Les trois villes Paris, Lourdes, Rome

Fiction & Literature, Classics, Romance
Cover of the book Les trois villes Paris, Lourdes, Rome by Emile Zola, Largau
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Author: Emile Zola ISBN: 1230000259171
Publisher: Largau Publication: August 9, 2014
Imprint: Language: French
Author: Emile Zola
ISBN: 1230000259171
Publisher: Largau
Publication: August 9, 2014
Imprint:
Language: French

Ce matin-là, vers la fin de janvier, l’abbé Pierre Froment, qui avait une messe à dire au Sacré-Cœur de Montmartre, se retrouvait dès huit heures sur la Butte devant la basilique. Et, avant d’entrer, un instant il regarda Paris, dont la mer immense se déroulait à ses pieds.
 C’était, après deux mois de froid terrible, de neige et de glace, un Paris noyé sous un dégel morne et frissonnant. Du vaste ciel, couleur de plomb, tombait le deuil d’une brume épaisse. Tout l’est de la ville, les quartiers de misère et de travail, semblaient submergés dans des fumées roussâtres, où l’on devinait le souffle des chantiers et des usines ; tandis que, vers l’ouest, vers les quartiers de richesse et de jouissance, la débâcle du brouillard s’éclairait, n’était plus qu’un voile fin, immobile de vapeur. On devinait à peine la ligne ronde de l’horizon, le champ sans bornes des maisons apparaissait tel qu’un chaos de pierres, semé de mares stagnantes, qui emplissaient les creux d’une buée pâle, et sur lesquelles se détachaient les crêtes des édifices et des rues hautes, d’un noir de suie. Un Paris de mystère, voilé de nuées, comme enseveli sous la cendre de quelque désastre, disparu à demi déjà dans la souffrance et dans la honte de ce que son immensité cachait.
 Pierre regardait, maigre et sombre, vêtu de sa soutane mince, lorsque l’abbé Rose, qui semblait s’être abrité derrière un pilier du porche, pour le guetter, vint à sa rencontre.
 « Ah ! c’est vous enfin, mon cher enfant. J’ai quelque chose à vous demander. »
 Il semblait gêné, inquiet. D’un regard méfiant, il s’assura que personne n’était là. Puis, comme si la solitude ne suffisait pas à la rassurer il l’emmena à quelque distance, dans la bise glaciale qui soufflait, et qu’il paraissait ne pas sentir.

« Voici, c’est un pauvre homme dont on m’a parlé, un ancien ouvrier peintre, un vieillard de soixante-dix ans, qui naturellement ne peut plus travailler, et qui est en train de mourir de faim, dans un taudis de la rue des Saules... Alors, mon cher enfant, j’ai songé à vous, j’ai pensé que vous consentiriez à lui porter ces trois francs de ma part, pour qu’il ait au moins du pain pendant quelques jours.
 - Mais pourquoi n’allez-vous pas lui faire votre aumône vous-même ? »
 De nouveau, l’abbé Rose s’inquiéta, s’effara, avec des regards peureux et confus.
 « Oh ! non, oh ! non, je ne peux plus, moi, après tous les ennuis qui me sont arrivés. Vous savez qu’on me surveille et qu’on me gronderait encore, si l’on me surprenait à donner ainsi, sans bien savoir à qui je donne. Il est vrai que, pour avoir ces trois francs, j’ai dû vendre quelque chose... Je vous en supplie, mon cher enfant, rendez-moi ce service. »
 Le cœur serré, Pierre considérait le bon prêtre tout blanc, avec sa grosse bouche de bonté, ses yeux clairs d’enfant, dans sa face ronde et souriante. Et l’histoire de cet amant de la pauvreté lui revenait en un flot d’amertume, la disgrâce où il était tombé, pour sa candeur sublime de saint homme charitable. Son petit rez-de-chaussée de la rue de Charonne, dont il faisait un asile, où il recueillait toutes les misères de la rue, avait fini par devenir une cause de scandale. On y abusait de sa naïveté, de son innocence, et des abominations se passaient chez lui, sans qu’il les soupçonnât. Des filles y allaient, lorsqu’elles n’avaient pas trouvé d’hommes pour les emmener. D’infâmes rendez-vous s’y donnaient, toute une promiscuité monstrueuse. 

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Ce matin-là, vers la fin de janvier, l’abbé Pierre Froment, qui avait une messe à dire au Sacré-Cœur de Montmartre, se retrouvait dès huit heures sur la Butte devant la basilique. Et, avant d’entrer, un instant il regarda Paris, dont la mer immense se déroulait à ses pieds.
 C’était, après deux mois de froid terrible, de neige et de glace, un Paris noyé sous un dégel morne et frissonnant. Du vaste ciel, couleur de plomb, tombait le deuil d’une brume épaisse. Tout l’est de la ville, les quartiers de misère et de travail, semblaient submergés dans des fumées roussâtres, où l’on devinait le souffle des chantiers et des usines ; tandis que, vers l’ouest, vers les quartiers de richesse et de jouissance, la débâcle du brouillard s’éclairait, n’était plus qu’un voile fin, immobile de vapeur. On devinait à peine la ligne ronde de l’horizon, le champ sans bornes des maisons apparaissait tel qu’un chaos de pierres, semé de mares stagnantes, qui emplissaient les creux d’une buée pâle, et sur lesquelles se détachaient les crêtes des édifices et des rues hautes, d’un noir de suie. Un Paris de mystère, voilé de nuées, comme enseveli sous la cendre de quelque désastre, disparu à demi déjà dans la souffrance et dans la honte de ce que son immensité cachait.
 Pierre regardait, maigre et sombre, vêtu de sa soutane mince, lorsque l’abbé Rose, qui semblait s’être abrité derrière un pilier du porche, pour le guetter, vint à sa rencontre.
 « Ah ! c’est vous enfin, mon cher enfant. J’ai quelque chose à vous demander. »
 Il semblait gêné, inquiet. D’un regard méfiant, il s’assura que personne n’était là. Puis, comme si la solitude ne suffisait pas à la rassurer il l’emmena à quelque distance, dans la bise glaciale qui soufflait, et qu’il paraissait ne pas sentir.

« Voici, c’est un pauvre homme dont on m’a parlé, un ancien ouvrier peintre, un vieillard de soixante-dix ans, qui naturellement ne peut plus travailler, et qui est en train de mourir de faim, dans un taudis de la rue des Saules... Alors, mon cher enfant, j’ai songé à vous, j’ai pensé que vous consentiriez à lui porter ces trois francs de ma part, pour qu’il ait au moins du pain pendant quelques jours.
 - Mais pourquoi n’allez-vous pas lui faire votre aumône vous-même ? »
 De nouveau, l’abbé Rose s’inquiéta, s’effara, avec des regards peureux et confus.
 « Oh ! non, oh ! non, je ne peux plus, moi, après tous les ennuis qui me sont arrivés. Vous savez qu’on me surveille et qu’on me gronderait encore, si l’on me surprenait à donner ainsi, sans bien savoir à qui je donne. Il est vrai que, pour avoir ces trois francs, j’ai dû vendre quelque chose... Je vous en supplie, mon cher enfant, rendez-moi ce service. »
 Le cœur serré, Pierre considérait le bon prêtre tout blanc, avec sa grosse bouche de bonté, ses yeux clairs d’enfant, dans sa face ronde et souriante. Et l’histoire de cet amant de la pauvreté lui revenait en un flot d’amertume, la disgrâce où il était tombé, pour sa candeur sublime de saint homme charitable. Son petit rez-de-chaussée de la rue de Charonne, dont il faisait un asile, où il recueillait toutes les misères de la rue, avait fini par devenir une cause de scandale. On y abusait de sa naïveté, de son innocence, et des abominations se passaient chez lui, sans qu’il les soupçonnât. Des filles y allaient, lorsqu’elles n’avaient pas trouvé d’hommes pour les emmener. D’infâmes rendez-vous s’y donnaient, toute une promiscuité monstrueuse. 

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