Author: | ULRIC BARTHE | ISBN: | 1230001283846 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | July 22, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ULRIC BARTHE |
ISBN: | 1230001283846 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | July 22, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait :
La journée ne se passa pas partout aussi paisiblement que dans la région où Biebenheim s’était contenté, à vrai dire, d’opérer une levée de maires et d’automobiles, et de faire boire et manger ses hommes aux dépens des habitants.
Les patrouilles dirigées à l’ouest de la ville poussèrent jusqu’à des villages où était affiché le décret du gouvernement canadien ordonnant la levée en masse.
Le premier mouvement de la population en certains endroits avait été de s’opposer carrément à l’enrôlement. Qu’avons-nous à faire, disait-on, à ces chicanes de la vieille Europe ? Avant d’être à l’Angleterre, nous avons appartenu à la France ; aujourd’hui c’est un autre maître qui se présente. Change pour change. C’est à l’Angleterre, non à nous autres, qu’en veut l’Allemagne. Mordu d’un chien ou d’une chienne, c’est toujours bête à quatre pattes. Pourvu qu’on nous laisse vivre tranquilles sur nos terres, peu importe qui nous gouverne…
Il y en avait même qui ajoutaient : Après tout, nous serions peut-être aussi bien sous le régime allemand !…
Il eût été inutile de discuter avec ces esprits sans horizon, ces égoïstes myopes incapables de voir plus loin que les bornes de leur champ d’avoine. Ces natures-là sont mûres pour l’esclavage. Heureusement, ceux qui tenaient ce langage d’ilotes n’étaient qu’une infime minorité. Leurs lâches murmures furent bientôt étouffés par des voix éloquentes.
Ce même dimanche, dans un des villages les plus éloignés qu’allaient visiter les patrouilles lancées de Québec, le curé de l’endroit laissa tomber de la chaire, au prône, des paroles qui créèrent une sensation indescriptible.
« Mes chers frères, dit-il en substance, vous êtes l’un des peuples les plus heureux de la terre. Vous ne semblez pas vous en rendre compte, s’il faut en juger par vos doléances journalières. Vous vous plaignez des taxes : taxes fédérales, taxes provinciales, taxes municipales, taxes scolaires, contributions pour le maintien des asiles d’aliénés, pour l’administration de la justice, répartitions d’église, la dîme du curé, et que sais-je encore ? Mais, dites-moi, avez-vous jamais songé qu’il existe une autre taxe, bien plus dure, que vous n’avez jamais encore été appelés à payer ?… Vous me regardez avec étonnement ; vous vous demandez peut-être si je suis dans mon bon sens. Eh bien, oui, j’affirme que vous avez été jusqu’ici exemptés d’un impôt que bien d’autres nations versent généreusement. Pourquoi y échapperiez-vous plutôt que d’autres de vos semblables ? Qu’avez-vous donc exceptionnellement mérité du ciel pour qu’il vous épargne ce qui est le lot du reste de l’humanité ? Mes frères, cette taxe que vous n’avez jamais payée, êtes-vous aujourd’hui prêts à la verser ? Je vais vous la nommer : c’est l’impôt du sang ! » [1]
Et il s’arrêta comme s’il attendait une réponse.
Dire que ces quelques phrases, énoncées avec cette simplicité qui va droit au cœur, remuèrent profondément l’auditoire, serait banal.
Des sanglots étouffés rompirent le silence de mort qui suivit les derniers mots du prédicateur. Quelques femmes faillirent se trouver mal. Les vieillards sentirent bouillonner dans leurs veines un flot oublié de jeunesse. Les jeunes hommes auxquels s’adressait plus particulièrement cet appel d’en haut pâlirent un peu, mais redressèrent fièrement la tête, regardant droit devant eux, comme si une vision céleste leur apparaissait, sanglante peut-être, mais brillante, pour la première fois de leur vie.
Extrait :
La journée ne se passa pas partout aussi paisiblement que dans la région où Biebenheim s’était contenté, à vrai dire, d’opérer une levée de maires et d’automobiles, et de faire boire et manger ses hommes aux dépens des habitants.
Les patrouilles dirigées à l’ouest de la ville poussèrent jusqu’à des villages où était affiché le décret du gouvernement canadien ordonnant la levée en masse.
Le premier mouvement de la population en certains endroits avait été de s’opposer carrément à l’enrôlement. Qu’avons-nous à faire, disait-on, à ces chicanes de la vieille Europe ? Avant d’être à l’Angleterre, nous avons appartenu à la France ; aujourd’hui c’est un autre maître qui se présente. Change pour change. C’est à l’Angleterre, non à nous autres, qu’en veut l’Allemagne. Mordu d’un chien ou d’une chienne, c’est toujours bête à quatre pattes. Pourvu qu’on nous laisse vivre tranquilles sur nos terres, peu importe qui nous gouverne…
Il y en avait même qui ajoutaient : Après tout, nous serions peut-être aussi bien sous le régime allemand !…
Il eût été inutile de discuter avec ces esprits sans horizon, ces égoïstes myopes incapables de voir plus loin que les bornes de leur champ d’avoine. Ces natures-là sont mûres pour l’esclavage. Heureusement, ceux qui tenaient ce langage d’ilotes n’étaient qu’une infime minorité. Leurs lâches murmures furent bientôt étouffés par des voix éloquentes.
Ce même dimanche, dans un des villages les plus éloignés qu’allaient visiter les patrouilles lancées de Québec, le curé de l’endroit laissa tomber de la chaire, au prône, des paroles qui créèrent une sensation indescriptible.
« Mes chers frères, dit-il en substance, vous êtes l’un des peuples les plus heureux de la terre. Vous ne semblez pas vous en rendre compte, s’il faut en juger par vos doléances journalières. Vous vous plaignez des taxes : taxes fédérales, taxes provinciales, taxes municipales, taxes scolaires, contributions pour le maintien des asiles d’aliénés, pour l’administration de la justice, répartitions d’église, la dîme du curé, et que sais-je encore ? Mais, dites-moi, avez-vous jamais songé qu’il existe une autre taxe, bien plus dure, que vous n’avez jamais encore été appelés à payer ?… Vous me regardez avec étonnement ; vous vous demandez peut-être si je suis dans mon bon sens. Eh bien, oui, j’affirme que vous avez été jusqu’ici exemptés d’un impôt que bien d’autres nations versent généreusement. Pourquoi y échapperiez-vous plutôt que d’autres de vos semblables ? Qu’avez-vous donc exceptionnellement mérité du ciel pour qu’il vous épargne ce qui est le lot du reste de l’humanité ? Mes frères, cette taxe que vous n’avez jamais payée, êtes-vous aujourd’hui prêts à la verser ? Je vais vous la nommer : c’est l’impôt du sang ! » [1]
Et il s’arrêta comme s’il attendait une réponse.
Dire que ces quelques phrases, énoncées avec cette simplicité qui va droit au cœur, remuèrent profondément l’auditoire, serait banal.
Des sanglots étouffés rompirent le silence de mort qui suivit les derniers mots du prédicateur. Quelques femmes faillirent se trouver mal. Les vieillards sentirent bouillonner dans leurs veines un flot oublié de jeunesse. Les jeunes hommes auxquels s’adressait plus particulièrement cet appel d’en haut pâlirent un peu, mais redressèrent fièrement la tête, regardant droit devant eux, comme si une vision céleste leur apparaissait, sanglante peut-être, mais brillante, pour la première fois de leur vie.