L’arroseur

( Edition intégrale ) annoté

Fiction & Literature, Humorous, Literary
Cover of the book L’arroseur by Alphonse Allais, Paris : F. Juven, 1901
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Author: Alphonse Allais ISBN: 1230001671803
Publisher: Paris : F. Juven, 1901 Publication: May 8, 2017
Imprint: Language: French
Author: Alphonse Allais
ISBN: 1230001671803
Publisher: Paris : F. Juven, 1901
Publication: May 8, 2017
Imprint:
Language: French

Sauf un : celui d'un brave garçon, qui s'appelait et s'appelle encore, d'ailleurs, Gaston de Puyrâleux.

Récemment libéré du service militaire, Gaston avait eu juste le temps de dévorer l'héritage d'un oncle, lequel mérite en passant une courte mention.

Le vieux duc Loys de Puyrâleux, après une existence toute d'austérité et d'agronomie, tomba, au cours d'un de ses voyages à Paris, dans les lacs charmeurs d'une jeune femme sans conduite qu'on appelle la Môme-Pipi. Une nuit, le pauvre gentilhomme apoplectique succomba dans les bras de cette sirène enrouée, au troisième étage d'un garni de la rue Lamarck (XVIIIe arrondissement).

Très fin-de-siècle, Gaston fit un joli cadeau à la Môme-Pipi, organisa de décentes funérailles à son oncle Loys et ne connu point de répit que sa petite fortune n'eût passé dans les mains, moitié de cocottes, moitié de grecs.

? Quand je n'aurai plus d'argent, se disait-il, avec la philosophie de la vingt-cinquième année, je me ferai sauter le caisson.

L'heure arriva, plutôt qu'à son tour, et le caisson ne sauta pas.

Est-ce qu'on se fait sauter le caisson quand il fait ce temps-là ! (Car je crois avoir fait observer plus haut que c'était le printemps.)

Gaston de Puyrâleux en était là de ses réflexions, quand il rencontra sur le Boulevard un gros homme qu'il avait connu au Tréport.

? Tiens, monsieur de Puyrâleux !? Comment allez-vous ?

? Très bien, je vous remercie? c'est-à-dire, quand je dis très bien, vous savez?

? Seriez·vous souffrant ?

? Non, mais?

Et Gaston narra au gros homme sa triste situation.

Le gros homme se trouvait être, détail ignoré de Gaston, un fort entrepreneur d'arrosage de la ville de Paris. Il compatit vivement à la détresse du jeune homme.

? Si j'osais vous offrir une place dans mes bureaux ?

? Oh ! les bureaux, vous savez, ça n'est pas beaucoup mon affaire.

? Je ne peux pourtant pas vous proposer de mener un tonneau d'arrosage.

? Pourquoi pas ?

? Comment, vous consentiriez ??

? Parfaitement !? Moi, pourvu que j'ai le cul sur un siège et des guides dans les mains, je me fiche du reste.

? !!!!

? Quant à ce qui est de la capacité, vous pouvez vous en rapporter à moi. Je sors du Royal-Cambouis, et je conduirais une prolonge de Paris à Orléans sur un fil télégraphique.

? Entendu alors.

? Entendu.

Et le lendemain matin, le dernier des Puyrâleux se mettait en devoir d'arroser copieusement la place de la Concorde, qui lui avait été assignée.

C'était le printemps !

Les petites femmes enfin désemmitouflées ? oh ! qu'enfin !? (Voir plus haut.)

C'était si bien le printemps que Gaston perdit complètement la notion exacte des choses.

Les voitures affluaient au Bois.

Gaston, une fleur de marronnier à la boutonnière, crut qu'il en était encore à son époque de splendeur.

Il enveloppa d'un coup de fouet son robuste percheron et enfila l'avenue des Champs-Elysées. (Avez·vous remarqué que, dans les histoires, les percherons sont toujours de robustes percherons ?)

Maintenant, il allait au petit trot, sans souci des grandes eaux qu'il traînait derrière lui.

Tous ses vieux amis, toutes ses anciennes maîtresses le reconnaissaient, effarés. Lui les saluait gracieusement de la main : bonjour, bon ! Bonjour, chère ! Salut, vieux C? !

La vérité m'oblige à reconnaître que ses avances étaient accueillies plus froidement.

Le tonneau se vidait un peu sur tout le monde, sur les jambes des chevaux, sur les roues des voitures. Une famille qui se promenait dans une charrette fort basse fut totalement inondée.

C'est ainsi que Gaston arriva au Lac.

La présence d'un tonneau d'arrosage au trot parmi la carrosserie fine causa un scandale abominable...

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Sauf un : celui d'un brave garçon, qui s'appelait et s'appelle encore, d'ailleurs, Gaston de Puyrâleux.

Récemment libéré du service militaire, Gaston avait eu juste le temps de dévorer l'héritage d'un oncle, lequel mérite en passant une courte mention.

Le vieux duc Loys de Puyrâleux, après une existence toute d'austérité et d'agronomie, tomba, au cours d'un de ses voyages à Paris, dans les lacs charmeurs d'une jeune femme sans conduite qu'on appelle la Môme-Pipi. Une nuit, le pauvre gentilhomme apoplectique succomba dans les bras de cette sirène enrouée, au troisième étage d'un garni de la rue Lamarck (XVIIIe arrondissement).

Très fin-de-siècle, Gaston fit un joli cadeau à la Môme-Pipi, organisa de décentes funérailles à son oncle Loys et ne connu point de répit que sa petite fortune n'eût passé dans les mains, moitié de cocottes, moitié de grecs.

? Quand je n'aurai plus d'argent, se disait-il, avec la philosophie de la vingt-cinquième année, je me ferai sauter le caisson.

L'heure arriva, plutôt qu'à son tour, et le caisson ne sauta pas.

Est-ce qu'on se fait sauter le caisson quand il fait ce temps-là ! (Car je crois avoir fait observer plus haut que c'était le printemps.)

Gaston de Puyrâleux en était là de ses réflexions, quand il rencontra sur le Boulevard un gros homme qu'il avait connu au Tréport.

? Tiens, monsieur de Puyrâleux !? Comment allez-vous ?

? Très bien, je vous remercie? c'est-à-dire, quand je dis très bien, vous savez?

? Seriez·vous souffrant ?

? Non, mais?

Et Gaston narra au gros homme sa triste situation.

Le gros homme se trouvait être, détail ignoré de Gaston, un fort entrepreneur d'arrosage de la ville de Paris. Il compatit vivement à la détresse du jeune homme.

? Si j'osais vous offrir une place dans mes bureaux ?

? Oh ! les bureaux, vous savez, ça n'est pas beaucoup mon affaire.

? Je ne peux pourtant pas vous proposer de mener un tonneau d'arrosage.

? Pourquoi pas ?

? Comment, vous consentiriez ??

? Parfaitement !? Moi, pourvu que j'ai le cul sur un siège et des guides dans les mains, je me fiche du reste.

? !!!!

? Quant à ce qui est de la capacité, vous pouvez vous en rapporter à moi. Je sors du Royal-Cambouis, et je conduirais une prolonge de Paris à Orléans sur un fil télégraphique.

? Entendu alors.

? Entendu.

Et le lendemain matin, le dernier des Puyrâleux se mettait en devoir d'arroser copieusement la place de la Concorde, qui lui avait été assignée.

C'était le printemps !

Les petites femmes enfin désemmitouflées ? oh ! qu'enfin !? (Voir plus haut.)

C'était si bien le printemps que Gaston perdit complètement la notion exacte des choses.

Les voitures affluaient au Bois.

Gaston, une fleur de marronnier à la boutonnière, crut qu'il en était encore à son époque de splendeur.

Il enveloppa d'un coup de fouet son robuste percheron et enfila l'avenue des Champs-Elysées. (Avez·vous remarqué que, dans les histoires, les percherons sont toujours de robustes percherons ?)

Maintenant, il allait au petit trot, sans souci des grandes eaux qu'il traînait derrière lui.

Tous ses vieux amis, toutes ses anciennes maîtresses le reconnaissaient, effarés. Lui les saluait gracieusement de la main : bonjour, bon ! Bonjour, chère ! Salut, vieux C? !

La vérité m'oblige à reconnaître que ses avances étaient accueillies plus froidement.

Le tonneau se vidait un peu sur tout le monde, sur les jambes des chevaux, sur les roues des voitures. Une famille qui se promenait dans une charrette fort basse fut totalement inondée.

C'est ainsi que Gaston arriva au Lac.

La présence d'un tonneau d'arrosage au trot parmi la carrosserie fine causa un scandale abominable...

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