Sous le soleil de Satan

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Sous le soleil de Satan by GEORGES BERNANOS, GILBERT TEROL
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Author: GEORGES BERNANOS ISBN: 1230003025840
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 9, 2019
Imprint: Language: French
Author: GEORGES BERNANOS
ISBN: 1230003025840
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 9, 2019
Imprint:
Language: French

Il étendit les deux mains, comme pour repousser ce secret dangereux, puis reposa sa tête au creux de l’oreiller. Mais au premier mouvement de retraite du vicaire :

— Attention ! je vous interdis formellement d’ouvrir seulement la bouche sur un tel sujet, sans mon autorisation préalable, en présence de n’importe qui. N’importe qui, entendez-vous ?

— Même mon confesseur habituel ?… Demanda timidement l’abbé Donissan.

— Celui-là surtout, répondit l’autre, avec tranquillité.

Alors le silence retomba, plus lourd. Une fois, deux fois, le grand corps du vicaire oscilla de droite à gauche, et son regard se tourna vers la porte. Sa main droite tourmentait nerveusement les boutons de sa soutane. Et il entendit soudain, à son grand étonnement, sa propre voix :

— Je n’ai pas tout dit, fit-il.

Nulle réponse.

— Ce qui me reste à dire intéresse — en quelle mesure, Dieu le sait ! — le salut d’une pauvre âme dont nous aurons à répondre, vous et moi. La Providence semble me l’avoir confiée, nommément, expressément, c’est sûr, car cette personne appartient à votre famille paroissiale, monsieur le doyen.

— J’écoute, répondit l’abbé Menou-Segrais, levant lentement les yeux.

Pas une seconde, au cours du long récit qui suivit, le lucide et puissant regard ne se détourna de la face ravagée du vicaire. Une espèce d’attention douloureuse s’y pouvait lire, où la claire résolution se formait déjà peu à peu. Pas un mot ne sortit de la bouche serrée, pas un frémissement ne parcourut les longues mains blêmes posées sur les bras du fauteuil, et la tête un peu renversée, le menton haut, resplendissait d’intelligence et de volonté.

Lorsque le vicaire eut achevé, le doyen de Campagne se détourna sans affectation vers le Christ florentin pendu à son chevet et dit, d’une voix à la fois forte et tendre :

— Dieu soit béni, mon enfant, parce que vous avez si franchement et si humblement parlé. Car cette simplicité désarme l’esprit du mal même.

Faisant signe au jeune prêtre d’approcher, il se leva légèrement vers lui, chercha son regard et, face à face :

— Je vous crois, dit-il, je vous crois sans réserve. Mais j’ai besoin de préparer un moment ce que je m’en vais dire… Prenez sur ma table, à droite, là, oui : c’est l’Imitation de notre-Seigneur… Vous l’ouvrirez au livre III, chapitre lvi, et vous prononcerez du fond du cœur, particulièrement, les versets 5 et 6. Allez… Laissez-moi.

Le vieux prêtre aux dons magnifiques, que l’ignorance, l’injustice et l’envie avaient jadis désarmé, sentit à cette heure unique qu’il consommait son destin. Les comparaisons sont peu de chose, quand il faut les emprunter à la vie commune pour donner quelque idée des événements de la vie intérieure et de leur majesté. Le moment était venu où cet homme exceptionnel, à la fois subtil et passionné, aussi hardi qu’aucun autre mais capable de porter sur toute chose la pointe aiguë de l’esprit, allait donner sa pleine mesure.

— La honte d’avoir fui la gloire…, murmura-t-il, répétant de mémoire les derniers mots du chapitre. À présent, écoutez-moi, mon ami.

Docilement, le vicaire de Campagne quitta le prie-Dieu, et se tint debout à quelques pas.

— Ce que vous allez entendre, dit l’abbé Menou-Segrais, vous fera du mal sans doute. Dieu sait que je vous ai jusqu’ici trop ménagé ! Je ne voudrais point vous troubler cependant. Quoi que je dise, restez en paix. Car vous n’avez commis aucune faute, sinon d’inexpérience et de zèle. M’avez-vous compris ?

L’abbé hocha la tête.

— Vous avez agi comme un enfant, continua le vieux prêtre, après un silence. Les épreuves qui vous attendent ici ne sont point de celles qu’on peut affronter avec présomption : plus que jamais, quoi qu’il vous en coûte, vous devez leur tourner le dos, fuir, sans seulement un regard en arrière. Chacun de nous n’est tenté que selon ses forces. Notre concupiscence naît, grandit, évolue avec nous-mêmes. Elle est, comme certaines de ces infirmités chroniques, une espèce de compromis entre la maladie et la santé. Alors, la patience suffit. Mais il arrive que le mal s’aggrave tout à coup, qu’un élément nouveau…

Il s’interrompit, non sans quelque embarras vite surmonté.

— Prenez d’abord note de ceci : pour tout le monde vous n’êtes désormais (jusqu’à quand ?) qu’un petit abbé plein d’imagination et de suffisance, moitié rêveur, moitié menteur, ou un fou. Subissez donc la pénitence qui vous sera sûrement imposée, le silence et l’oubli temporaire du cloître, non pas comme un châtiment injuste, mais nécessaire et justifié…. M’avez-vous compris encore ?

Même regard et même signe.

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Il étendit les deux mains, comme pour repousser ce secret dangereux, puis reposa sa tête au creux de l’oreiller. Mais au premier mouvement de retraite du vicaire :

— Attention ! je vous interdis formellement d’ouvrir seulement la bouche sur un tel sujet, sans mon autorisation préalable, en présence de n’importe qui. N’importe qui, entendez-vous ?

— Même mon confesseur habituel ?… Demanda timidement l’abbé Donissan.

— Celui-là surtout, répondit l’autre, avec tranquillité.

Alors le silence retomba, plus lourd. Une fois, deux fois, le grand corps du vicaire oscilla de droite à gauche, et son regard se tourna vers la porte. Sa main droite tourmentait nerveusement les boutons de sa soutane. Et il entendit soudain, à son grand étonnement, sa propre voix :

— Je n’ai pas tout dit, fit-il.

Nulle réponse.

— Ce qui me reste à dire intéresse — en quelle mesure, Dieu le sait ! — le salut d’une pauvre âme dont nous aurons à répondre, vous et moi. La Providence semble me l’avoir confiée, nommément, expressément, c’est sûr, car cette personne appartient à votre famille paroissiale, monsieur le doyen.

— J’écoute, répondit l’abbé Menou-Segrais, levant lentement les yeux.

Pas une seconde, au cours du long récit qui suivit, le lucide et puissant regard ne se détourna de la face ravagée du vicaire. Une espèce d’attention douloureuse s’y pouvait lire, où la claire résolution se formait déjà peu à peu. Pas un mot ne sortit de la bouche serrée, pas un frémissement ne parcourut les longues mains blêmes posées sur les bras du fauteuil, et la tête un peu renversée, le menton haut, resplendissait d’intelligence et de volonté.

Lorsque le vicaire eut achevé, le doyen de Campagne se détourna sans affectation vers le Christ florentin pendu à son chevet et dit, d’une voix à la fois forte et tendre :

— Dieu soit béni, mon enfant, parce que vous avez si franchement et si humblement parlé. Car cette simplicité désarme l’esprit du mal même.

Faisant signe au jeune prêtre d’approcher, il se leva légèrement vers lui, chercha son regard et, face à face :

— Je vous crois, dit-il, je vous crois sans réserve. Mais j’ai besoin de préparer un moment ce que je m’en vais dire… Prenez sur ma table, à droite, là, oui : c’est l’Imitation de notre-Seigneur… Vous l’ouvrirez au livre III, chapitre lvi, et vous prononcerez du fond du cœur, particulièrement, les versets 5 et 6. Allez… Laissez-moi.

Le vieux prêtre aux dons magnifiques, que l’ignorance, l’injustice et l’envie avaient jadis désarmé, sentit à cette heure unique qu’il consommait son destin. Les comparaisons sont peu de chose, quand il faut les emprunter à la vie commune pour donner quelque idée des événements de la vie intérieure et de leur majesté. Le moment était venu où cet homme exceptionnel, à la fois subtil et passionné, aussi hardi qu’aucun autre mais capable de porter sur toute chose la pointe aiguë de l’esprit, allait donner sa pleine mesure.

— La honte d’avoir fui la gloire…, murmura-t-il, répétant de mémoire les derniers mots du chapitre. À présent, écoutez-moi, mon ami.

Docilement, le vicaire de Campagne quitta le prie-Dieu, et se tint debout à quelques pas.

— Ce que vous allez entendre, dit l’abbé Menou-Segrais, vous fera du mal sans doute. Dieu sait que je vous ai jusqu’ici trop ménagé ! Je ne voudrais point vous troubler cependant. Quoi que je dise, restez en paix. Car vous n’avez commis aucune faute, sinon d’inexpérience et de zèle. M’avez-vous compris ?

L’abbé hocha la tête.

— Vous avez agi comme un enfant, continua le vieux prêtre, après un silence. Les épreuves qui vous attendent ici ne sont point de celles qu’on peut affronter avec présomption : plus que jamais, quoi qu’il vous en coûte, vous devez leur tourner le dos, fuir, sans seulement un regard en arrière. Chacun de nous n’est tenté que selon ses forces. Notre concupiscence naît, grandit, évolue avec nous-mêmes. Elle est, comme certaines de ces infirmités chroniques, une espèce de compromis entre la maladie et la santé. Alors, la patience suffit. Mais il arrive que le mal s’aggrave tout à coup, qu’un élément nouveau…

Il s’interrompit, non sans quelque embarras vite surmonté.

— Prenez d’abord note de ceci : pour tout le monde vous n’êtes désormais (jusqu’à quand ?) qu’un petit abbé plein d’imagination et de suffisance, moitié rêveur, moitié menteur, ou un fou. Subissez donc la pénitence qui vous sera sûrement imposée, le silence et l’oubli temporaire du cloître, non pas comme un châtiment injuste, mais nécessaire et justifié…. M’avez-vous compris encore ?

Même regard et même signe.

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