BOUCHER, affirme le Nécrologe de 1771, «possédait à un degré supérieur toutes les grandes parties de l’art de la peinture et il eût pu s’essayer et se distinguer dans tous les genres; mais né sensible, aimable et voluptueux, il se vit presque toujours entraîné vers les Grâces dont il fut généralement appelé le peintre.» Sensible, aimable et voluptueux: en ces trois termes se résume la physionomie du XVIIIe siècle tout entier, avec son élégance spirituelle et son dévergondage raffiné; dans ces trois mots également s’enferme tout l’art de Boucher, peintre des fêtes galantes et des mythologies gracieuses. Ses conceptions personnelles s’adaptaient merveilleusement au goût de l’époque. Il devait réussir dans une cour brillante et libertine dont Mme de Pompadour était la reine; il en devint bientôt le peintre officiel. Aussi bon courtisan qu’artiste habile, il employa le meilleur de son talent à célébrer Vénus, la déesse d’amour et de beauté, délicat hommage à la favorite royale, sa protectrice, souveraine toute-puissante dans le fastueux Olympe de Versailles. Par goût naturel, il aime d’ailleurs à faire jouer la lumière sur les chairs roses et nacrées des femmes; son œuvre entière est un hymne permanent à la jeunesse, à la beauté et à l’amour. Parmi ces toiles allégoriques, celle que nous donnons ici est l’une des plus belles. A droite du tableau, Vulcain, assis sur une peau de tigre, tend à la déesse les armes qu’il vient de forger. Portée sur un nuage et appuyée sur une de ses nymphes, Vénus à demi nue les examine négligemment. Son corps nonchalamment étendu est une merveille de grâce aisée et de beauté indolente. Au premier plan, on aperçoit le char de la divinité, attelé de colombes. Sur le devant de la toile, un Amour tresse des guirlandes de roses. Dans le ciel baigné d’une lumière diaphane, d’autres Amours se poursuivent en jouant. S’il obtint les suffrages unanimes de ses contemporains, l’art de Boucher éprouva les rigueurs de la postérité. De l’engouement exagéré on en vint sans transition à l’absolu mépris. On lui reprochait la mollesse de son dessin, l’incorrection de ses anatomies, le conventionnel de sa peinture. Malgré la part de vérité contenue dans ces critiques, il faut avouer que nous sommes très mal placés aujourd’hui pour juger Boucher, qui fut surtout et avant tout décorateur. Pour asseoir un jugement équitable, il faudrait voir ses œuvres dans le cadre pour lequel elles avaient été peintes, panneaux sculptés où courent des guirlandes, trumeaux ouvragés et précieux, tympans dorés et festonnés d’arabesques; on leur trouve aussitôt toute leur signification esthétique et toute leur harmonie. Dépouillées de ce soutien nécessaire, les toiles de Boucher ressemblent à des diamants qu’on aurait dessertis de leur alvéole d’orfèvrerie.
BOUCHER, affirme le Nécrologe de 1771, «possédait à un degré supérieur toutes les grandes parties de l’art de la peinture et il eût pu s’essayer et se distinguer dans tous les genres; mais né sensible, aimable et voluptueux, il se vit presque toujours entraîné vers les Grâces dont il fut généralement appelé le peintre.» Sensible, aimable et voluptueux: en ces trois termes se résume la physionomie du XVIIIe siècle tout entier, avec son élégance spirituelle et son dévergondage raffiné; dans ces trois mots également s’enferme tout l’art de Boucher, peintre des fêtes galantes et des mythologies gracieuses. Ses conceptions personnelles s’adaptaient merveilleusement au goût de l’époque. Il devait réussir dans une cour brillante et libertine dont Mme de Pompadour était la reine; il en devint bientôt le peintre officiel. Aussi bon courtisan qu’artiste habile, il employa le meilleur de son talent à célébrer Vénus, la déesse d’amour et de beauté, délicat hommage à la favorite royale, sa protectrice, souveraine toute-puissante dans le fastueux Olympe de Versailles. Par goût naturel, il aime d’ailleurs à faire jouer la lumière sur les chairs roses et nacrées des femmes; son œuvre entière est un hymne permanent à la jeunesse, à la beauté et à l’amour. Parmi ces toiles allégoriques, celle que nous donnons ici est l’une des plus belles. A droite du tableau, Vulcain, assis sur une peau de tigre, tend à la déesse les armes qu’il vient de forger. Portée sur un nuage et appuyée sur une de ses nymphes, Vénus à demi nue les examine négligemment. Son corps nonchalamment étendu est une merveille de grâce aisée et de beauté indolente. Au premier plan, on aperçoit le char de la divinité, attelé de colombes. Sur le devant de la toile, un Amour tresse des guirlandes de roses. Dans le ciel baigné d’une lumière diaphane, d’autres Amours se poursuivent en jouant. S’il obtint les suffrages unanimes de ses contemporains, l’art de Boucher éprouva les rigueurs de la postérité. De l’engouement exagéré on en vint sans transition à l’absolu mépris. On lui reprochait la mollesse de son dessin, l’incorrection de ses anatomies, le conventionnel de sa peinture. Malgré la part de vérité contenue dans ces critiques, il faut avouer que nous sommes très mal placés aujourd’hui pour juger Boucher, qui fut surtout et avant tout décorateur. Pour asseoir un jugement équitable, il faudrait voir ses œuvres dans le cadre pour lequel elles avaient été peintes, panneaux sculptés où courent des guirlandes, trumeaux ouvragés et précieux, tympans dorés et festonnés d’arabesques; on leur trouve aussitôt toute leur signification esthétique et toute leur harmonie. Dépouillées de ce soutien nécessaire, les toiles de Boucher ressemblent à des diamants qu’on aurait dessertis de leur alvéole d’orfèvrerie.