Author: | Edmond About | ISBN: | 1230002999678 |
Publisher: | Paris : Hachette, 1863 | Publication: | December 20, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Edmond About |
ISBN: | 1230002999678 |
Publisher: | Paris : Hachette, 1863 |
Publication: | December 20, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: --MADELON.--- OU L’HÉROINE DE CE ROMAN MONTRE LA PASSE DE SON CHAPEAU.--
Le samedi 22 décembre 1839, par un beau soleil couchant, entre quatre et cinq heures, deux jeunes gens de bonne mine discutaient au pied d’un orme des Champs-Élysées. Le plus élégant des deux, M. Belley, était un fils de riche cordonnier, attaché par faveur aux Affaires étrangères, et mille fois plus aristocrate depuis trois ans que le maréchal de Richelieu. L’autre, un peu négligé dans toute sa personne, était le comte de Mayran, démocrate à tous crins, sculpteur passionné et élève de l’atelier de David, en attendant qu’il devînt millionnaire et marquis. Ces messieurs, si éloignés l’un de l’autre par la naissance et l’éducation, étaient liés ensemble comme on l’est à Paris, sans savoir ni comment ni pourquoi ; leur amitié vivait d’un éternel contraste. Pour le moment, ils étaient sous l’impression d’un fait assez étrange qui venait de se passer sous leurs yeux, et qui les avait frappés le plus diversement du monde.
« C’est révoltant, disait le comte.
— C’est superbe ! disait l’attaché.
— C’est le comble de l’impertinence !
— Soit ; mais l’impertinence lui sied bien. On est grand seigneur, ou l’on ne l’est pas.
— Il n’y a plus de grands seigneurs !
— Tu vois bien que si !
— Je lui aurais prouvé que non, si j’avais été dans la foule !
— Il s’agit bien de toi ! On sait à qui l’on s’adresse, que diable ! Il n’a tapé que sur la canaille.
— Raison de plus ! c’est lâche.
— Non, car ces gens-là étaient mille contre un, et il risquait de se faire assommer.
— On lui aurait rendu justice, mon cher Belley.
— Mon cher Mayran, je ne t’ai jamais vu si peuple !
— C’est sans doute parce que tu ne t’es jamais montré si gentilhomme !
— Ksss ! ksss ! mords là ! » fit un nouvel interlocuteur, en allongeant la tête entre les deux amis.
Celui qui entrait si familièrement dans le dialogue était un joli garçon de vingt-huit à trente ans. On l’appelait Gérard Bonnevelle, et tout le monde l’aimait bien, entre le rond-point des Champs-Élysées et le boulevard de Tortoni. Neveu de l’honorable M. Champion, député, directeur général au ministère de la marine, etc., etc., il s’était laissé nommer sous-rédacteur au cabinet de S. Exc. le ministre de l’agriculture et du commerce ; mais sa véritable profession consistait à échanger des poignées de main avec les jeunes Parisiens de son âge. Sa belle moustache brune, son courage bien prouvé, sa bonne humeur et une certaine réputation d’homme d’esprit lui avaient fait une autre spécialité : il était à la mode dans les petits boudoirs. Les femmes qui font profession de n’aimer rien trouvaient le temps de l’adorer pour lui-même ; les portes qu’on n’ouvre point sans la clef d’or, s’entrebâillaient spontanément, lorsqu’il se présentait un bouquet à la main. Heureux enfant !… Trop heureux même. Car les bouquets, les bonbons, les soupers fins, les loges grillées et autres menus accessoires avaient dévoré complètement un patrimoine de deux cent mille écus (somme énorme pour l’époque), dans l’espace de cinq ou six ans. Le jour n’était pas loin où ce brillant Gérard, préféré par la plus jolie femme du monde galant, devrait se ranger ou s’endetter, à son choix. A moins que l’oncle Champion !… mais l’oncle, ancien professeur de morale économique, cumulait pour lui seul les neuf ou dix traitements dont il était surchargé par la confiance de son pays. Il n’avait aucune parenté avec son bienfaisant homonyme, l’homme au petit manteau bleu.....
Extrait: --MADELON.--- OU L’HÉROINE DE CE ROMAN MONTRE LA PASSE DE SON CHAPEAU.--
Le samedi 22 décembre 1839, par un beau soleil couchant, entre quatre et cinq heures, deux jeunes gens de bonne mine discutaient au pied d’un orme des Champs-Élysées. Le plus élégant des deux, M. Belley, était un fils de riche cordonnier, attaché par faveur aux Affaires étrangères, et mille fois plus aristocrate depuis trois ans que le maréchal de Richelieu. L’autre, un peu négligé dans toute sa personne, était le comte de Mayran, démocrate à tous crins, sculpteur passionné et élève de l’atelier de David, en attendant qu’il devînt millionnaire et marquis. Ces messieurs, si éloignés l’un de l’autre par la naissance et l’éducation, étaient liés ensemble comme on l’est à Paris, sans savoir ni comment ni pourquoi ; leur amitié vivait d’un éternel contraste. Pour le moment, ils étaient sous l’impression d’un fait assez étrange qui venait de se passer sous leurs yeux, et qui les avait frappés le plus diversement du monde.
« C’est révoltant, disait le comte.
— C’est superbe ! disait l’attaché.
— C’est le comble de l’impertinence !
— Soit ; mais l’impertinence lui sied bien. On est grand seigneur, ou l’on ne l’est pas.
— Il n’y a plus de grands seigneurs !
— Tu vois bien que si !
— Je lui aurais prouvé que non, si j’avais été dans la foule !
— Il s’agit bien de toi ! On sait à qui l’on s’adresse, que diable ! Il n’a tapé que sur la canaille.
— Raison de plus ! c’est lâche.
— Non, car ces gens-là étaient mille contre un, et il risquait de se faire assommer.
— On lui aurait rendu justice, mon cher Belley.
— Mon cher Mayran, je ne t’ai jamais vu si peuple !
— C’est sans doute parce que tu ne t’es jamais montré si gentilhomme !
— Ksss ! ksss ! mords là ! » fit un nouvel interlocuteur, en allongeant la tête entre les deux amis.
Celui qui entrait si familièrement dans le dialogue était un joli garçon de vingt-huit à trente ans. On l’appelait Gérard Bonnevelle, et tout le monde l’aimait bien, entre le rond-point des Champs-Élysées et le boulevard de Tortoni. Neveu de l’honorable M. Champion, député, directeur général au ministère de la marine, etc., etc., il s’était laissé nommer sous-rédacteur au cabinet de S. Exc. le ministre de l’agriculture et du commerce ; mais sa véritable profession consistait à échanger des poignées de main avec les jeunes Parisiens de son âge. Sa belle moustache brune, son courage bien prouvé, sa bonne humeur et une certaine réputation d’homme d’esprit lui avaient fait une autre spécialité : il était à la mode dans les petits boudoirs. Les femmes qui font profession de n’aimer rien trouvaient le temps de l’adorer pour lui-même ; les portes qu’on n’ouvre point sans la clef d’or, s’entrebâillaient spontanément, lorsqu’il se présentait un bouquet à la main. Heureux enfant !… Trop heureux même. Car les bouquets, les bonbons, les soupers fins, les loges grillées et autres menus accessoires avaient dévoré complètement un patrimoine de deux cent mille écus (somme énorme pour l’époque), dans l’espace de cinq ou six ans. Le jour n’était pas loin où ce brillant Gérard, préféré par la plus jolie femme du monde galant, devrait se ranger ou s’endetter, à son choix. A moins que l’oncle Champion !… mais l’oncle, ancien professeur de morale économique, cumulait pour lui seul les neuf ou dix traitements dont il était surchargé par la confiance de son pays. Il n’avait aucune parenté avec son bienfaisant homonyme, l’homme au petit manteau bleu.....