Author: | Anatole France | ISBN: | 1230000256992 |
Publisher: | Largau | Publication: | August 2, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Anatole France |
ISBN: | 1230000256992 |
Publisher: | Largau |
Publication: | August 2, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait du livre
Ce vers, par lequel Dante commence la première cantate de La Divine Comédie, me vient à la pensée, ce soir, pour la centième fois peut-être. Mais c'est la première fois qu'il me touche.
Avec quel intérêt je le repasse en esprit, et comme je le trouve sérieux et plein ! C'est qu'à ce coup j'en puis faire l'application à moi-même. Je suis, à mon tour, au point où fut Dante quand le vieux soleil marqua la première année du XIVe siècle. Je suis au milieu du chemin de la vie, à supposer ce chemin égal pour tous et menant à la vieillesse.
Mon Dieu ! je savais, il y a vingt ans, qu'il faudrait en arriver là : je le savais, mais je ne le sentais pas. Je me souciais alors du milieu du chemin de la vie comme de la route de Chicago. Maintenant que j'ai gravi la côte, je retourne la tête pour embrasser d'un regard tout l'espace que j'ai traversé si vite, et le vers du poète florentin me remplit d'une telle rêverie, que je passerais volontiers la nuit devant mon feu à soulever des fantômes. Les morts sont si légers, hélas !
Il est doux de se souvenir. Le silence de la nuit y invite.
Son calme apprivoise les revenants, qui sont timides et fuyants par nature et veulent l'ombre avec la solitude pour venir parler à l'oreille de leurs amis vivants. Les rideaux des fenêtres sont tirés, les portières pendent à plis lourds sur le tapis.
Seule une porte est entrouverte, là, du côté où mes yeux se tournent par instinct. Il en sort une lueur d'opale ; il en vient des souffles égaux et doux, dans lesquels je ne saurais distinguer moi-même celui de la mère de ceux des enfants.
Dormez, chéris, dormez !
Extrait du livre
Ce vers, par lequel Dante commence la première cantate de La Divine Comédie, me vient à la pensée, ce soir, pour la centième fois peut-être. Mais c'est la première fois qu'il me touche.
Avec quel intérêt je le repasse en esprit, et comme je le trouve sérieux et plein ! C'est qu'à ce coup j'en puis faire l'application à moi-même. Je suis, à mon tour, au point où fut Dante quand le vieux soleil marqua la première année du XIVe siècle. Je suis au milieu du chemin de la vie, à supposer ce chemin égal pour tous et menant à la vieillesse.
Mon Dieu ! je savais, il y a vingt ans, qu'il faudrait en arriver là : je le savais, mais je ne le sentais pas. Je me souciais alors du milieu du chemin de la vie comme de la route de Chicago. Maintenant que j'ai gravi la côte, je retourne la tête pour embrasser d'un regard tout l'espace que j'ai traversé si vite, et le vers du poète florentin me remplit d'une telle rêverie, que je passerais volontiers la nuit devant mon feu à soulever des fantômes. Les morts sont si légers, hélas !
Il est doux de se souvenir. Le silence de la nuit y invite.
Son calme apprivoise les revenants, qui sont timides et fuyants par nature et veulent l'ombre avec la solitude pour venir parler à l'oreille de leurs amis vivants. Les rideaux des fenêtres sont tirés, les portières pendent à plis lourds sur le tapis.
Seule une porte est entrouverte, là, du côté où mes yeux se tournent par instinct. Il en sort une lueur d'opale ; il en vient des souffles égaux et doux, dans lesquels je ne saurais distinguer moi-même celui de la mère de ceux des enfants.
Dormez, chéris, dormez !