Author: | NAPOLÉON BONAPARTE | ISBN: | 1230002440705 |
Publisher: | Jwarlal | Publication: | July 23, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | NAPOLÉON BONAPARTE |
ISBN: | 1230002440705 |
Publisher: | Jwarlal |
Publication: | July 23, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Entré au service de France, vous revîntes voir vos parens: vous trouvâtes les tyrans battus, le gouvernement national établi, et les Corses, maîtrisés par les grands sentimens, concourir à l'envi, par des sacrifices journaliers, à la prospérité de la chose publique. Vous ne vous laissâtes pas séduire par la fermentation générale: bien loin de là, vous ne vîtes qu'avec pitié ce bavardage de patrie, de liberté, d'indépendance, de constitution, dont l'on avait boursouflé jusqu'à nos derniers paysans. Une profonde méditation vous avait dès lors appris à apprécier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au détriment commun. Dans le fait, le paysan doit travailler, et non pas faire le héros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il élève sa famille, qu'il respecte l'autorité. Quant aux personnes appelées par leur rang et leur fortune au commandement, il n'est pas possible qu'elles soient long-temps dupes, pour sacrifier à une chimère leurs commodités, leur considération; et qu'elles s'abaissent à courtoiser un savetier, pour finale de faire les Brutus. Cependant, comme il entrait dans vos projets de vous captiver M. Paoli, vous dûtes dissimuler: M. Paoli était le centre de tous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons pas du talent, même un certain génie: il avait en peu de temps mis les affaires de l'île dans un bon système: il avait fondé une université où, la première fois peut-être depuis la création, l'on enseignait dans nos montagnes les sciences utiles au développement de notre raison. Il avait établi une fonderie, des moulins à poudre, des fortifications qui augmentaient les moyens de défense: il avait ouvert des ports qui, encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait créé une marine qui protégeait nos communications, en nuisant extrêmement aux ennemis. Tous ces établissemens, dans leur naissance, n'étaient que le présage de ce qu'il eût fait un jour. L'union, la paix, la liberté étaient les avant-coureurs de la prospérité nationale, si toutefois un gouvernement mal organisé, fondé sur de fausses bases, n'eût été un préjugé encore plus certain des malheurs, de l'anéantissement total où tout serait tombé.
M. Paoli avait rêvé de faire le Solon; mais il avait mal copié son original: il avait tout mis entre les mains du peuple ou de ses représentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant. Étrange erreur! qui soumet à un brutal, à un mercenaire, l'homme qui, par son éducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est seul fait pour gouverner. À la longue, un bouleversement de raison si palpable ne peut manquer d'entraîner la ruine et la dissolution du corps politique, après l'avoir tourmenté par tous les genres de maux.
Vous réussîtes à souhait. M. Paoli, sans cesse entouré d'enthousiastes ou de têtes exaltées, ne s'imagine pas que l'on pût avoir une autre passion que le fanatisme de la liberté et de l'indépendance.
Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas observer de plus près que vos paroles, les principes de votre morale: il vous fit nommer pour traiter à Versailles de l'accommodement qui s'entamait sous la médiation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et vous connut: les âmes d'une certaine trempe sont d'abord appréciées. Bientôt, au lieu du représentant d'un peuple libre, vous vous transformâtes en commis d'un satrape: vous lui communiquâtes les instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.
Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me paraît à moi toute simple; mais c'est qu'en toute espèce d'affaire, il s'agit de s'entendre et de raisonner avec flegme.
La prude juge la coquette et en est persiflée; c'est en peu de mots votre histoire.
L'homme à principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas à l'homme à principes. Le vulgaire, toujours séduit par de vertueux démagogues, ne peut être apprécié par vous, qui ne croyez pas à la vertu. Il n'est permis de vous condamner que par vos principes, comme un criminel par les lois; mais ceux qui en connaissent le raffinement, ne trouvent dans votre conduite rien que de très-simple. Cela revient donc à ce que nous avons dit, que, dans toute espèce d'affaires, il faut d'abord s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avez d'ailleurs par devers vous une sous-défense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez pas à la réputation de Caton ou de Catinat: il vous suffit d'être comme un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenu que celui qui peut avoir de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent procure tous les plaisirs des sens, et les plaisirs des sens sont les seuls. Or, M. de Choiseul, qui était très libéral, ne vous permettait pas de lui résister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait de vos services, selon sa plaisante coutume, de l'honneur de la servir.
Le traité de Compiègne conclu, M. de Chauvelin et vingt-quatre bataillons débarquèrent sur nos bords. M. de Choiseul, à qui la célérité de l'expédition importait majeurement, avait des inquiétudes que, dans ses épanchemens, il ne pouvait vous dissimuler. Vous lui suggérâtes de vous y envoyer avec quelques millions. Comme Philippe prenait les villes avec sa mule, vous lui promîtes de tout soumettre sans obstacle... Aussitôt dit, aussitôt fait, et vous voici repassant la mer, jetant le masque, l'or et le brevet à la main, entamant des négociations avec ceux que vous jugeâtes les plus faciles.
N'imaginant pas qu'un Corse pût se préférer à la patrie, le cabinet de Corse vous avait chargé de ses intérêts. N'imaginant pas, de votre côté, qu'un homme pût ne pas préférer l'argent et soi à la patrie, vous vous vendîtes, et espérâtes les acheter tous. Moraliste profond, vous saviez ce que le fanatisme d'un chacun valait; quelques livres d'or de plus ou de moins nuançant à vos yeux la disparité des caractères.
Vous vous trompâtes cependant: le faible fut bien ébranlé, mais fut épouvanté par l'horrible idée de déchirer le sein de la patrie. Il s'imagina voir le père, le frère, l'ami, qui périt en la défendant, lever la tête de la tombe sépulcrale, pour l'accabler de malédictions. Ces ridicules préjugés furent assez puissans pour vous arrêter dans votre course: vous gémîtes d'avoir à faire à un peuple enfant. Mais, monsieur, ce raffinement de sentiment n'est pas donné à la multitude; aussi vit-elle dans la pauvreté et la misère; au lieu que l'homme bien appris, pour peu que les circonstances le favorisent, sait bien vite s'élever. C'est à peu près la morale de votre histoire.
Entré au service de France, vous revîntes voir vos parens: vous trouvâtes les tyrans battus, le gouvernement national établi, et les Corses, maîtrisés par les grands sentimens, concourir à l'envi, par des sacrifices journaliers, à la prospérité de la chose publique. Vous ne vous laissâtes pas séduire par la fermentation générale: bien loin de là, vous ne vîtes qu'avec pitié ce bavardage de patrie, de liberté, d'indépendance, de constitution, dont l'on avait boursouflé jusqu'à nos derniers paysans. Une profonde méditation vous avait dès lors appris à apprécier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au détriment commun. Dans le fait, le paysan doit travailler, et non pas faire le héros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il élève sa famille, qu'il respecte l'autorité. Quant aux personnes appelées par leur rang et leur fortune au commandement, il n'est pas possible qu'elles soient long-temps dupes, pour sacrifier à une chimère leurs commodités, leur considération; et qu'elles s'abaissent à courtoiser un savetier, pour finale de faire les Brutus. Cependant, comme il entrait dans vos projets de vous captiver M. Paoli, vous dûtes dissimuler: M. Paoli était le centre de tous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons pas du talent, même un certain génie: il avait en peu de temps mis les affaires de l'île dans un bon système: il avait fondé une université où, la première fois peut-être depuis la création, l'on enseignait dans nos montagnes les sciences utiles au développement de notre raison. Il avait établi une fonderie, des moulins à poudre, des fortifications qui augmentaient les moyens de défense: il avait ouvert des ports qui, encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait créé une marine qui protégeait nos communications, en nuisant extrêmement aux ennemis. Tous ces établissemens, dans leur naissance, n'étaient que le présage de ce qu'il eût fait un jour. L'union, la paix, la liberté étaient les avant-coureurs de la prospérité nationale, si toutefois un gouvernement mal organisé, fondé sur de fausses bases, n'eût été un préjugé encore plus certain des malheurs, de l'anéantissement total où tout serait tombé.
M. Paoli avait rêvé de faire le Solon; mais il avait mal copié son original: il avait tout mis entre les mains du peuple ou de ses représentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant. Étrange erreur! qui soumet à un brutal, à un mercenaire, l'homme qui, par son éducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est seul fait pour gouverner. À la longue, un bouleversement de raison si palpable ne peut manquer d'entraîner la ruine et la dissolution du corps politique, après l'avoir tourmenté par tous les genres de maux.
Vous réussîtes à souhait. M. Paoli, sans cesse entouré d'enthousiastes ou de têtes exaltées, ne s'imagine pas que l'on pût avoir une autre passion que le fanatisme de la liberté et de l'indépendance.
Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas observer de plus près que vos paroles, les principes de votre morale: il vous fit nommer pour traiter à Versailles de l'accommodement qui s'entamait sous la médiation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et vous connut: les âmes d'une certaine trempe sont d'abord appréciées. Bientôt, au lieu du représentant d'un peuple libre, vous vous transformâtes en commis d'un satrape: vous lui communiquâtes les instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.
Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me paraît à moi toute simple; mais c'est qu'en toute espèce d'affaire, il s'agit de s'entendre et de raisonner avec flegme.
La prude juge la coquette et en est persiflée; c'est en peu de mots votre histoire.
L'homme à principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas à l'homme à principes. Le vulgaire, toujours séduit par de vertueux démagogues, ne peut être apprécié par vous, qui ne croyez pas à la vertu. Il n'est permis de vous condamner que par vos principes, comme un criminel par les lois; mais ceux qui en connaissent le raffinement, ne trouvent dans votre conduite rien que de très-simple. Cela revient donc à ce que nous avons dit, que, dans toute espèce d'affaires, il faut d'abord s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avez d'ailleurs par devers vous une sous-défense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez pas à la réputation de Caton ou de Catinat: il vous suffit d'être comme un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenu que celui qui peut avoir de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent procure tous les plaisirs des sens, et les plaisirs des sens sont les seuls. Or, M. de Choiseul, qui était très libéral, ne vous permettait pas de lui résister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait de vos services, selon sa plaisante coutume, de l'honneur de la servir.
Le traité de Compiègne conclu, M. de Chauvelin et vingt-quatre bataillons débarquèrent sur nos bords. M. de Choiseul, à qui la célérité de l'expédition importait majeurement, avait des inquiétudes que, dans ses épanchemens, il ne pouvait vous dissimuler. Vous lui suggérâtes de vous y envoyer avec quelques millions. Comme Philippe prenait les villes avec sa mule, vous lui promîtes de tout soumettre sans obstacle... Aussitôt dit, aussitôt fait, et vous voici repassant la mer, jetant le masque, l'or et le brevet à la main, entamant des négociations avec ceux que vous jugeâtes les plus faciles.
N'imaginant pas qu'un Corse pût se préférer à la patrie, le cabinet de Corse vous avait chargé de ses intérêts. N'imaginant pas, de votre côté, qu'un homme pût ne pas préférer l'argent et soi à la patrie, vous vous vendîtes, et espérâtes les acheter tous. Moraliste profond, vous saviez ce que le fanatisme d'un chacun valait; quelques livres d'or de plus ou de moins nuançant à vos yeux la disparité des caractères.
Vous vous trompâtes cependant: le faible fut bien ébranlé, mais fut épouvanté par l'horrible idée de déchirer le sein de la patrie. Il s'imagina voir le père, le frère, l'ami, qui périt en la défendant, lever la tête de la tombe sépulcrale, pour l'accabler de malédictions. Ces ridicules préjugés furent assez puissans pour vous arrêter dans votre course: vous gémîtes d'avoir à faire à un peuple enfant. Mais, monsieur, ce raffinement de sentiment n'est pas donné à la multitude; aussi vit-elle dans la pauvreté et la misère; au lieu que l'homme bien appris, pour peu que les circonstances le favorisent, sait bien vite s'élever. C'est à peu près la morale de votre histoire.