Author: | Arthur Conan Doyle | ISBN: | 1230003187500 |
Publisher: | La Renaissance du livre | Publication: | April 16, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Arthur Conan Doyle |
ISBN: | 1230003187500 |
Publisher: | La Renaissance du livre |
Publication: | April 16, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Un certain soir d’été, quelques mois après mon mariage, j’étais assis au coin du feu et je fumais une dernière pipe en somnolant sur un roman : j’avais eu une dure journée de travail. Ma femme venait de remonter, et déjà les domestiques avaient verrouillé les portes du vestibule. Au moment où, me levant de mon fauteuil, je secouais les cendres de ma pipe, j’entendis sonner à la porte ; la pendule marquait minuit moins un quart : ce ne pouvait être un visiteur, mais sans doute un client et j’entrevoyais déjà la perspective d’une nuit blanche. Ce fut donc avec un visage maussade que j’allai ouvrir la porte : à mon grand étonnement, je me trouvai en présence de Sherlock Holmes.
— Ah ! Watson, me dit-il. J’avais bien peur de ne pas vous trouver chez vous.
— Mon cher, entrez donc, je vous prie.
— Vous paraissez surpris : il y a, en effet, de quoi ! Ah ! ah ! vous fumez toujours le tabac d’Arcadie, comme au temps où vous étiez célibataire. La cendre floconneuse qui est là sur votre vêtement me le prouve assez ; puis on voit, à n’en pas douter, que vous avez porté l’uniforme et vous ne passerez jamais pour un vrai civil, tant que vous mettrez votre mouchoir dans votre manchette. Pouvez-vous me donner l’hospitalité cette nuit ?
— Avec grand plaisir.
— Vous m’avez dit que vous aviez une chambre d’ami, et je constate par votre porte-manteau que vous n’avez aucun invité en ce moment.
— Aussi serai-je ravi de vous garder.
— Merci ; alors je vais m’approprier un de ces crochets pour y déposer mon chapeau.
Mais je m’aperçois, à regret, que vous avez eu des ouvriers dans la maison. C’est de mauvais augure. J’espère que ce ne sont pas les conduites d’égouts qui ont eu besoin de réparations ?
— Non, ce sont celles du gaz.
— Ah ! tenez, ils ont laissé l’empreinte de leurs souliers ferrés sur le linoléum, juste à l’endroit le mieux éclairé.
— Voulez-vous prendre quelque chose ?
— Non, merci, j’ai soupé à Waterloo ; mais je fumerai volontiers une pipe avec vous.
Je lui tendis ma blague à tabac : il s’assit en face de moi, et lança quelques bouffées sans dire un mot. Je pensais bien que seul un motif sérieux avait pu l’amener chez moi à pareille heure, et je le laissai aborder de lui-même le sujet.
— Je vois que vous avez une nombreuse clientèle, dit-il, en jetant sur moi un regard inquisiteur.
— Oui, répondis-je ; ma journée a été bien remplie ; mais quitte à vous paraître idiot, je vous avouerai que je ne comprends pas comment vous le savez.
Holmes eut un sourire malin :
— Je connais bien vos habitudes, mon cher Watson. Quand votre journée est courte, vous vous contentez de vos jambes ; quand elle est plus longue, vous louez une voiture. Comme aujourd’hui vos chaussures, bien qu’usées, sont propres, j’en conclus que votre nombreuse clientèle vous a forcé à circuler en voiture.
— Parfait ! m’écriai-je.
— Raisonnement bien simple pourtant, et avec lequel on stupéfie son interlocuteur, parce que celui-ci a négligé précisément le détail sur lequel s’appuie la déduction. J’en dirai autant, mon cher, de certaines de vos esquisses qui ne sont pas au point parce que vous avez omis de communiquer au lecteur un facteur essentiel du problème. Pour le moment, je suis dans la même position que ces lecteurs. Je tiens en main plusieurs fils de l’énigme la plus singulière qui ait jamais torturé cerveau humain ; et précisément il me manque un ou deux de ces fils pour parfaire ma démonstration ; mais je les trouverai, Watson, je les trouverai.
Ce disant, il reprit sa physionomie d’ordinaire si vive et si pénétrante. Ses yeux brillaient déjà, et une légère rougeur teintait ses joues décharnées. Ce ne fut que l’affaire d’un instant ; et, quand mes yeux se reportèrent sur lui, il avait retrouvé cette impassibilité d’Indien qui le faisait considérer souvent comme une machine.
— Le problème présente des particularités non seulement curieuses, mais je dirai exceptionnellement intéressantes : je l’ai bien étudié et suis, je crois, à deux doigts de la solution. Si vous voulez me prêter votre concours, vous me serez un aide puissant.
— J’en serai ravi.
— Pouvez-vous aller demain jusqu’à Aldershot ?
— Oui ; je suis persuadé que Jackson me remplacera auprès de mes clients.
— Partait ; nous partirons de Waterloo à 11 heures 10.
— Cela me donnera tout le temps nécessaire pour me retourner.
— Alors, si vous n’avez pas trop sommeil, je vais vous donner un aperçu de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire.
— J’étais quelque peu somnolent lorsque vous êtes entré : maintenant, je n’ai plus aucune envie de dormir.
— Je résumerai donc l’histoire sans omettre aucun des faits essentiels. Peut-être même avez-vous déjà lu un récit de l’événement. Il s’agit du meurtre du colonel Barclay, des Royal Mallows, à Aldershot.
— Je n’en ai pas entendu parler.
— Cela ne m’étonne pas ; le fait est tout récent : il ne remonte qu’à deux jours. Voici l’histoire en deux mots :
Le Royal Mallows est, comme vous le savez, un des plus célèbres régiments irlandais de l’armée anglaise ; il a fait des prodiges de valeur en Crimée et aux Indes lors de la révolte des Cipayes ; depuis, il n’a pas perdu une occasion de se distinguer. Jusqu’à lundi dernier le régiment était commandé par James Barclay, vaillant militaire qui débuta comme simple soldat et dut ses galons à sa bravoure aux Indes ; il arriva ainsi à commander le régiment, où jadis il avait débuté en portant le fusil sur l’épaule. Barclay épousa, comme sergent, Mlle Nancy Devoy, fille d’un porte-étendard de ce même régiment. Comme bien vous pensez, les débuts du jeune couple dans ce monde, nouveau pour eux, furent un peu difficiles. Mais ils se trouvèrent vite à la hauteur de la situation, et Mme Barclay ne tarda pas à être aussi appréciée des femmes d’officiers que son mari était estimé de ses frères d’armes. Je dois ajouter qu’elle était fort belle et que même aujourd’hui, après trente ans de mariage, elle fait encore sensation.
Un certain soir d’été, quelques mois après mon mariage, j’étais assis au coin du feu et je fumais une dernière pipe en somnolant sur un roman : j’avais eu une dure journée de travail. Ma femme venait de remonter, et déjà les domestiques avaient verrouillé les portes du vestibule. Au moment où, me levant de mon fauteuil, je secouais les cendres de ma pipe, j’entendis sonner à la porte ; la pendule marquait minuit moins un quart : ce ne pouvait être un visiteur, mais sans doute un client et j’entrevoyais déjà la perspective d’une nuit blanche. Ce fut donc avec un visage maussade que j’allai ouvrir la porte : à mon grand étonnement, je me trouvai en présence de Sherlock Holmes.
— Ah ! Watson, me dit-il. J’avais bien peur de ne pas vous trouver chez vous.
— Mon cher, entrez donc, je vous prie.
— Vous paraissez surpris : il y a, en effet, de quoi ! Ah ! ah ! vous fumez toujours le tabac d’Arcadie, comme au temps où vous étiez célibataire. La cendre floconneuse qui est là sur votre vêtement me le prouve assez ; puis on voit, à n’en pas douter, que vous avez porté l’uniforme et vous ne passerez jamais pour un vrai civil, tant que vous mettrez votre mouchoir dans votre manchette. Pouvez-vous me donner l’hospitalité cette nuit ?
— Avec grand plaisir.
— Vous m’avez dit que vous aviez une chambre d’ami, et je constate par votre porte-manteau que vous n’avez aucun invité en ce moment.
— Aussi serai-je ravi de vous garder.
— Merci ; alors je vais m’approprier un de ces crochets pour y déposer mon chapeau.
Mais je m’aperçois, à regret, que vous avez eu des ouvriers dans la maison. C’est de mauvais augure. J’espère que ce ne sont pas les conduites d’égouts qui ont eu besoin de réparations ?
— Non, ce sont celles du gaz.
— Ah ! tenez, ils ont laissé l’empreinte de leurs souliers ferrés sur le linoléum, juste à l’endroit le mieux éclairé.
— Voulez-vous prendre quelque chose ?
— Non, merci, j’ai soupé à Waterloo ; mais je fumerai volontiers une pipe avec vous.
Je lui tendis ma blague à tabac : il s’assit en face de moi, et lança quelques bouffées sans dire un mot. Je pensais bien que seul un motif sérieux avait pu l’amener chez moi à pareille heure, et je le laissai aborder de lui-même le sujet.
— Je vois que vous avez une nombreuse clientèle, dit-il, en jetant sur moi un regard inquisiteur.
— Oui, répondis-je ; ma journée a été bien remplie ; mais quitte à vous paraître idiot, je vous avouerai que je ne comprends pas comment vous le savez.
Holmes eut un sourire malin :
— Je connais bien vos habitudes, mon cher Watson. Quand votre journée est courte, vous vous contentez de vos jambes ; quand elle est plus longue, vous louez une voiture. Comme aujourd’hui vos chaussures, bien qu’usées, sont propres, j’en conclus que votre nombreuse clientèle vous a forcé à circuler en voiture.
— Parfait ! m’écriai-je.
— Raisonnement bien simple pourtant, et avec lequel on stupéfie son interlocuteur, parce que celui-ci a négligé précisément le détail sur lequel s’appuie la déduction. J’en dirai autant, mon cher, de certaines de vos esquisses qui ne sont pas au point parce que vous avez omis de communiquer au lecteur un facteur essentiel du problème. Pour le moment, je suis dans la même position que ces lecteurs. Je tiens en main plusieurs fils de l’énigme la plus singulière qui ait jamais torturé cerveau humain ; et précisément il me manque un ou deux de ces fils pour parfaire ma démonstration ; mais je les trouverai, Watson, je les trouverai.
Ce disant, il reprit sa physionomie d’ordinaire si vive et si pénétrante. Ses yeux brillaient déjà, et une légère rougeur teintait ses joues décharnées. Ce ne fut que l’affaire d’un instant ; et, quand mes yeux se reportèrent sur lui, il avait retrouvé cette impassibilité d’Indien qui le faisait considérer souvent comme une machine.
— Le problème présente des particularités non seulement curieuses, mais je dirai exceptionnellement intéressantes : je l’ai bien étudié et suis, je crois, à deux doigts de la solution. Si vous voulez me prêter votre concours, vous me serez un aide puissant.
— J’en serai ravi.
— Pouvez-vous aller demain jusqu’à Aldershot ?
— Oui ; je suis persuadé que Jackson me remplacera auprès de mes clients.
— Partait ; nous partirons de Waterloo à 11 heures 10.
— Cela me donnera tout le temps nécessaire pour me retourner.
— Alors, si vous n’avez pas trop sommeil, je vais vous donner un aperçu de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire.
— J’étais quelque peu somnolent lorsque vous êtes entré : maintenant, je n’ai plus aucune envie de dormir.
— Je résumerai donc l’histoire sans omettre aucun des faits essentiels. Peut-être même avez-vous déjà lu un récit de l’événement. Il s’agit du meurtre du colonel Barclay, des Royal Mallows, à Aldershot.
— Je n’en ai pas entendu parler.
— Cela ne m’étonne pas ; le fait est tout récent : il ne remonte qu’à deux jours. Voici l’histoire en deux mots :
Le Royal Mallows est, comme vous le savez, un des plus célèbres régiments irlandais de l’armée anglaise ; il a fait des prodiges de valeur en Crimée et aux Indes lors de la révolte des Cipayes ; depuis, il n’a pas perdu une occasion de se distinguer. Jusqu’à lundi dernier le régiment était commandé par James Barclay, vaillant militaire qui débuta comme simple soldat et dut ses galons à sa bravoure aux Indes ; il arriva ainsi à commander le régiment, où jadis il avait débuté en portant le fusil sur l’épaule. Barclay épousa, comme sergent, Mlle Nancy Devoy, fille d’un porte-étendard de ce même régiment. Comme bien vous pensez, les débuts du jeune couple dans ce monde, nouveau pour eux, furent un peu difficiles. Mais ils se trouvèrent vite à la hauteur de la situation, et Mme Barclay ne tarda pas à être aussi appréciée des femmes d’officiers que son mari était estimé de ses frères d’armes. Je dois ajouter qu’elle était fort belle et que même aujourd’hui, après trente ans de mariage, elle fait encore sensation.