Author: | Alfred De Musset | ISBN: | 1230000228333 |
Publisher: | Alfred De Musset | Publication: | March 26, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Alfred De Musset |
ISBN: | 1230000228333 |
Publisher: | Alfred De Musset |
Publication: | March 26, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
Au commencement du règne de Louis XV, un jeune homme nommé Croisilles, fils d'un
orfèvre, revenait de Paris au Havre, sa ville natale. Il avait été chargé par
son père d'une affaire de commerce, et cette affaire s'était terminée à son gré.
La joie d'apporter une bonne nouvelle le faisait marcher plus gaiement et plus
lestement que de coutume; car, bien qu'il eût dans ses poches une somme d'argent
assez considérable, il voyageait à pied pour son plaisir. C'était un garçon de
bonne humeur, et qui ne manquait pas d'esprit, mais tellement distrait et
étourdi, qu'on le regardait comme un peu fou. Son gilet boutonné de travers, sa
perruque au vent, son chapeau sous le bras, il suivait les rives de la Seine,
tantôt rêvant, tantôt chantant, levé dès le matin, soupant au cabaret, et charmé
de traverser ainsi l'une des plus belles contrées de la France. Tout en
dévastant, au passage, les pommiers de la Normandie, il cherchait des rimes dans
sa tête (car tout étourdi est un peu poète), et il essayait de faire un madrigal
pour une belle demoiselle de son pays; ce n'était pas moins que la fille d'un
fermier général, mademoiselle Godeau, la perle du Havre, riche héritière fort
courtisée. Croisilles n'était point reçu chez M. Godeau autrement que par
hasard, c'est-à-dire qu'il y avait porté quelquefois des bijoux achetés chez son
père. M. Godeau, dont le nom, tant soit peu commun, soutenait mal une immense
fortune, se vengeait par sa morgue du tort de sa naissance, et se montrait, en
toute occasion, énormément et impitoyablement riche. Il n'était donc pas homme à
laisser entrer dans son salon le fils d'un orfèvre; mais, comme mademoiselle
Godeau avait les plus beaux yeux du monde, que Croisilles n'était pas mal
tourné, et que rien n'empêche un joli garçon de devenir amoureux d'une belle
fille, Croisilles adorait mademoiselle Godeau, qui n'en paraissait pas fâchée.
Il pensait donc à elle tout en regagnant le Havre, et, comme il n'avait jamais
réfléchi à rien, au lieu de songer aux obstacles invincibles qui le séparaient
de sa bien-aimée, il ne s'occupait que de trouver une rime au nom de baptême
qu'elle portait. Mademoiselle Godeau s'appelait Julie, et la rime était aisée à
trouver. Croisilles, arrivé à Honfleur, s'embarqua le coeur satisfait, son argent
et son madrigal en poche, et, dès qu'il eut touché le rivage, il courut à la
maison paternelle.
EXTRAIT:
Au commencement du règne de Louis XV, un jeune homme nommé Croisilles, fils d'un
orfèvre, revenait de Paris au Havre, sa ville natale. Il avait été chargé par
son père d'une affaire de commerce, et cette affaire s'était terminée à son gré.
La joie d'apporter une bonne nouvelle le faisait marcher plus gaiement et plus
lestement que de coutume; car, bien qu'il eût dans ses poches une somme d'argent
assez considérable, il voyageait à pied pour son plaisir. C'était un garçon de
bonne humeur, et qui ne manquait pas d'esprit, mais tellement distrait et
étourdi, qu'on le regardait comme un peu fou. Son gilet boutonné de travers, sa
perruque au vent, son chapeau sous le bras, il suivait les rives de la Seine,
tantôt rêvant, tantôt chantant, levé dès le matin, soupant au cabaret, et charmé
de traverser ainsi l'une des plus belles contrées de la France. Tout en
dévastant, au passage, les pommiers de la Normandie, il cherchait des rimes dans
sa tête (car tout étourdi est un peu poète), et il essayait de faire un madrigal
pour une belle demoiselle de son pays; ce n'était pas moins que la fille d'un
fermier général, mademoiselle Godeau, la perle du Havre, riche héritière fort
courtisée. Croisilles n'était point reçu chez M. Godeau autrement que par
hasard, c'est-à-dire qu'il y avait porté quelquefois des bijoux achetés chez son
père. M. Godeau, dont le nom, tant soit peu commun, soutenait mal une immense
fortune, se vengeait par sa morgue du tort de sa naissance, et se montrait, en
toute occasion, énormément et impitoyablement riche. Il n'était donc pas homme à
laisser entrer dans son salon le fils d'un orfèvre; mais, comme mademoiselle
Godeau avait les plus beaux yeux du monde, que Croisilles n'était pas mal
tourné, et que rien n'empêche un joli garçon de devenir amoureux d'une belle
fille, Croisilles adorait mademoiselle Godeau, qui n'en paraissait pas fâchée.
Il pensait donc à elle tout en regagnant le Havre, et, comme il n'avait jamais
réfléchi à rien, au lieu de songer aux obstacles invincibles qui le séparaient
de sa bien-aimée, il ne s'occupait que de trouver une rime au nom de baptême
qu'elle portait. Mademoiselle Godeau s'appelait Julie, et la rime était aisée à
trouver. Croisilles, arrivé à Honfleur, s'embarqua le coeur satisfait, son argent
et son madrigal en poche, et, dès qu'il eut touché le rivage, il courut à la
maison paternelle.