LA DAME A LA LOUVE

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book LA DAME A LA LOUVE by RENÉE VIVIEN, GILBERT TEROL
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Author: RENÉE VIVIEN ISBN: 1230000212045
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 22, 2014
Imprint: Language: French
Author: RENÉE VIVIEN
ISBN: 1230000212045
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 22, 2014
Imprint:
Language: French

Je ne sais pourquoi j’entrepris de faire la cour à cette femme. Elle n’était ni belle, ni jolie, ni même agréable. Et moi, (je le dis sans fatuité, mesdames,) on a bien voulu quelquefois ne pas me trouver indifférent. Ce n’est pas que je sois extraordinairement doué par la Nature au physique ni au moral : mais enfin, tel que je suis, — l’avouerai-je ? — j’ai été très gâté par le sexe. Oh ! rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger un vaniteux récit de mes conquêtes. Je suis un modeste. Au surplus, il ne s’agit point de moi en l’occurrence. Il s’agit de cette femme, ou plutôt de cette jeune fille, enfin de cette Anglaise dont le curieux visage m’a plu pendant une heure.

C’était un être bizarre. Lorsque je m’approchai d’elle pour la première fois, une grande bête dormait dans les plis traînants de sa jupe. J’avais aux lèvres ces paroles aimablement banales qui facilitent les relations entre étrangers. Les mots ne sont rien en pareil cas, — l’art de les prononcer est tout…

Mais la grande bête, dressant le museau, grogna d’une manière sinistre, au moment même où j’abordai l’intéressante inconnue.

Malgré moi, je reculai d’un pas.

« Vous avez là un chien bien méchant, mademoiselle, » observai-je.

« C’est une louve, » répondit-elle avec quelque sécheresse. « Et, comme elle a parfois des aversions aussi violentes qu’inexplicables, je crois que vous feriez bien de vous éloigner un peu. »

D’un appel sévère elle fit taire la louve : « Helga ! »

Je battis en retraite, légèrement humilié. C’était là une sotte histoire, avouez-le. Je ne connais point la peur, mais je hais le ridicule. L’incident m’ennuyait d’autant plus que j’avais cru surprendre dans les yeux de la jeune fille une lueur de sympathie. Je lui plaisais certainement quelque peu. Elle devait être aussi dépitée que moi de ce contre-temps regrettable. Quelle pitié ! Une conversation dont le début promettait si bien !…

Je ne sais pourquoi l’affreux animal cessa plus tard ses manifestations hostiles. Je pus approcher sans crainte de sa maîtresse. Jamais je n’ai vu de visage aussi étrange. Sous ses lourds cheveux d’un blond à la fois ardent et terne, pareils à des cendres rousses, blêmissait la pâleur grise du teint. Le corps émacié avait la délicatesse fine et frêle d’un beau squelette. (Nous sommes tous un peu artistes à Paris, voyez-vous.) Cette femme dégageait une impression d’orgueil rude et solitaire, de fuite et de recul furieux. Ses yeux jaunes ressemblaient à ceux de sa louve. Ils avaient le même regard d’hostilité sournoise. Ses pas étaient tellement silencieux qu’ils en devenaient inquiétants. Jamais on n’a marché avec si peu de bruit. Elle était vêtue d’une étoffe épaisse, qui ressemblait à une fourrure. Elle n’était ni belle, ni jolie, ni charmante. Mais, enfin, c’était la seule femme qui fût à bord.

Je lui fis donc la cour. J’observai les règles les plus solidement étayées sur une expérience déjà longue. Elle eut l’habileté de ne point me laisser voir le plaisir profond que lui causaient mes avances. Elle sut même conserver à ses yeux jaunes leur habituelle expression défiante. Admirable exemple de ruse féminine ! Cette manœuvre eut pour unique résultat de m’attirer plus violemment vers elle. Les longues résistances vous font quelquefois l’effet d’une agréable surprise, et rendent la victoire plus éclatante… Vous ne me contredirez pas sur ce point, n’est-ce pas, messieurs ? Nous avons tous à peu près les mêmes sentiments. Il y a entre nous une fraternité d’âme si complète qu’elle rend une conversation presque impossible. C’est pourquoi je fuis souvent la monotone compagnie des hommes, trop identiques à moi-même.

Certes, la Dame à la louve m’attirait. Et puis, dois-je le confesser ? cette chasteté contrainte des geôles flottantes exaspérait mes sens tumultueux. C’était une femme… Et ma cour, jusque-là respectueuse, devenait chaque jour plus pressante. J’accumulais les métaphores enflammées. Je développais élégamment d’éloquentes périodes.

Voyez jusqu’où allait la fourbe de cette femme ! Elle affectait, en m’écoutant, une distraction lunaire. On eût juré qu’elle s’intéressait uniquement au sillage d’écume, pareil à de la neige en fumée. (Les femmes ne sont point insensibles aux comparaisons poétiques.) Mais moi qui étudie depuis longtemps la psychologie sur le visage féminin, je compris que ses lourdes paupières baissées cachaient de vacillantes lueurs d’amour.

Un jour je payai d’audace, et voulus joindre le geste flatteur à la parole délicate, lorsqu’elle se tourna vers moi, d’un bond de louve.

« Allez-vous-en, » ordonna-t-elle avec une décision presque sauvage. Ses dents de fauve brillaient étrangement sous les lèvres au menaçant retroussis.

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Je ne sais pourquoi j’entrepris de faire la cour à cette femme. Elle n’était ni belle, ni jolie, ni même agréable. Et moi, (je le dis sans fatuité, mesdames,) on a bien voulu quelquefois ne pas me trouver indifférent. Ce n’est pas que je sois extraordinairement doué par la Nature au physique ni au moral : mais enfin, tel que je suis, — l’avouerai-je ? — j’ai été très gâté par le sexe. Oh ! rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger un vaniteux récit de mes conquêtes. Je suis un modeste. Au surplus, il ne s’agit point de moi en l’occurrence. Il s’agit de cette femme, ou plutôt de cette jeune fille, enfin de cette Anglaise dont le curieux visage m’a plu pendant une heure.

C’était un être bizarre. Lorsque je m’approchai d’elle pour la première fois, une grande bête dormait dans les plis traînants de sa jupe. J’avais aux lèvres ces paroles aimablement banales qui facilitent les relations entre étrangers. Les mots ne sont rien en pareil cas, — l’art de les prononcer est tout…

Mais la grande bête, dressant le museau, grogna d’une manière sinistre, au moment même où j’abordai l’intéressante inconnue.

Malgré moi, je reculai d’un pas.

« Vous avez là un chien bien méchant, mademoiselle, » observai-je.

« C’est une louve, » répondit-elle avec quelque sécheresse. « Et, comme elle a parfois des aversions aussi violentes qu’inexplicables, je crois que vous feriez bien de vous éloigner un peu. »

D’un appel sévère elle fit taire la louve : « Helga ! »

Je battis en retraite, légèrement humilié. C’était là une sotte histoire, avouez-le. Je ne connais point la peur, mais je hais le ridicule. L’incident m’ennuyait d’autant plus que j’avais cru surprendre dans les yeux de la jeune fille une lueur de sympathie. Je lui plaisais certainement quelque peu. Elle devait être aussi dépitée que moi de ce contre-temps regrettable. Quelle pitié ! Une conversation dont le début promettait si bien !…

Je ne sais pourquoi l’affreux animal cessa plus tard ses manifestations hostiles. Je pus approcher sans crainte de sa maîtresse. Jamais je n’ai vu de visage aussi étrange. Sous ses lourds cheveux d’un blond à la fois ardent et terne, pareils à des cendres rousses, blêmissait la pâleur grise du teint. Le corps émacié avait la délicatesse fine et frêle d’un beau squelette. (Nous sommes tous un peu artistes à Paris, voyez-vous.) Cette femme dégageait une impression d’orgueil rude et solitaire, de fuite et de recul furieux. Ses yeux jaunes ressemblaient à ceux de sa louve. Ils avaient le même regard d’hostilité sournoise. Ses pas étaient tellement silencieux qu’ils en devenaient inquiétants. Jamais on n’a marché avec si peu de bruit. Elle était vêtue d’une étoffe épaisse, qui ressemblait à une fourrure. Elle n’était ni belle, ni jolie, ni charmante. Mais, enfin, c’était la seule femme qui fût à bord.

Je lui fis donc la cour. J’observai les règles les plus solidement étayées sur une expérience déjà longue. Elle eut l’habileté de ne point me laisser voir le plaisir profond que lui causaient mes avances. Elle sut même conserver à ses yeux jaunes leur habituelle expression défiante. Admirable exemple de ruse féminine ! Cette manœuvre eut pour unique résultat de m’attirer plus violemment vers elle. Les longues résistances vous font quelquefois l’effet d’une agréable surprise, et rendent la victoire plus éclatante… Vous ne me contredirez pas sur ce point, n’est-ce pas, messieurs ? Nous avons tous à peu près les mêmes sentiments. Il y a entre nous une fraternité d’âme si complète qu’elle rend une conversation presque impossible. C’est pourquoi je fuis souvent la monotone compagnie des hommes, trop identiques à moi-même.

Certes, la Dame à la louve m’attirait. Et puis, dois-je le confesser ? cette chasteté contrainte des geôles flottantes exaspérait mes sens tumultueux. C’était une femme… Et ma cour, jusque-là respectueuse, devenait chaque jour plus pressante. J’accumulais les métaphores enflammées. Je développais élégamment d’éloquentes périodes.

Voyez jusqu’où allait la fourbe de cette femme ! Elle affectait, en m’écoutant, une distraction lunaire. On eût juré qu’elle s’intéressait uniquement au sillage d’écume, pareil à de la neige en fumée. (Les femmes ne sont point insensibles aux comparaisons poétiques.) Mais moi qui étudie depuis longtemps la psychologie sur le visage féminin, je compris que ses lourdes paupières baissées cachaient de vacillantes lueurs d’amour.

Un jour je payai d’audace, et voulus joindre le geste flatteur à la parole délicate, lorsqu’elle se tourna vers moi, d’un bond de louve.

« Allez-vous-en, » ordonna-t-elle avec une décision presque sauvage. Ses dents de fauve brillaient étrangement sous les lèvres au menaçant retroussis.

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