Sébastien Roch

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Sébastien Roch by OCTAVE MIRBEAU, GILBERT TEROL
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: OCTAVE MIRBEAU ISBN: 1230002783925
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 3, 2018
Imprint: Language: French
Author: OCTAVE MIRBEAU
ISBN: 1230002783925
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 3, 2018
Imprint:
Language: French

L’école Saint-François-Xavier, que dirigeaient, que dirigent encore les Pères Jésuites, en la pittoresque ville de Vannes, se trouvait, vers 1862, dans tout l’éclat de sa renommée. Aujourd’hui, par un de ces caprices de la mode qui atteignent et changent la forme des gouvernements, des royautés féminines, des chapeaux et des collèges, bien plus que par les récentes persécutions politiques, lesquelles n’amenèrent qu’un changement de personnel vite rétabli, elle est tombée au niveau d’un séminaire diocésain quelconque. Mais, à cette époque, il en existait peu, soit parmi les congréganistes, soit parmi les laïques, d’aussi florissantes. Outre les fils des familles nobles de la Bretagne, de l’Anjou, de la Vendée, qui formaient le fond de son ordinaire clientèle, la célèbre institution recevait des élèves de toutes les parties de la France bienpensante. Elle en recevait même de l’étranger catholique, d’Espagne, d’Italie, de Belgique, d’Autriche, où l’impatience des révolutions et la prudence des partis forcèrent jadis les Jésuites de se réfugier, et où ils ont laissé d’inarrachables racines. Cette vogue, ils la tenaient de leur programme d’enseignement, réputé paternel et routinier ; ils la tenaient surtout de leurs principes d’éducation, qui offraient d’exceptionnels avantages et de rares agréments : une éducation de haut ton, religieuse et mondaine à la fois, comme il en faut à de jeunes gentilshommes, nés pour faire figure dans le monde, et y perpétuer les bonnes doctrines et les belles manières.

Ce n’était point par hasard que les Jésuites, à leur retour de Brugelette, s’étaient installés, en plein cœur du pays armoricain. Aucun décor de paysage et d’humanité ne leur convenait mieux pour pétrir les cerveaux et manier les âmes. Là, les mœurs du moyen âge sont encore très vivantes, les souvenirs de la chouannerie respectés comme des dogmes. De tous les pays bretons, le taciturne Morbihan est demeuré le plus obstinément breton, par son fatalisme religieux, sa résistance sauvage au progrès moderne, et la poésie, âpre, indiciblement triste de son sol qui livre l’homme, abruti de misères, de superstitions et de fièvres, à l’omnipotente et vorace consolation du prêtre. De ces landes, de ces rocs, de cette terre barbare et souffrante, plantée de pâles calvaires et semée de pierres sacrées, émanent un mysticisme violent, une obsession de légende et d’épopée, bien faits pour impressionner les jeunes âmes délicates, les pénétrer de cette discipline spirituelle, de ce goût du merveilleux et de l’héroïque, qui sont le grand moyen d’action des Jésuites, et par quoi ils rêvent d’établir, sur le monde, leur toute-puissance… Les prospectus de l’établissement — chefs-d’œuvre typographiques — ornés de dessins pieux, de vues affriolantes, de noms sonores, de prières rimées et de certificats hygiéniques, ne tarissaient pas d’éloges sur la supériorité morale du milieu breton, en même temps qu’une description lyrique des paysages et des monuments excitait la passion des archéologues et la curiosité des touristes. Entre de glorieuses évocations de l’histoire locale, de ses luttes, de ses martyres, ces prospectus avertissaient aussi les familles que, par une grâce spéciale, due à la proximité de Sainte-Anne-d’Auray, les miracles n’étaient pas rares, au collège, principalement vers l’époque du baccalauréat, que les élèves prenaient des bains de mer sur une plage bénite, et qu’ils mangeaient de la langouste, une fois par semaine.

Devant un tel programme, et malgré la modestie de sa condition, M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincailler à Pervenchères, petite ville du département de l’Orne, osa concevoir l’orgueilleuse pensée d’envoyer, chez les Jésuites de Vannes, son fils Sébastien qui venait d’avoir ses onze ans. Il s’en fut trouver le curé qui approuva chaudement.

— Cristi ! M. Roch, c’est une crâne idée… Quand on sort de ces maisons-là, voyez-vous ?… Mazette !… Quand on sort de là !… Puu… ut !…

Et, prolongeant en sifflement le son de cette exclamation qui lui était familière, il traça dans l’air, avec son bras, un geste dont l’amplitude embrassait le monde.

— Hé ! parbleu !… Je le sais bien, acquiesça M. Roch qui répéta, en l’élargissant encore, le geste du curé. Hé ! parbleu !… À qui le dites-vous ?… Oui, mais c’est très cher ; c’est trop cher…

— C’est trop cher ?… Riposta le curé… Ah ! dame… Écoutez donc… Toute la noblesse, toute l’élite… Ça n’est pas non plus de la petite bière, ça, Monsieur Roch !… Les Jésuites… Bigre ! ne confondons pas, je vous prie, autour avec alentour… Ainsi, moi, j’ai connu un général et deux évêques… Eh bien, ils en venaient… voilà !… Et les marquis, mon cher monsieur, y en a ! y en a !… Vous comprenez, ça se paie, ces choses-là !…

— Hé ! parbleu ! Je ne dis pas non… protesta M. Roch, ébloui… Évidemment, ça doit se payer !

Il ajoute, en se rengorgeant :

— D’ailleurs où serait le mérite ?… Car enfin, soyons justes… C’est comme moi, monsieur le curé… Une belle lampe, n’est-ce pas ? Je la vends plus cher qu’une vilaine…

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

L’école Saint-François-Xavier, que dirigeaient, que dirigent encore les Pères Jésuites, en la pittoresque ville de Vannes, se trouvait, vers 1862, dans tout l’éclat de sa renommée. Aujourd’hui, par un de ces caprices de la mode qui atteignent et changent la forme des gouvernements, des royautés féminines, des chapeaux et des collèges, bien plus que par les récentes persécutions politiques, lesquelles n’amenèrent qu’un changement de personnel vite rétabli, elle est tombée au niveau d’un séminaire diocésain quelconque. Mais, à cette époque, il en existait peu, soit parmi les congréganistes, soit parmi les laïques, d’aussi florissantes. Outre les fils des familles nobles de la Bretagne, de l’Anjou, de la Vendée, qui formaient le fond de son ordinaire clientèle, la célèbre institution recevait des élèves de toutes les parties de la France bienpensante. Elle en recevait même de l’étranger catholique, d’Espagne, d’Italie, de Belgique, d’Autriche, où l’impatience des révolutions et la prudence des partis forcèrent jadis les Jésuites de se réfugier, et où ils ont laissé d’inarrachables racines. Cette vogue, ils la tenaient de leur programme d’enseignement, réputé paternel et routinier ; ils la tenaient surtout de leurs principes d’éducation, qui offraient d’exceptionnels avantages et de rares agréments : une éducation de haut ton, religieuse et mondaine à la fois, comme il en faut à de jeunes gentilshommes, nés pour faire figure dans le monde, et y perpétuer les bonnes doctrines et les belles manières.

Ce n’était point par hasard que les Jésuites, à leur retour de Brugelette, s’étaient installés, en plein cœur du pays armoricain. Aucun décor de paysage et d’humanité ne leur convenait mieux pour pétrir les cerveaux et manier les âmes. Là, les mœurs du moyen âge sont encore très vivantes, les souvenirs de la chouannerie respectés comme des dogmes. De tous les pays bretons, le taciturne Morbihan est demeuré le plus obstinément breton, par son fatalisme religieux, sa résistance sauvage au progrès moderne, et la poésie, âpre, indiciblement triste de son sol qui livre l’homme, abruti de misères, de superstitions et de fièvres, à l’omnipotente et vorace consolation du prêtre. De ces landes, de ces rocs, de cette terre barbare et souffrante, plantée de pâles calvaires et semée de pierres sacrées, émanent un mysticisme violent, une obsession de légende et d’épopée, bien faits pour impressionner les jeunes âmes délicates, les pénétrer de cette discipline spirituelle, de ce goût du merveilleux et de l’héroïque, qui sont le grand moyen d’action des Jésuites, et par quoi ils rêvent d’établir, sur le monde, leur toute-puissance… Les prospectus de l’établissement — chefs-d’œuvre typographiques — ornés de dessins pieux, de vues affriolantes, de noms sonores, de prières rimées et de certificats hygiéniques, ne tarissaient pas d’éloges sur la supériorité morale du milieu breton, en même temps qu’une description lyrique des paysages et des monuments excitait la passion des archéologues et la curiosité des touristes. Entre de glorieuses évocations de l’histoire locale, de ses luttes, de ses martyres, ces prospectus avertissaient aussi les familles que, par une grâce spéciale, due à la proximité de Sainte-Anne-d’Auray, les miracles n’étaient pas rares, au collège, principalement vers l’époque du baccalauréat, que les élèves prenaient des bains de mer sur une plage bénite, et qu’ils mangeaient de la langouste, une fois par semaine.

Devant un tel programme, et malgré la modestie de sa condition, M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincailler à Pervenchères, petite ville du département de l’Orne, osa concevoir l’orgueilleuse pensée d’envoyer, chez les Jésuites de Vannes, son fils Sébastien qui venait d’avoir ses onze ans. Il s’en fut trouver le curé qui approuva chaudement.

— Cristi ! M. Roch, c’est une crâne idée… Quand on sort de ces maisons-là, voyez-vous ?… Mazette !… Quand on sort de là !… Puu… ut !…

Et, prolongeant en sifflement le son de cette exclamation qui lui était familière, il traça dans l’air, avec son bras, un geste dont l’amplitude embrassait le monde.

— Hé ! parbleu !… Je le sais bien, acquiesça M. Roch qui répéta, en l’élargissant encore, le geste du curé. Hé ! parbleu !… À qui le dites-vous ?… Oui, mais c’est très cher ; c’est trop cher…

— C’est trop cher ?… Riposta le curé… Ah ! dame… Écoutez donc… Toute la noblesse, toute l’élite… Ça n’est pas non plus de la petite bière, ça, Monsieur Roch !… Les Jésuites… Bigre ! ne confondons pas, je vous prie, autour avec alentour… Ainsi, moi, j’ai connu un général et deux évêques… Eh bien, ils en venaient… voilà !… Et les marquis, mon cher monsieur, y en a ! y en a !… Vous comprenez, ça se paie, ces choses-là !…

— Hé ! parbleu ! Je ne dis pas non… protesta M. Roch, ébloui… Évidemment, ça doit se payer !

Il ajoute, en se rengorgeant :

— D’ailleurs où serait le mérite ?… Car enfin, soyons justes… C’est comme moi, monsieur le curé… Une belle lampe, n’est-ce pas ? Je la vends plus cher qu’une vilaine…

More books from GILBERT TEROL

Cover of the book MARIANNE by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Militona by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Le Capitaine Fracasse by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Vive la vie ! by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Les Secrets de la Princesse de Cadignan by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain-Tome VII by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Expédition de l'Astrolabe by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Sans Famille Tome I et II by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Le Pardessus d’Arsène Lupin by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Mémoires Tome I et II by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Le Tailleur de pierre de Saint-Point by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book La Fille du capitaine by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book La Mort de la Terre by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book Prester John by OCTAVE MIRBEAU
Cover of the book La Chute des vierges by OCTAVE MIRBEAU
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy