Author: | Jean Nel | ISBN: | 1230001395334 |
Publisher: | HF | Publication: | October 22, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Jean Nel |
ISBN: | 1230001395334 |
Publisher: | HF |
Publication: | October 22, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ce texte est mise en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait : Un an a passé.
En cachant son âge véritable, Jeannette a pu trouver de l’ouvrage dans une manufacture de cigares. Outre qu’elle rapporte sa petite paye à la maison, ce qui fait qu’elle est un peu moins brutalisée et un peu mieux nourrie, elle est heureuse de pouvoir s’échapper, neuf heures par jour, de l’enfer qu’est devenu le logis, depuis que son père a épousé la Françoise.
Ce n’est pas que cette femme soit foncièrement méchante, mais quand Jeanne songe à ce qu’était sa vraie mère, elle ne peut éprouver que de l’aversion pour la remplaçante à qui il faut chaque jour, — ainsi qu’au père, du reste, — un petit flacon pour « se ramener ».
Malgré les coups, le travail et les chagrins, l’enfant s’est considérablement transformée pendant cette année ; elle se développe rapidement et l’on devine quelle créature charmante elle sera bientôt. Mais ses yeux ont gardé toute leur limpidité et son cœur toute son innocence.
Elle a su se faire aimer de toutes ses petites camarades de manufacture, à peine plus âgées qu’elle, et qui ne manquent jamais de lui donner sa part des petites friandises qu’elles apportent.
Un jour de paye, elle décide de leur rendre la politesse. Elle sait bien qu’elle risque d’être battue si elle n’apporte pas à son père la somme au complet, mais elle a honte de toujours accepter et de ne jamais offrir. Aussi, elle achète des gâteaux et, comme il fait un temps superbe, les fillettes décident d’aller les manger au parc Lafontaine.
Et voici la bande joyeuse s’engouffrant dans un tramway, au coin des rues Saint-Laurent et Ontario, riant de tout, du soleil, qui répand la gaieté, du jeune homme, qui fait un clin d’œil, du vieux juif, qu’on bouscule un peu et qui grogne dans sa barbe, du conducteur, qui proteste parce qu’il n’a pas son compte de billets, mais riant surtout à l’idée de l’escapade innocente, image du grand élan vers la Liberté qu’éprouvent toutes les pauvres gens.
Les réflexions gamines et ingénues apportent un souffle de fraîcheur dans le triste véhicule.
Même joie pendant le transfert à la rue Amherst !
Enfin, voici le parc, resplendissant sous la toilette neuve que vient de lui faire le roi Printemps.
Les enfants s’élancent, s’ébrouant comme le ferait un chevreau libéré de son entrave, et ce sont de nouveaux rires, provoqués par un couple d’amoureux dont les yeux, perdus dans un rêve d’avenir, semblent regarder passer un tram. On rit encore des canards, qui se dandinent en allant se réfugier dans le lac, des cygnes, qui font un peu peur quand ils avancent leur bec menaçant, des fameuses gondoles aussi, qui ont fait des petits depuis le temps de l’échevin Noé.
Ce texte est mise en page pour une lecture sur liseuse électronique.
Extrait : Un an a passé.
En cachant son âge véritable, Jeannette a pu trouver de l’ouvrage dans une manufacture de cigares. Outre qu’elle rapporte sa petite paye à la maison, ce qui fait qu’elle est un peu moins brutalisée et un peu mieux nourrie, elle est heureuse de pouvoir s’échapper, neuf heures par jour, de l’enfer qu’est devenu le logis, depuis que son père a épousé la Françoise.
Ce n’est pas que cette femme soit foncièrement méchante, mais quand Jeanne songe à ce qu’était sa vraie mère, elle ne peut éprouver que de l’aversion pour la remplaçante à qui il faut chaque jour, — ainsi qu’au père, du reste, — un petit flacon pour « se ramener ».
Malgré les coups, le travail et les chagrins, l’enfant s’est considérablement transformée pendant cette année ; elle se développe rapidement et l’on devine quelle créature charmante elle sera bientôt. Mais ses yeux ont gardé toute leur limpidité et son cœur toute son innocence.
Elle a su se faire aimer de toutes ses petites camarades de manufacture, à peine plus âgées qu’elle, et qui ne manquent jamais de lui donner sa part des petites friandises qu’elles apportent.
Un jour de paye, elle décide de leur rendre la politesse. Elle sait bien qu’elle risque d’être battue si elle n’apporte pas à son père la somme au complet, mais elle a honte de toujours accepter et de ne jamais offrir. Aussi, elle achète des gâteaux et, comme il fait un temps superbe, les fillettes décident d’aller les manger au parc Lafontaine.
Et voici la bande joyeuse s’engouffrant dans un tramway, au coin des rues Saint-Laurent et Ontario, riant de tout, du soleil, qui répand la gaieté, du jeune homme, qui fait un clin d’œil, du vieux juif, qu’on bouscule un peu et qui grogne dans sa barbe, du conducteur, qui proteste parce qu’il n’a pas son compte de billets, mais riant surtout à l’idée de l’escapade innocente, image du grand élan vers la Liberté qu’éprouvent toutes les pauvres gens.
Les réflexions gamines et ingénues apportent un souffle de fraîcheur dans le triste véhicule.
Même joie pendant le transfert à la rue Amherst !
Enfin, voici le parc, resplendissant sous la toilette neuve que vient de lui faire le roi Printemps.
Les enfants s’élancent, s’ébrouant comme le ferait un chevreau libéré de son entrave, et ce sont de nouveaux rires, provoqués par un couple d’amoureux dont les yeux, perdus dans un rêve d’avenir, semblent regarder passer un tram. On rit encore des canards, qui se dandinent en allant se réfugier dans le lac, des cygnes, qui font un peu peur quand ils avancent leur bec menaçant, des fameuses gondoles aussi, qui ont fait des petits depuis le temps de l’échevin Noé.