Sigismond de Just

( Edition intégrale )

Nonfiction, History, Austria & Hungary, Biography & Memoir, Reference, Historical
Cover of the book Sigismond de Just by Pierre de Coubertin, La Nouvelle Revue, Paris, 1897
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Author: Pierre de Coubertin ISBN: 1230002583358
Publisher: La Nouvelle Revue, Paris, 1897 Publication: September 28, 2018
Imprint: Language: French
Author: Pierre de Coubertin
ISBN: 1230002583358
Publisher: La Nouvelle Revue, Paris, 1897
Publication: September 28, 2018
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Language: French

En ce temps de snobisme cosmopolite où chacun s’efforce de faire valoir ce qu’il possède ou ce qu’il croit posséder comme les joailliers font valoir sur le velours des vitrines, leurs pierreries, vraies ou fausses — la rencontre d’une âme vraiment droite est une surprise délicieuse. Sigismond de Justh avait déjà conquis à Budapest une réputation méritée et la Jeune-Hongrie littéraire était tout près de le reconnaître pour son chef, que ses amis de Paris ignoraient encore jusqu’aux titres de ses ouvrages. Il ne leur en parlait point ; auprès du moindre d’entre eux, il se faisait disciple, écoutant beaucoup et de préférence, s’attardant aux confidences qu’on lui faisait. Sa nature tendre et sensible les provoquait ; il s’associait aux joies d’autrui, mais plus volontiers aux déboires et aux souffrances ; son sourire de sœur de charité aimait à panser ces plaies compliquées, profondes, illogiques faites par la civilisation d’aujourd’hui. Car lui-même était un « cérébral » ; le travail perpétuel de la pensée l’usait lentement… Que la maladie intellectuelle ait ainsi attaqué et dévoré une nature si noble, si pure, si élevée, voilà qui suffirait à établir la grandeur du péril dont elle nous menace et la nécessité d’un vaccin pour en préserver nos enfants. Je n’ose dire comment le mal se déclara. Je ne le sais point d’une manière certaine.
Il y avait chez Sigismond de Justh — chez Zsiga pour lui donner par delà la mort le diminutif gracieux dont se servaient en parlant de lui, les paysans de Szabad Szent Tornya, un peu de cet étonnement douloureux avec lequel Tolstoï contemple les injustices de ce monde — et au lieu de la sublime folie de redressement qui a amené le grand seigneur russe à vivre une existence d’exception et de bizarrerie, il en résultait chez lui, un sentiment d’impuissance à rien réformer qui se traduisait en accablement et en désespérance. Le premier hiver qu’il passa à Paris — ce devait être 1882 ou 1883 — il suivait des cours de science sociale et étudiait avec une consciencieuse persévérance les remèdes anodins que l’économie politique et la sociologie tiennent en réserve pour les grands désordres de l’humanité. Cette homéopathie l’ennuyait. Son instinct et ses goûts le ramenaient sans cesse à l’observation silencieuse et inactive des phénomènes intellectuels. Il regardait couler le fleuve de la vie, comme il avait, là-bas, regardé couler le grand fleuve national, majestueux et inexorable entre les campagnes immobiles. Et peu à peu l’artiste étouffa l’homme d’action, le rêve chassa le calcul ; il ne songea plus à civiliser ses paysans ; il se contenta de les aimer.

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En ce temps de snobisme cosmopolite où chacun s’efforce de faire valoir ce qu’il possède ou ce qu’il croit posséder comme les joailliers font valoir sur le velours des vitrines, leurs pierreries, vraies ou fausses — la rencontre d’une âme vraiment droite est une surprise délicieuse. Sigismond de Justh avait déjà conquis à Budapest une réputation méritée et la Jeune-Hongrie littéraire était tout près de le reconnaître pour son chef, que ses amis de Paris ignoraient encore jusqu’aux titres de ses ouvrages. Il ne leur en parlait point ; auprès du moindre d’entre eux, il se faisait disciple, écoutant beaucoup et de préférence, s’attardant aux confidences qu’on lui faisait. Sa nature tendre et sensible les provoquait ; il s’associait aux joies d’autrui, mais plus volontiers aux déboires et aux souffrances ; son sourire de sœur de charité aimait à panser ces plaies compliquées, profondes, illogiques faites par la civilisation d’aujourd’hui. Car lui-même était un « cérébral » ; le travail perpétuel de la pensée l’usait lentement… Que la maladie intellectuelle ait ainsi attaqué et dévoré une nature si noble, si pure, si élevée, voilà qui suffirait à établir la grandeur du péril dont elle nous menace et la nécessité d’un vaccin pour en préserver nos enfants. Je n’ose dire comment le mal se déclara. Je ne le sais point d’une manière certaine.
Il y avait chez Sigismond de Justh — chez Zsiga pour lui donner par delà la mort le diminutif gracieux dont se servaient en parlant de lui, les paysans de Szabad Szent Tornya, un peu de cet étonnement douloureux avec lequel Tolstoï contemple les injustices de ce monde — et au lieu de la sublime folie de redressement qui a amené le grand seigneur russe à vivre une existence d’exception et de bizarrerie, il en résultait chez lui, un sentiment d’impuissance à rien réformer qui se traduisait en accablement et en désespérance. Le premier hiver qu’il passa à Paris — ce devait être 1882 ou 1883 — il suivait des cours de science sociale et étudiait avec une consciencieuse persévérance les remèdes anodins que l’économie politique et la sociologie tiennent en réserve pour les grands désordres de l’humanité. Cette homéopathie l’ennuyait. Son instinct et ses goûts le ramenaient sans cesse à l’observation silencieuse et inactive des phénomènes intellectuels. Il regardait couler le fleuve de la vie, comme il avait, là-bas, regardé couler le grand fleuve national, majestueux et inexorable entre les campagnes immobiles. Et peu à peu l’artiste étouffa l’homme d’action, le rêve chassa le calcul ; il ne songea plus à civiliser ses paysans ; il se contenta de les aimer.

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