Author: | Pierre Loti | ISBN: | 1230003230817 |
Publisher: | E. Flammarion (Paris) 1917 | Publication: | May 15, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Loti |
ISBN: | 1230003230817 |
Publisher: | E. Flammarion (Paris) 1917 |
Publication: | May 15, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Dans ces dessins d’enfantine cosmographie qui, au temps des premiers Pharaons, se faisaient à Memphis, le ciel était figuré par une voûte sphérique à laquelle des fils suspendaient les étoiles, et, sous les différents pays de la terre, naïvement tracés en couleurs, une partie ombrée en noir, qui descendait jusqu’au bas de la feuille de papyrus, s’appelait: base du monde. Au fond de leurs esprits dégagés plus fraîchement que les nôtres de la matière originelle, ne se demandaient-ils pas déjà, ces hommes aux intuitions merveilleuses, ne se demandaient-ils pas ce qu’il pouvait bien y avoir plus haut, plus haut, au-dessus de la voûte bleue où les étoiles s’accrochaient? L’infini, l’inconcevable infini dont nos âmes sont maintenant obsédées, est-ce qu’ils commençaient d’en pressentir l’épouvante?
Et, pour eux, sur quelle autre chose, plus stable encore, cette base du monde posait-elle? Est-ce qu’il leur venait à l’idée de se demander: En dessous, encore plus en dessous, que trouverait-on bien? Alors, toujours, toujours, des couches plus profondes, se soutenant les unes les autres? Et ainsi de suite indéfiniment? Ou bien, qui sait… du vide? Mais alors, comment ces bases tiendraient-elles, car le vide, c’est du néant où tout tombe?…
Hélas! oui, à présent, nous le savons, nous que la Connaissance a déséquilibrés, nous le savons, qu’en dessous c’est le vide, le vide auquel il faut toujours logiquement et inexorablement aboutir, le vide qui est souverain de tout, le vide où tout tombe et où vertigineusement nous tombons sans espoir d’arrêt. Et, à certaines heures, si l’on s’y appesantit, cela devient presque une angoisse de se dire que jamais, jamais, ni nous-mêmes, ni nos restes, ni notre finale poussière, nous ne pourrons reposer en paix sur quelque chose de stable, parce que la stabilité n’existe nulle part et que nous sommes condamnés, après comme pendant la vie, à toujours rouler éperdument dans le vide où il fait noir. S’accélère-t-elle, notre chute, comme c’est la loi pour toutes les autres chutes appréciables à nos sens? Ou bien est-ce que, à travers les espaces auxquels on tremble de penser, la folle vitesse de notre soleil demeure constante? Nous n’en savons rien, et n’en pourrons rien savoir jamais, puisqu’il n’existe et ne peut exister nulle part aucun point de repère qui ne soit en plein vertige de mouvement, puisque cette vitesse, qui déjà nous fait peur, nous ne pouvons l’évaluer que d’une façon relative, par rapport à celle d’autres pauvres petites choses,—d’autres soleils,—qui tombent aussi… Et puis, comble d’effroi, tout le cosmos qui, aux yeux d’observateurs insuffisamment avertis, semble admirable par sa ponctualité d’horloge permettant de calculer, des siècles à l’avance, la minute précise d’un passage ou d’une éclipse, ce cosmos n’est au contraire que désordre, tohu-bohu d’astres, chaos insensé, frénésie de heurts et de mutuelles destructions… Dans un étang aux surfaces immobiles, si nous jetons une pierre, nous voyons pendant quelques secondes des cercles concentriques se former, semblables à des orbites de planètes, et se développer et se suivre avec une régularité absolue, jusqu’à épuisement de l’impulsion initiale, ou bien jusqu’à l’instant où une autre pierre lancée viendra brouiller l’harmonie de ces courbes parfaites. Eh bien! mais il en va de même pour ces exactitudes célestes, devant quoi les non-initiés s’extasient[1]; pendant quelques milliards d’années,—qui sont comme les secondes du temps éternel,—dans chaque groupe stellaire, à partir de l’instant où la secousse initiale l’a mis en mouvement, tout continuera bien en effet à tourbillonner suivant les lois de la gravitation,—lois trop effarantes du reste pour notre raison humaine, effarantes par le seul fait qu’elles existent et que rien ne pourrait faire qu’elles n’existent pas. Et cela durera, chronométriquement, si l’on peut dire ainsi, jusqu’à l’heure inéluctable du choc contre un autre groupe en marche affolée, ou contre quelqu’un de ces monstrueux astres morts qui roulent, obscurs, dans le vide obscur.
Vertige
Fragments d’un journal intime
Lormont (Georges)
Nos matelots
Mademoiselle Anna, très humble poupée
Alsace!
Une furtive silhouette de S. M. la Reine Alexandra d’Angleterre
Femmes françaises pendant la grande guerre
Un «secteur tranquille»
Un petit monde que n’ont pas atteint nos vertiges
L’adieu de Paris au général Gallieni
Une demi-douzaine de petites constatations
Le prince assassiné par Eux (Youzouf-Yzeddin)
La femme turque
Simple gentillesse entre voisins
Les patiences souterraines
New-York entrevu par un Oriental très vieux jeu
Nos amis d’Amérique
Il pleut sur l’enfer de la Somme
Dans ces dessins d’enfantine cosmographie qui, au temps des premiers Pharaons, se faisaient à Memphis, le ciel était figuré par une voûte sphérique à laquelle des fils suspendaient les étoiles, et, sous les différents pays de la terre, naïvement tracés en couleurs, une partie ombrée en noir, qui descendait jusqu’au bas de la feuille de papyrus, s’appelait: base du monde. Au fond de leurs esprits dégagés plus fraîchement que les nôtres de la matière originelle, ne se demandaient-ils pas déjà, ces hommes aux intuitions merveilleuses, ne se demandaient-ils pas ce qu’il pouvait bien y avoir plus haut, plus haut, au-dessus de la voûte bleue où les étoiles s’accrochaient? L’infini, l’inconcevable infini dont nos âmes sont maintenant obsédées, est-ce qu’ils commençaient d’en pressentir l’épouvante?
Et, pour eux, sur quelle autre chose, plus stable encore, cette base du monde posait-elle? Est-ce qu’il leur venait à l’idée de se demander: En dessous, encore plus en dessous, que trouverait-on bien? Alors, toujours, toujours, des couches plus profondes, se soutenant les unes les autres? Et ainsi de suite indéfiniment? Ou bien, qui sait… du vide? Mais alors, comment ces bases tiendraient-elles, car le vide, c’est du néant où tout tombe?…
Hélas! oui, à présent, nous le savons, nous que la Connaissance a déséquilibrés, nous le savons, qu’en dessous c’est le vide, le vide auquel il faut toujours logiquement et inexorablement aboutir, le vide qui est souverain de tout, le vide où tout tombe et où vertigineusement nous tombons sans espoir d’arrêt. Et, à certaines heures, si l’on s’y appesantit, cela devient presque une angoisse de se dire que jamais, jamais, ni nous-mêmes, ni nos restes, ni notre finale poussière, nous ne pourrons reposer en paix sur quelque chose de stable, parce que la stabilité n’existe nulle part et que nous sommes condamnés, après comme pendant la vie, à toujours rouler éperdument dans le vide où il fait noir. S’accélère-t-elle, notre chute, comme c’est la loi pour toutes les autres chutes appréciables à nos sens? Ou bien est-ce que, à travers les espaces auxquels on tremble de penser, la folle vitesse de notre soleil demeure constante? Nous n’en savons rien, et n’en pourrons rien savoir jamais, puisqu’il n’existe et ne peut exister nulle part aucun point de repère qui ne soit en plein vertige de mouvement, puisque cette vitesse, qui déjà nous fait peur, nous ne pouvons l’évaluer que d’une façon relative, par rapport à celle d’autres pauvres petites choses,—d’autres soleils,—qui tombent aussi… Et puis, comble d’effroi, tout le cosmos qui, aux yeux d’observateurs insuffisamment avertis, semble admirable par sa ponctualité d’horloge permettant de calculer, des siècles à l’avance, la minute précise d’un passage ou d’une éclipse, ce cosmos n’est au contraire que désordre, tohu-bohu d’astres, chaos insensé, frénésie de heurts et de mutuelles destructions… Dans un étang aux surfaces immobiles, si nous jetons une pierre, nous voyons pendant quelques secondes des cercles concentriques se former, semblables à des orbites de planètes, et se développer et se suivre avec une régularité absolue, jusqu’à épuisement de l’impulsion initiale, ou bien jusqu’à l’instant où une autre pierre lancée viendra brouiller l’harmonie de ces courbes parfaites. Eh bien! mais il en va de même pour ces exactitudes célestes, devant quoi les non-initiés s’extasient[1]; pendant quelques milliards d’années,—qui sont comme les secondes du temps éternel,—dans chaque groupe stellaire, à partir de l’instant où la secousse initiale l’a mis en mouvement, tout continuera bien en effet à tourbillonner suivant les lois de la gravitation,—lois trop effarantes du reste pour notre raison humaine, effarantes par le seul fait qu’elles existent et que rien ne pourrait faire qu’elles n’existent pas. Et cela durera, chronométriquement, si l’on peut dire ainsi, jusqu’à l’heure inéluctable du choc contre un autre groupe en marche affolée, ou contre quelqu’un de ces monstrueux astres morts qui roulent, obscurs, dans le vide obscur.
Vertige
Fragments d’un journal intime
Lormont (Georges)
Nos matelots
Mademoiselle Anna, très humble poupée
Alsace!
Une furtive silhouette de S. M. la Reine Alexandra d’Angleterre
Femmes françaises pendant la grande guerre
Un «secteur tranquille»
Un petit monde que n’ont pas atteint nos vertiges
L’adieu de Paris au général Gallieni
Une demi-douzaine de petites constatations
Le prince assassiné par Eux (Youzouf-Yzeddin)
La femme turque
Simple gentillesse entre voisins
Les patiences souterraines
New-York entrevu par un Oriental très vieux jeu
Nos amis d’Amérique
Il pleut sur l’enfer de la Somme