J'ai écrit le Péché de monsieur Antoine à la campagne, dans une phase de calme extérieur et intérieur, comme il s'en rencontre peu dans la vie des individus. C'était en 1845, époque où la critique de la société réelle et le rêve d'une société idéale atteignirent dans la presse un degré de liberté de développement comparable à celui du XVIIIe siècle. On croira peut-être avec peine, un jour, le petit fait très-caractéristique que je vais signaler. Pour être libre, à cette époque, de soutenir directement ou indirectement les thèses les plus hardies contre le vice de l'organisation sociale, et de s'abandonner aux espérances les plus vives du sentiment philosophique, il n'était guère possible de s'adresser aux journaux de l'opposition. Les plus avancés n'avaient malheureusement pas assez de lecteurs pour donner une publicité satisfaisante à l'idée qu'on tenait à émettre. Les plus modérés nourrissaient une profonde aversion pour le socialisme, et, dans le courant des dix dernières années de la monarchie de Louis-Philippe, un de ces journaux de l'opposition réformiste, le plus important par son ancienneté et le nombre de ses abonnés, me fit plusieurs fois l'honneur de me demander un roman-feuilleton, toujours à la condition qu'il ne s'y trouverait aucune espèce de tendance socialiste. Cela était bien difficile, impossible peut-être, à un esprit préoccupé des souffrances et des besoins de son siècle. Avec plus ou moins de détours habiles, avec plus ou moins d'effusion et d'entraînement, il n'est guère d'artiste un peu sérieux qui ne se soit laissé impressionner dans son œuvre par les menaces du présent ou les promesses de l'avenir. C'était, d'ailleurs, le temps de dire tout ce qu'on pensait, tout ce qu'on croyait. On le devait, parce qu'on le pouvait. La guerre sociale ne paraissant pas imminente, la monarchie, ne faisant aucune concession aux besoins du peuple, semblait de force à braver plus longtemps qu'elle ne l'a fait le courant des idées.
J'ai écrit le Péché de monsieur Antoine à la campagne, dans une phase de calme extérieur et intérieur, comme il s'en rencontre peu dans la vie des individus. C'était en 1845, époque où la critique de la société réelle et le rêve d'une société idéale atteignirent dans la presse un degré de liberté de développement comparable à celui du XVIIIe siècle. On croira peut-être avec peine, un jour, le petit fait très-caractéristique que je vais signaler. Pour être libre, à cette époque, de soutenir directement ou indirectement les thèses les plus hardies contre le vice de l'organisation sociale, et de s'abandonner aux espérances les plus vives du sentiment philosophique, il n'était guère possible de s'adresser aux journaux de l'opposition. Les plus avancés n'avaient malheureusement pas assez de lecteurs pour donner une publicité satisfaisante à l'idée qu'on tenait à émettre. Les plus modérés nourrissaient une profonde aversion pour le socialisme, et, dans le courant des dix dernières années de la monarchie de Louis-Philippe, un de ces journaux de l'opposition réformiste, le plus important par son ancienneté et le nombre de ses abonnés, me fit plusieurs fois l'honneur de me demander un roman-feuilleton, toujours à la condition qu'il ne s'y trouverait aucune espèce de tendance socialiste. Cela était bien difficile, impossible peut-être, à un esprit préoccupé des souffrances et des besoins de son siècle. Avec plus ou moins de détours habiles, avec plus ou moins d'effusion et d'entraînement, il n'est guère d'artiste un peu sérieux qui ne se soit laissé impressionner dans son œuvre par les menaces du présent ou les promesses de l'avenir. C'était, d'ailleurs, le temps de dire tout ce qu'on pensait, tout ce qu'on croyait. On le devait, parce qu'on le pouvait. La guerre sociale ne paraissant pas imminente, la monarchie, ne faisant aucune concession aux besoins du peuple, semblait de force à braver plus longtemps qu'elle ne l'a fait le courant des idées.