Author: | Pierre Alexis Ponson du Terrail | ISBN: | 1230003272831 |
Publisher: | Paris : E. Dentu, 1865 | Publication: | June 11, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Alexis Ponson du Terrail |
ISBN: | 1230003272831 |
Publisher: | Paris : E. Dentu, 1865 |
Publication: | June 11, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: Il y a quelques mois de cela.
Accoudé tristement à la fenêtre de la petite maison que j’habite dans l’avenue Frochot, tout en haut de la colline blanche que l’on appelle la butte Saint-Georges, et plus ordinairement encore le quartier Breda, je contemplais mélancoliquement cette ville joyeuse de notre jeunesse que tous ceux que j’avais connus et aimés ont désertée un à un.
J’étais maussade et triste, et j’avais, le matin, entendu sonner ma trente-quatrième année.
Où étaient-ils tous ceux qui avaient rêvé, les uns la renommée, les autres la fortune, et tous, l’amour ?
Où étaient-elles, ces bonnes compagnes de nos vingt ans dont le rire retentissait dans nos mansardes et dans nos ateliers ?
Celui-ci était devenu célèbre, – celle-là s’en allait au bois dans un huit-ressorts. Cette autre était applaudie chaque soir au Gymnase ou au Palais-Royal…
Et comme je songeais au passé, on m’apporta une lettre que je transcris ici et qui sera la meilleure préface qu’on puisse faire à ce livre qui n’est pas un roman et dont je ne suis pour ainsi dire que l’éditeur :
« Mon cher ami,
« C’est une recluse qui t’écrit, une exilée du monde, réfugiée dans un nid de verdure, à cent lieues de notre Paris, où je ne retournerai peut-être jamais.
« Car Juliette est morte, mon bon ami ; elle est morte la soubrette piquante à l’œil effronté, morte la coquette pour qui on a fait tant de folies ; morte la Dorine du théâtre français de Saint-Pétersbourg.
« Je crois même que son cœur a été enterré au Caucase, le lendemain d’un combat meurtrier, avec la dépouille d’un général de trente-six ans.
« Mais, chut ! ceci est un secret qui n’est plus à moi seule, et j’estime que le plus sacré de tous est celui qu’on partage avec une tombe.
« Juliette est donc morte, le mois dernier, comme poussaient les dernières feuilles et s’épanouissaient les premières roses.
« Elle avait juste, ce jour-là, trente-quatre ans, et plus rien dans le cœur, si ce n’est un souvenir.
« Que veux-tu que devienne une femme de cet âge qui n’ose plus aimer, et qui, peut-être, ne le pourrait plus ?
« Rentrer au théâtre ? m’exposer, après deux années passées à l’étranger, aux coups de plume de quelque petit journaliste qui me trouvera engraissée ?
Extrait: Il y a quelques mois de cela.
Accoudé tristement à la fenêtre de la petite maison que j’habite dans l’avenue Frochot, tout en haut de la colline blanche que l’on appelle la butte Saint-Georges, et plus ordinairement encore le quartier Breda, je contemplais mélancoliquement cette ville joyeuse de notre jeunesse que tous ceux que j’avais connus et aimés ont désertée un à un.
J’étais maussade et triste, et j’avais, le matin, entendu sonner ma trente-quatrième année.
Où étaient-ils tous ceux qui avaient rêvé, les uns la renommée, les autres la fortune, et tous, l’amour ?
Où étaient-elles, ces bonnes compagnes de nos vingt ans dont le rire retentissait dans nos mansardes et dans nos ateliers ?
Celui-ci était devenu célèbre, – celle-là s’en allait au bois dans un huit-ressorts. Cette autre était applaudie chaque soir au Gymnase ou au Palais-Royal…
Et comme je songeais au passé, on m’apporta une lettre que je transcris ici et qui sera la meilleure préface qu’on puisse faire à ce livre qui n’est pas un roman et dont je ne suis pour ainsi dire que l’éditeur :
« Mon cher ami,
« C’est une recluse qui t’écrit, une exilée du monde, réfugiée dans un nid de verdure, à cent lieues de notre Paris, où je ne retournerai peut-être jamais.
« Car Juliette est morte, mon bon ami ; elle est morte la soubrette piquante à l’œil effronté, morte la coquette pour qui on a fait tant de folies ; morte la Dorine du théâtre français de Saint-Pétersbourg.
« Je crois même que son cœur a été enterré au Caucase, le lendemain d’un combat meurtrier, avec la dépouille d’un général de trente-six ans.
« Mais, chut ! ceci est un secret qui n’est plus à moi seule, et j’estime que le plus sacré de tous est celui qu’on partage avec une tombe.
« Juliette est donc morte, le mois dernier, comme poussaient les dernières feuilles et s’épanouissaient les premières roses.
« Elle avait juste, ce jour-là, trente-quatre ans, et plus rien dans le cœur, si ce n’est un souvenir.
« Que veux-tu que devienne une femme de cet âge qui n’ose plus aimer, et qui, peut-être, ne le pourrait plus ?
« Rentrer au théâtre ? m’exposer, après deux années passées à l’étranger, aux coups de plume de quelque petit journaliste qui me trouvera engraissée ?