne le saura. Mais l’intensité du désespoir fut telle que de lui-même, tantôt, à la gare, il se jeta devant une locomotive en marche, terminant tragiquement une existence de souffrances trop lourdes à ses épaules et que ses forces ne pouvaient supporter.

Julien, dès la première nouvelle, eut l’intuition du drame. Il garda tout en lui par une habitude qu’il avait de celer dans un repli de son âme toutes ses impressions.

Quand il fut remis de son émotion, par un effort de l’être entier tendu pour la maîtrise des nerfs et des muscles :

— Et que pensez-vous, docteur ?

— Un accident banal. Votre père croyait pouvoir traverser la voie avant l’arrivée du train. Il fut frappé par la locomotive et entraîné à plusieurs pieds plus loin.

— Et votre rapport ?

— Il sera en conséquence. « Mort accidentelle ».

Mais lui, savait, ou plutôt, il devinait le dénouement de ce drame atroce.

Et sa douleur s’en aiguisait.

Les embaumeurs qui venaient d’arriver entrèrent dans la pièce où gisait le cadavre.

D’un geste, Julien les fit sortir, leur demandant d’attendre un peu.

Comme si, tantôt, en quelques secondes, toutes les larmes de ses yeux avaient coulé, il ne pouvait plus pleurer, bien que l’envie l’en tenaillait, lui causant une souffrance physique qu’il n’avait jamais prévue si douloureuse.

En passant devant la glace d’une commode, il y jeta un coup d’œil. Il eut peur de ce qu’il y vit. Était-ce lui ce jeune homme livide, pâle, étiré. Ses yeux étaient creux avec une expression d’angoisse et toute la figure tourmentée gardait l’empreinte de cette angoisse dévorante.

Il approcha du lit.

Il prit dans la sienne la main du mort. Elle était plus froide.

Il ne sut le dire puisqu’aucune sensation de froideur n’envahissait sa chair.

— Ah ! Père ! Je te vengerai !

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