Author: | Constantin-François de Chasseboeuf Volney | ISBN: | 1230002985350 |
Publisher: | Paris : Bossange frères, 1822 | Publication: | December 10, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Constantin-François de Chasseboeuf Volney |
ISBN: | 1230002985350 |
Publisher: | Paris : Bossange frères, 1822 |
Publication: | December 10, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
EST-IL donc vrai que l’Histoire ancienne soit un problème entièrement insoluble, et que nous soyons condamnés à n’avoir que des idées vagues, même sur cette partie à laquelle notre système d’éducation attache une importance religieuse? Quoi! depuis moins de 100 ans, l’esprit humain a su pénétrer une foule d’énigmes de la nature, dans l’Astronomie, dans la Physique générale et particulière; dans la Chimie, etc.; et il ne pourra deviner les logogriphes que lui-même s’est composés dans les récits de l’Histoire! D’où vient cette bizarrerie? J’interroge les observateurs des faits naturels; je leur demande par quelles méthodes ingénieuses et sûres ils on fait de si heureuses découvertes, vaincu de si subtiles difficultés? Ils me répondent «que c’est en rappelant les anciennes théories à de nouveaux examens; en dévoilant l’erreur ou la fausseté de certains faits qu’elles avaient établis comme bases; en n’admettant comme vrais que les faits constatés par l’expérience et par l’analyse; enfin en ne souscrivant à aucune assertion par le respect des noms et des autorités, mais seulement par l’évidence qui naît de la démonstration.»
Je me tourne vers les raconteurs d’événements humains, vers ces écrivains qui peuplent nos bibliothèques de volumes sur l’Histoire ancienne: je leur demande pourquoi, malgré leurs travaux savants et multipliés, nos connaissances n’ont fait, depuis 200 ans, aucun progrès par-delà le court espace de six siècles qui précèdent l’ère chrétienne? «Notre tâche, me disent-ils, est bien plus épineuse que celle des Physiciens: nous n’opérons pas comme eux sur des corps palpables, sur des faits soumis à l’évidence des sens: tels qu’un jury d’enquête, nous opérons sur des faits moraux qui ne sont pas présents, qui même n’existent plus, et qui nous sont racontés tantôt par des témoins, tantôt par des gens qui ne les ont pas vus: ces narrateurs parlant des langues diverses tombées en désuétude, c’est pour nous un premier obstacle d’être obligés de les apprendre; déja nous pouvons commettre bien des erreurs à les expliquer; ensuite il nous faut rechercher les faits ou plutôt les témoignages épars, souvent altérés par leur passage de bouche en bouche; il nous faut confronter les récits, apprécier la moralité et les préjugés des raconteurs; et sur quelques articles leurs contradictions sont si absolues, qu’il en résulte des difficultés inextricables.—Ce n’est pas tout, ajoute un savant critique du dernier siècle[1], et ce n’est pas la seule ou la vraie raison de notre ignorance: il est une cause bien plus radicale que n’avouent pas mes doctes confrères: comme eux je m’étais persuadé que les difficultés qui les arrêtent dans l’Histoire, et surtout dans la Chronologie ancienne, devaient être insolubles en elles-mêmes, et je croyais qu’il y avait de la présomption à tenter ce que des hommes d’un grand nom n’avaient pu exécuter; mais lorsque j’ai parcouru les routes dans lesquelles ils ont marché, j’ai vu avec surprise que c’était aux seuls défauts de la méthode qu’ils ont suivie que l’on doit attribuer le peu de succès de leurs efforts; ils ont commencé par prendre leur parti dans les anciennes histoires, dans celles des temps antérieurs à Cyrus, et après cela ils semblent avoir étudié, non pour parvenir à la connaissance de ce qui est, mais pour trouver les preuves de ce qu’ils ont imaginé devoir être, etc.»
EST-IL donc vrai que l’Histoire ancienne soit un problème entièrement insoluble, et que nous soyons condamnés à n’avoir que des idées vagues, même sur cette partie à laquelle notre système d’éducation attache une importance religieuse? Quoi! depuis moins de 100 ans, l’esprit humain a su pénétrer une foule d’énigmes de la nature, dans l’Astronomie, dans la Physique générale et particulière; dans la Chimie, etc.; et il ne pourra deviner les logogriphes que lui-même s’est composés dans les récits de l’Histoire! D’où vient cette bizarrerie? J’interroge les observateurs des faits naturels; je leur demande par quelles méthodes ingénieuses et sûres ils on fait de si heureuses découvertes, vaincu de si subtiles difficultés? Ils me répondent «que c’est en rappelant les anciennes théories à de nouveaux examens; en dévoilant l’erreur ou la fausseté de certains faits qu’elles avaient établis comme bases; en n’admettant comme vrais que les faits constatés par l’expérience et par l’analyse; enfin en ne souscrivant à aucune assertion par le respect des noms et des autorités, mais seulement par l’évidence qui naît de la démonstration.»
Je me tourne vers les raconteurs d’événements humains, vers ces écrivains qui peuplent nos bibliothèques de volumes sur l’Histoire ancienne: je leur demande pourquoi, malgré leurs travaux savants et multipliés, nos connaissances n’ont fait, depuis 200 ans, aucun progrès par-delà le court espace de six siècles qui précèdent l’ère chrétienne? «Notre tâche, me disent-ils, est bien plus épineuse que celle des Physiciens: nous n’opérons pas comme eux sur des corps palpables, sur des faits soumis à l’évidence des sens: tels qu’un jury d’enquête, nous opérons sur des faits moraux qui ne sont pas présents, qui même n’existent plus, et qui nous sont racontés tantôt par des témoins, tantôt par des gens qui ne les ont pas vus: ces narrateurs parlant des langues diverses tombées en désuétude, c’est pour nous un premier obstacle d’être obligés de les apprendre; déja nous pouvons commettre bien des erreurs à les expliquer; ensuite il nous faut rechercher les faits ou plutôt les témoignages épars, souvent altérés par leur passage de bouche en bouche; il nous faut confronter les récits, apprécier la moralité et les préjugés des raconteurs; et sur quelques articles leurs contradictions sont si absolues, qu’il en résulte des difficultés inextricables.—Ce n’est pas tout, ajoute un savant critique du dernier siècle[1], et ce n’est pas la seule ou la vraie raison de notre ignorance: il est une cause bien plus radicale que n’avouent pas mes doctes confrères: comme eux je m’étais persuadé que les difficultés qui les arrêtent dans l’Histoire, et surtout dans la Chronologie ancienne, devaient être insolubles en elles-mêmes, et je croyais qu’il y avait de la présomption à tenter ce que des hommes d’un grand nom n’avaient pu exécuter; mais lorsque j’ai parcouru les routes dans lesquelles ils ont marché, j’ai vu avec surprise que c’était aux seuls défauts de la méthode qu’ils ont suivie que l’on doit attribuer le peu de succès de leurs efforts; ils ont commencé par prendre leur parti dans les anciennes histoires, dans celles des temps antérieurs à Cyrus, et après cela ils semblent avoir étudié, non pour parvenir à la connaissance de ce qui est, mais pour trouver les preuves de ce qu’ils ont imaginé devoir être, etc.»