Rayons perdus (réédition de 1869, augmentée et préfacée par Charles Asselineau)

Fiction & Literature, Poetry, Continental European
Cover of the book Rayons perdus (réédition de 1869, augmentée et préfacée par Charles Asselineau) by Louisa Siefert, Eric HELAN
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Author: Louisa Siefert ISBN: 1230001318258
Publisher: Eric HELAN Publication: March 12, 2016
Imprint: Language: French
Author: Louisa Siefert
ISBN: 1230001318258
Publisher: Eric HELAN
Publication: March 12, 2016
Imprint:
Language: French

Un volume de poésies dont toute l’édition s’épuise en quelques semaines, & qu’on est obligé de réimprimer, c’est un événement assez rare en librairie pour qu’on le remarque & que l’on cherche à s’en rendre compte.

Le succès ici ne peut être imputé ni à la renommée de l’auteur, ni à son autorité dans le monde, ni au concours des journaux.

Les Rayons perdus sont l’œuvre d’un tout jeune poëte, & ce poëte est une jeune fille dont la vie n’a point dépassé jusqu’ici l’enclos de la maison paternelle. Les journaux ne le connaissent point, & nulle coterie n’a intérêt à surfaire son mérite.

S’il a réussi, c’est donc par des raisons de sympathie particulières, &, cette sympathie, je ne puis mieux l’expliquer qu’en exprimant mes impressions personnelles à la lecture des Rayons perdus.

Ce livre, je l’ai lu des premiers, & le charme que j’y ai trouvé d’abord, c’est celui de la sincérité.

Communément les femmes qui écrivent en vers ont pour premier soin de se déguiser, de se transformer. Elles jouent la poésie, si l’on veut bien me passer ce mot de théâtre & de carnaval, en « travesti », se croyant apparemment plus à l’aise sous un costume qui n’est pas le leur. Pour quelques-unes c’est affaire d’imitation, les modèles parlant généralement & même presque universellement au masculin. En France, constatons-le, la Poésie est un art d’hommes : une demoiselle, des mieux élevées & du meilleur monde, ne craint pas de s’exposer au piano devant une foule ; elle n’hésite pas à répéter devant une assemblée souvent aussi nombreuse que le public d’une salle les accents passionnés d’une Desdemone, ou d’une Rachel (J’ai su tromper les yeux d’un père…) ; elle osera même aller faire une copie au Louvre et dresser son chevalet parmi les rapins. Mais publier des vers chez un éditeur, c’est-à-dire faire vendre un livre dans une boutique à une demi-lieue de chez soi, cela ne se fait pas, cela est mal vu. Aussi les femmes, en petit nombre, qui s’y risquent, se limitent-elles par concession aux sentiments généraux & banals : on est la Muse de la Patrie ; on chante la religion, la nature, la famille, la paix du foyer. Quant à parler en son propre nom, quant à rhythmer ses douleurs et ses espérances, ses propres sentiments et ses propres pensées, qui l’oserait ? Il faut un rare courage pour affronter cette digue si puissante en France, l’usage ; tellement rare que dans ce siècle qui pourtant compte toute une pléiade de dames poëtes d’un talent distingué, une seule, madame Desbordes-Valmore, a osé être franchement & constamment femme, ne peindre, n’exprimer que les sentiments & les passions de son sexe, fille, amante, femme, mère, sans la moindre complicité avec les idées & les ambitions de l’autre sexe, femme devant la barricade de Saint-Merri, comme auprès du lit de sa mère ou du berceau de son fils. « Qu’elle chante, a dit un jour Charles Baudelaire, les langueurs de la jeune fille, la désolation morne d’une Ariane abandonnée, ou les enthousiasmes de la maternité, son chant garde toujours l’accent délicieux de la femme… Cette torche qu’elle agite à nos yeux pour éclairer les mystérieux bocages du sentiment, ou qu’elle pose, pour le raviver, sur notre plus intime souvenir, amoureux ou filial, cette torche, elle l’a allumée au plus profond de son propre cœur. » Mais pour atteindre à une telle hauteur d’audace, il faut l’intrépidité d’un héros, ou l’ingénuité d’un enfant : il faut être une guerrière comme Louise Charly la Lyonnaise, ou une pauvre hirondelle voyageuse comme Marceline Desbordes...

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Un volume de poésies dont toute l’édition s’épuise en quelques semaines, & qu’on est obligé de réimprimer, c’est un événement assez rare en librairie pour qu’on le remarque & que l’on cherche à s’en rendre compte.

Le succès ici ne peut être imputé ni à la renommée de l’auteur, ni à son autorité dans le monde, ni au concours des journaux.

Les Rayons perdus sont l’œuvre d’un tout jeune poëte, & ce poëte est une jeune fille dont la vie n’a point dépassé jusqu’ici l’enclos de la maison paternelle. Les journaux ne le connaissent point, & nulle coterie n’a intérêt à surfaire son mérite.

S’il a réussi, c’est donc par des raisons de sympathie particulières, &, cette sympathie, je ne puis mieux l’expliquer qu’en exprimant mes impressions personnelles à la lecture des Rayons perdus.

Ce livre, je l’ai lu des premiers, & le charme que j’y ai trouvé d’abord, c’est celui de la sincérité.

Communément les femmes qui écrivent en vers ont pour premier soin de se déguiser, de se transformer. Elles jouent la poésie, si l’on veut bien me passer ce mot de théâtre & de carnaval, en « travesti », se croyant apparemment plus à l’aise sous un costume qui n’est pas le leur. Pour quelques-unes c’est affaire d’imitation, les modèles parlant généralement & même presque universellement au masculin. En France, constatons-le, la Poésie est un art d’hommes : une demoiselle, des mieux élevées & du meilleur monde, ne craint pas de s’exposer au piano devant une foule ; elle n’hésite pas à répéter devant une assemblée souvent aussi nombreuse que le public d’une salle les accents passionnés d’une Desdemone, ou d’une Rachel (J’ai su tromper les yeux d’un père…) ; elle osera même aller faire une copie au Louvre et dresser son chevalet parmi les rapins. Mais publier des vers chez un éditeur, c’est-à-dire faire vendre un livre dans une boutique à une demi-lieue de chez soi, cela ne se fait pas, cela est mal vu. Aussi les femmes, en petit nombre, qui s’y risquent, se limitent-elles par concession aux sentiments généraux & banals : on est la Muse de la Patrie ; on chante la religion, la nature, la famille, la paix du foyer. Quant à parler en son propre nom, quant à rhythmer ses douleurs et ses espérances, ses propres sentiments et ses propres pensées, qui l’oserait ? Il faut un rare courage pour affronter cette digue si puissante en France, l’usage ; tellement rare que dans ce siècle qui pourtant compte toute une pléiade de dames poëtes d’un talent distingué, une seule, madame Desbordes-Valmore, a osé être franchement & constamment femme, ne peindre, n’exprimer que les sentiments & les passions de son sexe, fille, amante, femme, mère, sans la moindre complicité avec les idées & les ambitions de l’autre sexe, femme devant la barricade de Saint-Merri, comme auprès du lit de sa mère ou du berceau de son fils. « Qu’elle chante, a dit un jour Charles Baudelaire, les langueurs de la jeune fille, la désolation morne d’une Ariane abandonnée, ou les enthousiasmes de la maternité, son chant garde toujours l’accent délicieux de la femme… Cette torche qu’elle agite à nos yeux pour éclairer les mystérieux bocages du sentiment, ou qu’elle pose, pour le raviver, sur notre plus intime souvenir, amoureux ou filial, cette torche, elle l’a allumée au plus profond de son propre cœur. » Mais pour atteindre à une telle hauteur d’audace, il faut l’intrépidité d’un héros, ou l’ingénuité d’un enfant : il faut être une guerrière comme Louise Charly la Lyonnaise, ou une pauvre hirondelle voyageuse comme Marceline Desbordes...

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