Premières Poésies

Fiction & Literature, Poetry, Continental European, Anthologies
Cover of the book Premières Poésies by Théophile Gautier, Théophile Gautier
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Author: Théophile Gautier ISBN: 1230001710854
Publisher: Théophile Gautier Publication: June 9, 2017
Imprint: Language: French
Author: Théophile Gautier
ISBN: 1230001710854
Publisher: Théophile Gautier
Publication: June 9, 2017
Imprint:
Language: French

EXTRAIT:

PRÉFACE

 

L’auteur du présent livre est un jeune homme frileux et maladif qui use sa vie en famille avec deux ou trois amis et à peu près autant de chats.

Un espace de quelques pieds où il fait moins froid qu’ailleurs, c’est pour lui l’univers. — Le manteau de la cheminée est son ciel ; la plaque, son horizon.

Il n’a vu du monde que ce que l’on en voit par la fenêtre, et il n’a pas eu envie d’en voir davantage. Il n’a aucune couleur politique ; il n’est ni rouge, ni blanc, ni même tricolore ; il n’est rien, il ne s’aperçoit des révolutions que lorsque les balles cassent les vitres. Il aime mieux être assis que debout, couché qu’assis. — C’est une habitude toute prise quand la mort vient nous coucher pour toujours. — Il fait des vers pour avoir un prétexte de ne rien faire, et ne fait rien sous prétexte qu’il fait des vers. 

Cependant, si éloigné qu’il soit des choses de la vie, il sait que le vent ne souffle pas à la poésie ; il sent parfaitement toute l’inopportunité d’une pareille publication ; pourtant il ne craint pas de jeter entre deux émeutes, peut-être entre deux pestes, un volume purement littéraire ; il a pensé que c’était une œuvre pie et méritoire par la prose qui court, qu’une œuvre d’art et de fantaisie où l’on ne fait aucun appel aux passions mauvaises, où l’on n’a exploité aucune turpitude pour le succès.

Il s’est imaginé (a-t-il tort, ou raison ?) qu’il y avait encore de par la France quelques bonnes gens comme lui qui s’ennuyaient mortellement de toute cette politique hargneuse des grands journaux, et dont le cœur se levait à cette polémique indécente et furibonde de maintenant.

Pour les critiques d’art ou de grammaire qu’on pourra lui adresser, il y souscrit d’avance. — Il connaît très bien les défauts et les taches de son livre ; s’il n’a pas évité les uns et enlevé les autres, c’est qu’ils sont tellement inhérents à sa nature, qu’il ne saurait exister sans eux, du moins c’est l’excuse qu’il donne à sa paresse.

Quant aux utilitaires, utopistes, économistes, saint-simonistes et autres qui lui demanderont à quoi cela rime, — il répondra : « Le premier vers rime avec le second quand la rime n’est pas mauvaise, et ainsi de suite. »

À quoi cela sert-il ? — Cela sert à être beau. — N’est-ce pas assez ? comme les fleurs, comme les parfums, comme les oiseaux, comme tout ce que l’homme n’a pu détourner et dépraver à son usage.

En général, dès qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle.— Elle rentre dans la vie positive ; de poésie elle devient prose ; de libre, esclave. — Tout l’art est là. — L’art, c’est la liberté, le luxe, l’efflorescence, c’est l’épanouissement de l’âme dans l’oisiveté. — La peinture, la sculpture, la musique ne servent absolument à rien. Les bijoux curieusement ciselés, les colifichets rares, les parures singulières, sont de pures superfluités. — Qui voudrait cependant les retrancher ? — Le bonheur ne consiste pas à avoir ce qui est indispensable ; ne pas souffrir n’est pas jouir ; et les objets dont on a le moins besoin sont ceux qui charment le plus. — Il y a et il y aura toujours des âmes artistes à qui les tableaux d’Ingres, et de Delacroix, les aquarelles de Boulanger et de Decamps, sembleront plus utiles que les chemins de fer et les bateaux à vapeur.

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EXTRAIT:

PRÉFACE

 

L’auteur du présent livre est un jeune homme frileux et maladif qui use sa vie en famille avec deux ou trois amis et à peu près autant de chats.

Un espace de quelques pieds où il fait moins froid qu’ailleurs, c’est pour lui l’univers. — Le manteau de la cheminée est son ciel ; la plaque, son horizon.

Il n’a vu du monde que ce que l’on en voit par la fenêtre, et il n’a pas eu envie d’en voir davantage. Il n’a aucune couleur politique ; il n’est ni rouge, ni blanc, ni même tricolore ; il n’est rien, il ne s’aperçoit des révolutions que lorsque les balles cassent les vitres. Il aime mieux être assis que debout, couché qu’assis. — C’est une habitude toute prise quand la mort vient nous coucher pour toujours. — Il fait des vers pour avoir un prétexte de ne rien faire, et ne fait rien sous prétexte qu’il fait des vers. 

Cependant, si éloigné qu’il soit des choses de la vie, il sait que le vent ne souffle pas à la poésie ; il sent parfaitement toute l’inopportunité d’une pareille publication ; pourtant il ne craint pas de jeter entre deux émeutes, peut-être entre deux pestes, un volume purement littéraire ; il a pensé que c’était une œuvre pie et méritoire par la prose qui court, qu’une œuvre d’art et de fantaisie où l’on ne fait aucun appel aux passions mauvaises, où l’on n’a exploité aucune turpitude pour le succès.

Il s’est imaginé (a-t-il tort, ou raison ?) qu’il y avait encore de par la France quelques bonnes gens comme lui qui s’ennuyaient mortellement de toute cette politique hargneuse des grands journaux, et dont le cœur se levait à cette polémique indécente et furibonde de maintenant.

Pour les critiques d’art ou de grammaire qu’on pourra lui adresser, il y souscrit d’avance. — Il connaît très bien les défauts et les taches de son livre ; s’il n’a pas évité les uns et enlevé les autres, c’est qu’ils sont tellement inhérents à sa nature, qu’il ne saurait exister sans eux, du moins c’est l’excuse qu’il donne à sa paresse.

Quant aux utilitaires, utopistes, économistes, saint-simonistes et autres qui lui demanderont à quoi cela rime, — il répondra : « Le premier vers rime avec le second quand la rime n’est pas mauvaise, et ainsi de suite. »

À quoi cela sert-il ? — Cela sert à être beau. — N’est-ce pas assez ? comme les fleurs, comme les parfums, comme les oiseaux, comme tout ce que l’homme n’a pu détourner et dépraver à son usage.

En général, dès qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle.— Elle rentre dans la vie positive ; de poésie elle devient prose ; de libre, esclave. — Tout l’art est là. — L’art, c’est la liberté, le luxe, l’efflorescence, c’est l’épanouissement de l’âme dans l’oisiveté. — La peinture, la sculpture, la musique ne servent absolument à rien. Les bijoux curieusement ciselés, les colifichets rares, les parures singulières, sont de pures superfluités. — Qui voudrait cependant les retrancher ? — Le bonheur ne consiste pas à avoir ce qui est indispensable ; ne pas souffrir n’est pas jouir ; et les objets dont on a le moins besoin sont ceux qui charment le plus. — Il y a et il y aura toujours des âmes artistes à qui les tableaux d’Ingres, et de Delacroix, les aquarelles de Boulanger et de Decamps, sembleront plus utiles que les chemins de fer et les bateaux à vapeur.

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