Les Secrets de la Princesse de Cadignan

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les Secrets de la Princesse de Cadignan by HONORE DE BALZAC, GILBERT TEROL
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Author: HONORE DE BALZAC ISBN: 1230000212841
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 25, 2014
Imprint: Language: French
Author: HONORE DE BALZAC
ISBN: 1230000212841
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 25, 2014
Imprint:
Language: French

Après les désastres de la Révolution de Juillet qui détruisit plusieurs fortunes aristocratiques soutenues par la Cour, madame la princesse de Cadignan eut l’habileté de mettre sur le compte des événements politiques la ruine complète due à ses prodigalités. Le prince avait quitté la France avec la famille royale en laissant la princesse à Paris, inviolable par le fait de son absence, car les dettes, à l’acquittement desquelles la vente des propriétés vendables ne pouvait suffire, ne pesaient que sur lui. Les revenus du majorat avaient été saisis. Enfin les affaires de cette grande famille se trouvaient en aussi mauvais état que celles de la branche aînée des Bourbons.

Cette femme, si célèbre sous son premier nom de duchesse de Maufrigneuse, prit alors sagement le parti de vivre dans une profonde retraite, et voulut se faire oublier. Paris fut emporté par un courant d’événements si vertigineux, que bientôt la duchesse de Maufrigneuse, enterrée dans la princesse de Cadignan, mutation de nom inconnue à la plupart des nouveaux acteurs de la société mis en scène par la Révolution de Juillet, devint comme une étrangère.

En France, le titre de duc prime tous les autres, même celui de prince, quoiqu’en thèse héraldique pure de tout sophisme, les titres ne signifient absolument rien, et qu’il y ait égalité parfaite entre les gentilshommes. Cette admirable égalité fut jadis soigneusement maintenue par la maison de France ; et, de nos jours, elle l’est encore, au moins nominalement, par le soin qu’ont les rois de donner de simples titres de comtes à leurs enfants. Ce fut en vertu de ce système que François Ier écrasa la splendeur des titres que se donnait le pompeux Charles-Quint en lui signant une réponse : François, seigneur de Vanves. Louis XI avait fait mieux encore, en mariant sa fille à un gentilhomme sans titre, à Pierre de Beaujeu. Le système féodal fut si bien brisé par Louis XIV, que le titre de duc devint dans sa monarchie le suprême honneur de l’aristocratie, et le plus envié. Néanmoins, il est deux ou trois familles en France où la principauté, richement possessionnée autrefois, est mise au-dessus du duché. La maison de Cadignan, qui possède le titre de duc Maufrigneuse pour ses fils aînés, tandis que tous les autres se nomment simplement chevaliers de Cadignan, est une de ces familles exceptionnelles. Comme autrefois deux princes de la maison de Rohan, les princes de Cadignan avaient droit à un trône chez eux ; ils pouvaient avoir des pages, des gentilshommes à leur service. Cette explication est nécessaire, autant pour les sottes critiques de ceux qui ne savent rien que pour constater les grandes choses d’un monde qui, dit-on, s’en va, et que tant de gens poussent sans le comprendre. Les Cadignan portent d’or à cinq fusées de sable accolées et mises en face, avec le mot MEMINI pour devise, et la couronne fermée, sans tenants ni lambrequins. Aujourd’hui la grande quantité d’étrangers qui affluent à Paris et une ignorance presque générale de la science héraldique commencent à mettre le titre de prince à la mode. Il n’y a de vrais princes que ceux qui sont possessionnés et auxquels appartient le titre d’Altesse. Le dédain de la noblesse française pour le titre de prince, et les raisons qu’avait Louis XIV de donner la suprématie au titre de duc, ont empêché la France de réclamer l’altesse pour les quelques princes qui existent en France, ceux de Napoléon exceptés. Telle est la raison pour laquelle les princes de Cadignan se trouvent dans une position inférieure, nominalement parlant, vis-à-vis des autres princes du continent.

Les personnes de la société dite du faubourg Saint-Germain protégeaient la princesse par une discrétion respectueuse due à son nom, lequel est de ceux qu’on honorera toujours, à ses malheurs que l’on ne discutait plus, et à sa beauté, la seule chose qu’elle eût conservée de son opulence éteinte. Le monde, dont elle fut l’ornement, lui savait gré d’avoir pris en quelque sorte le voile en se cloîtrant chez elle. Ce bon goût était pour elle, plus que pour toute autre femme, un immense sacrifice. Les grandes choses sont toujours si vivement senties en France, que la princesse regagna par sa retraite tout ce qu’elle avait pu perdre dans l’opinion publique au milieu de ses splendeurs. Elle ne voyait plus qu’une seule de ses anciennes amies, la marquise d’Espard ; encore n’allait-elle ni aux grandes réunions, ni aux fêtes. La princesse et la marquise se visitaient dans la première matinée, et comme en secret. Quand la princesse venait dîner chez son amie, la marquise fermait sa porte. Madame d’Espard fut admirable pour la princesse : elle changea de loge aux Italiens, et quitta les Premières pour une Baignoire du Rez-de-chaussée, en sorte que madame de Cadignan pouvait venir au théâtre sans être vue, et en partir incognito. Peu de femmes eussent été capables d’une délicatesse qui les eût privées du plaisir de traîner à leur suite une ancienne rivale tombée, de sans dire la bienfaitrice. Dispensée ainsi de faire des toilettes ruineuses, la princesse allait en secret dans la voiture de la marquise, qu’elle n’eût pas acceptée publiquement. Personne n’a jamais su les raisons qu’eut madame d’Espard pour se conduire ainsi avec la princesse de Cadignan ; mais sa conduite fut sublime, et comporta pendant longtemps un monde de petites choses qui, vues une à une, semblent être des niaiseries, et qui, vues en masse, atteignent au gigantesque.

En 1832, trois années avaient jeté leurs tas de neige sur les aventures de la duchesse de Maufrigneuse, et l’avaient si bien blanchie qu’il fallait de grands efforts de mémoire pour se rappeler les circonstances graves de sa vie antérieure. De cette reine adorée par tant de courtisans, et dont les légèretés pouvaient défrayer plusieurs romans, il restait une femme encore délicieusement belle, âgée de trente-six ans, mais autorisée à ne s’en donner que trente, quoiqu’elle fût mère du duc Georges de Maufrigneuse, jeune homme de dix-neuf ans, beau comme Antinoüs, pauvre comme Job, qui devait avoir les plus grands succès, et que sa mère voulait avant tout marier richement.

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Après les désastres de la Révolution de Juillet qui détruisit plusieurs fortunes aristocratiques soutenues par la Cour, madame la princesse de Cadignan eut l’habileté de mettre sur le compte des événements politiques la ruine complète due à ses prodigalités. Le prince avait quitté la France avec la famille royale en laissant la princesse à Paris, inviolable par le fait de son absence, car les dettes, à l’acquittement desquelles la vente des propriétés vendables ne pouvait suffire, ne pesaient que sur lui. Les revenus du majorat avaient été saisis. Enfin les affaires de cette grande famille se trouvaient en aussi mauvais état que celles de la branche aînée des Bourbons.

Cette femme, si célèbre sous son premier nom de duchesse de Maufrigneuse, prit alors sagement le parti de vivre dans une profonde retraite, et voulut se faire oublier. Paris fut emporté par un courant d’événements si vertigineux, que bientôt la duchesse de Maufrigneuse, enterrée dans la princesse de Cadignan, mutation de nom inconnue à la plupart des nouveaux acteurs de la société mis en scène par la Révolution de Juillet, devint comme une étrangère.

En France, le titre de duc prime tous les autres, même celui de prince, quoiqu’en thèse héraldique pure de tout sophisme, les titres ne signifient absolument rien, et qu’il y ait égalité parfaite entre les gentilshommes. Cette admirable égalité fut jadis soigneusement maintenue par la maison de France ; et, de nos jours, elle l’est encore, au moins nominalement, par le soin qu’ont les rois de donner de simples titres de comtes à leurs enfants. Ce fut en vertu de ce système que François Ier écrasa la splendeur des titres que se donnait le pompeux Charles-Quint en lui signant une réponse : François, seigneur de Vanves. Louis XI avait fait mieux encore, en mariant sa fille à un gentilhomme sans titre, à Pierre de Beaujeu. Le système féodal fut si bien brisé par Louis XIV, que le titre de duc devint dans sa monarchie le suprême honneur de l’aristocratie, et le plus envié. Néanmoins, il est deux ou trois familles en France où la principauté, richement possessionnée autrefois, est mise au-dessus du duché. La maison de Cadignan, qui possède le titre de duc Maufrigneuse pour ses fils aînés, tandis que tous les autres se nomment simplement chevaliers de Cadignan, est une de ces familles exceptionnelles. Comme autrefois deux princes de la maison de Rohan, les princes de Cadignan avaient droit à un trône chez eux ; ils pouvaient avoir des pages, des gentilshommes à leur service. Cette explication est nécessaire, autant pour les sottes critiques de ceux qui ne savent rien que pour constater les grandes choses d’un monde qui, dit-on, s’en va, et que tant de gens poussent sans le comprendre. Les Cadignan portent d’or à cinq fusées de sable accolées et mises en face, avec le mot MEMINI pour devise, et la couronne fermée, sans tenants ni lambrequins. Aujourd’hui la grande quantité d’étrangers qui affluent à Paris et une ignorance presque générale de la science héraldique commencent à mettre le titre de prince à la mode. Il n’y a de vrais princes que ceux qui sont possessionnés et auxquels appartient le titre d’Altesse. Le dédain de la noblesse française pour le titre de prince, et les raisons qu’avait Louis XIV de donner la suprématie au titre de duc, ont empêché la France de réclamer l’altesse pour les quelques princes qui existent en France, ceux de Napoléon exceptés. Telle est la raison pour laquelle les princes de Cadignan se trouvent dans une position inférieure, nominalement parlant, vis-à-vis des autres princes du continent.

Les personnes de la société dite du faubourg Saint-Germain protégeaient la princesse par une discrétion respectueuse due à son nom, lequel est de ceux qu’on honorera toujours, à ses malheurs que l’on ne discutait plus, et à sa beauté, la seule chose qu’elle eût conservée de son opulence éteinte. Le monde, dont elle fut l’ornement, lui savait gré d’avoir pris en quelque sorte le voile en se cloîtrant chez elle. Ce bon goût était pour elle, plus que pour toute autre femme, un immense sacrifice. Les grandes choses sont toujours si vivement senties en France, que la princesse regagna par sa retraite tout ce qu’elle avait pu perdre dans l’opinion publique au milieu de ses splendeurs. Elle ne voyait plus qu’une seule de ses anciennes amies, la marquise d’Espard ; encore n’allait-elle ni aux grandes réunions, ni aux fêtes. La princesse et la marquise se visitaient dans la première matinée, et comme en secret. Quand la princesse venait dîner chez son amie, la marquise fermait sa porte. Madame d’Espard fut admirable pour la princesse : elle changea de loge aux Italiens, et quitta les Premières pour une Baignoire du Rez-de-chaussée, en sorte que madame de Cadignan pouvait venir au théâtre sans être vue, et en partir incognito. Peu de femmes eussent été capables d’une délicatesse qui les eût privées du plaisir de traîner à leur suite une ancienne rivale tombée, de sans dire la bienfaitrice. Dispensée ainsi de faire des toilettes ruineuses, la princesse allait en secret dans la voiture de la marquise, qu’elle n’eût pas acceptée publiquement. Personne n’a jamais su les raisons qu’eut madame d’Espard pour se conduire ainsi avec la princesse de Cadignan ; mais sa conduite fut sublime, et comporta pendant longtemps un monde de petites choses qui, vues une à une, semblent être des niaiseries, et qui, vues en masse, atteignent au gigantesque.

En 1832, trois années avaient jeté leurs tas de neige sur les aventures de la duchesse de Maufrigneuse, et l’avaient si bien blanchie qu’il fallait de grands efforts de mémoire pour se rappeler les circonstances graves de sa vie antérieure. De cette reine adorée par tant de courtisans, et dont les légèretés pouvaient défrayer plusieurs romans, il restait une femme encore délicieusement belle, âgée de trente-six ans, mais autorisée à ne s’en donner que trente, quoiqu’elle fût mère du duc Georges de Maufrigneuse, jeune homme de dix-neuf ans, beau comme Antinoüs, pauvre comme Job, qui devait avoir les plus grands succès, et que sa mère voulait avant tout marier richement.

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