Author: | Pierre Alexis Ponson du Terrail | ISBN: | 1230003272909 |
Publisher: | Calmann-Lévy (Paris) 1879 | Publication: | June 11, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Alexis Ponson du Terrail |
ISBN: | 1230003272909 |
Publisher: | Calmann-Lévy (Paris) 1879 |
Publication: | June 11, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: Le duel improvisé...
Un soir de janvier de l’année 1746, il y avait bal à l’Opéra.
– Toute la cour y sera, s’était dit madame Toinon, costumière et loueuse d’habits, qui logeait dans la rue des Jeux-Neufs, aujourd’hui des Jeûneurs, à l’enseigne de la Batte d’Arlequin.
Et elle avait ajouté :
– Allons, Tony, fais tes préparatifs, tu m’y conduiras. Je t’habillerai en gentilhomme.
– Et vous, patronne, comment serez-vous ?
– Je me mettrai en marquise.
– Avec des mouches ?
– Mais dame !
– Et des paniers ?
– Comme ça !…
Et mame Toinon arrondit ses deux bras en les éloignant le plus possible de son corps, de façon à témoigner de l’ampleur de ses futurs paniers.
Or mame Toinon était une jolie brune, accorte et souriante, qui n’avait guère plus de trente-quatre ans, en paraissait vingt-huit tous les soirs, et était la coqueluche de son quartier. Mame Toinon était veuve ; elle n’avait pas d’enfant et n’avait pas voulu se remarier.
Mais elle avait trouvé un matin, sur le seuil de sa porte, un pauvre petit garçon de huit ans qui grelottait et pleurait, et elle l’avait recueilli.
L’enfant abandonné ne savait ni le nom de son père, ni celui de sa mère ; il savait seulement qu’on l’appelait Tony.
Il paraissait avoir éprouvé un violent effroi qui lui avait fait perdre la mémoire.
Tout ce que mame Toinon en put tirer, c’est que des hommes masqués avaient voulu le tuer.
La costumière prit l’enfant chez elle et l’adopta.
À partir de ce moment, elle ne songea plus à se remarier, et les mauvaises langues de son quartier prétendirent que l’enfant recueilli était son fils, un péché mignon de première jeunesse dont le mari n’avait jamais rien su. Or, à l’époque où commence cette histoire, Tony avait à peine seize ans, mais il était grand et fort, admirablement bien pris et d’une charmante figure, pleine de malice et d’esprit.
On ne l’appelait dans la rue que le beau commis à mame Toinon.
– Ainsi, vous allez au bal ? demanda-t-il à sa mère d’adoption.
– Tiens, pourquoi pas ? répondit-elle en se jetant un coup d’œil passablement admirateur dans la petite glace placée au-dessus du comptoir. Je ne suis pas encore trop déchirée pour une femme de trente-quatre ans, et je pense que la poudre ne va pas toujours aussi bien à de véritables marquises.
Puis mame Toinon, qui, on le voit, n’était pas précisément la modestie en personne, regarda du haut en bas son commis.
– Et toi, dit-elle, mon petit, sais-tu que tu seras charmant avec ce bel habit bleu de ciel à paillettes, cette veste rouge et cette culotte de satin blanc, que j’ai fait faire dernièrement pour ce gentilhomme de province ?…
– Ah ! oui, dit Tony, et qui vous a laissé le tout pour compte, sous prétexte que vous ne vouliez pas lui faire crédit ?
– Justement.
– Et vous croyez que cela m’ira ?
– À ravir.
Tony, à son tour, se mira dans la glace et ne fut pas trop désolé de l’examen.
– Tu seras à croquer, ajouta mame Toinon, en fixant sur son fils adoptif des regards qui n’étaient peut-être pas très maternels.
– Faudra-t-il me faire poudrer ?
– Mais sans doute.
– Et à quelle heure irons-nous ?
– Tout au commencement. À minuit. Tu me feras danser, j’imagine ?
– C’est que je ne sais pas trop bien.
– Bah ! Je te montrerai !…
– Et qui gardera la boutique ?
– Babet, donc.
Babet était l’unique servante de mame Toinon, – une vieille fille honnête et désagréable, qui baissait les yeux et s’efforçait de rougir quand un homme la regardait par hasard.
Tandis qu’ils causaient, un chaland entra dans la boutique. C’était un gentilhomme d’environ trente ans, de belle prestance, aux airs hautains, et posant avec impertinence le poing sur la garde de son épée qu’il portait en verrouil. Il salua mame Toinon de la main, d’un air familier et protecteur et lui prit même un peu le menton.
– Toujours jolie et toujours veuve ! dit-il.
Extrait: Le duel improvisé...
Un soir de janvier de l’année 1746, il y avait bal à l’Opéra.
– Toute la cour y sera, s’était dit madame Toinon, costumière et loueuse d’habits, qui logeait dans la rue des Jeux-Neufs, aujourd’hui des Jeûneurs, à l’enseigne de la Batte d’Arlequin.
Et elle avait ajouté :
– Allons, Tony, fais tes préparatifs, tu m’y conduiras. Je t’habillerai en gentilhomme.
– Et vous, patronne, comment serez-vous ?
– Je me mettrai en marquise.
– Avec des mouches ?
– Mais dame !
– Et des paniers ?
– Comme ça !…
Et mame Toinon arrondit ses deux bras en les éloignant le plus possible de son corps, de façon à témoigner de l’ampleur de ses futurs paniers.
Or mame Toinon était une jolie brune, accorte et souriante, qui n’avait guère plus de trente-quatre ans, en paraissait vingt-huit tous les soirs, et était la coqueluche de son quartier. Mame Toinon était veuve ; elle n’avait pas d’enfant et n’avait pas voulu se remarier.
Mais elle avait trouvé un matin, sur le seuil de sa porte, un pauvre petit garçon de huit ans qui grelottait et pleurait, et elle l’avait recueilli.
L’enfant abandonné ne savait ni le nom de son père, ni celui de sa mère ; il savait seulement qu’on l’appelait Tony.
Il paraissait avoir éprouvé un violent effroi qui lui avait fait perdre la mémoire.
Tout ce que mame Toinon en put tirer, c’est que des hommes masqués avaient voulu le tuer.
La costumière prit l’enfant chez elle et l’adopta.
À partir de ce moment, elle ne songea plus à se remarier, et les mauvaises langues de son quartier prétendirent que l’enfant recueilli était son fils, un péché mignon de première jeunesse dont le mari n’avait jamais rien su. Or, à l’époque où commence cette histoire, Tony avait à peine seize ans, mais il était grand et fort, admirablement bien pris et d’une charmante figure, pleine de malice et d’esprit.
On ne l’appelait dans la rue que le beau commis à mame Toinon.
– Ainsi, vous allez au bal ? demanda-t-il à sa mère d’adoption.
– Tiens, pourquoi pas ? répondit-elle en se jetant un coup d’œil passablement admirateur dans la petite glace placée au-dessus du comptoir. Je ne suis pas encore trop déchirée pour une femme de trente-quatre ans, et je pense que la poudre ne va pas toujours aussi bien à de véritables marquises.
Puis mame Toinon, qui, on le voit, n’était pas précisément la modestie en personne, regarda du haut en bas son commis.
– Et toi, dit-elle, mon petit, sais-tu que tu seras charmant avec ce bel habit bleu de ciel à paillettes, cette veste rouge et cette culotte de satin blanc, que j’ai fait faire dernièrement pour ce gentilhomme de province ?…
– Ah ! oui, dit Tony, et qui vous a laissé le tout pour compte, sous prétexte que vous ne vouliez pas lui faire crédit ?
– Justement.
– Et vous croyez que cela m’ira ?
– À ravir.
Tony, à son tour, se mira dans la glace et ne fut pas trop désolé de l’examen.
– Tu seras à croquer, ajouta mame Toinon, en fixant sur son fils adoptif des regards qui n’étaient peut-être pas très maternels.
– Faudra-t-il me faire poudrer ?
– Mais sans doute.
– Et à quelle heure irons-nous ?
– Tout au commencement. À minuit. Tu me feras danser, j’imagine ?
– C’est que je ne sais pas trop bien.
– Bah ! Je te montrerai !…
– Et qui gardera la boutique ?
– Babet, donc.
Babet était l’unique servante de mame Toinon, – une vieille fille honnête et désagréable, qui baissait les yeux et s’efforçait de rougir quand un homme la regardait par hasard.
Tandis qu’ils causaient, un chaland entra dans la boutique. C’était un gentilhomme d’environ trente ans, de belle prestance, aux airs hautains, et posant avec impertinence le poing sur la garde de son épée qu’il portait en verrouil. Il salua mame Toinon de la main, d’un air familier et protecteur et lui prit même un peu le menton.
– Toujours jolie et toujours veuve ! dit-il.