Author: | Maurice Barrès | ISBN: | 1230000253668 |
Publisher: | Largau | Publication: | July 20, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Maurice Barrès |
ISBN: | 1230000253668 |
Publisher: | Largau |
Publication: | July 20, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait du livre :
Oui, il m'a semblé, en lisant mes critiques les plus bienveillants, que ces trois volumes, publiés à de larges intervalles (de 1888 à 91) n'avaient pas su dire tout leur sens. On s'est attaché à louer ou à contester des détails ; c'est la suite, l'ensemble logique, le système qui seuls importent. Voici donc un examen de l'ouvrage en réponse aux critiques les plus fréquentes qu'on en fait. Toutefois, de crainte d'offenser aucun de ceux qui me font la gracieuseté de me suivre, je procéderai par exposition, non par discussion.
Que peut-on demander à ces trois livres ?
N'y cherchez pas de psychologie, du moins ce ne sera pas celle de MM. Taine ou Bourget. Ceux-ci procèdent selon la méthode des botanistes qui nous font voir comment la feuille est nourrie par la plante, par ses racines, par le sol où elle se développe, par l'air qui l'entoure. Ces véritables psychologues prétendent remonter la série des causes de tout frisson humain ; en outre, des cas particuliers et des anecdotes qu'ils nous narrent, ils tirent des lois générales. Tout à l'encontre, ces ouvrages-ci ont été écrits par quelqu'un qui trouve l'Imitation de Jésus-Christ ou la Vita nuova du Dante infiniment satisfaisantes, et dont la préoccupation d'analyse s'arrête à donner une description minutieuse, émouvante et contagieuse des états d'âme qu'il s'est proposés.
Le principal défaut de cette manière, c'est qu'elle laisse inintelligibles, pour qui ne les partage pas, les sentiments qu'elle décrit. Expliquer que tel caractère exceptionnel d'un personnage fut préparé par les habitudes de ses ancêtres et par les excitations du milieu où il réagit, c'est le pont aux ânes de la psychologie, et c'est par là que les lecteurs les moins préparés parviennent à pénétrer dans les domaines très particuliers où les invite leur auteur.
Si un bon psychologue en effet ne nous faisait le pont par quelque commentaire, que comprendrions-nous à tel livre, l'Imitation, par exemple, dont nous ne partageons ni les ardeurs ni les lassitudes ? Encore la cellule d'un pieux moine n'est-elle pas, pour les lecteurs nés catholiques, le lieu le plus secret du monde : le moins mystique de nous croit avoir des lueurs sur les sentiments qu'elle comporte ; mais la vie et les sentiments d'un pur lettré, orgueilleux, raffiné et désarmé, jeté à vingt ans dans la rude concurrence parisienne, comment un honnête homme en aurait-il quelque lueur ? Et comment, pour tout dire, un Anglais, un Norvégien, un Russe se pourront-ils reconnaître dans le livre que voici, où j'ai tenté la monographie des cinq ou six années d'apprentissage d'un jeune Français intellectuel ?
On le voit, je ne me dissimule pas les difficultés de la méthode que j'ai adoptée. Cette obscurité qu'on me reprocha durant quelques années n'est nullement embarras de style, insuffisance de l'idée, c'est manque d'explications psychologiques. Mais quand j'écrivais, tout mené par mon émotion, je ne savais que déterminer et décrire les conditions des phénomènes qui se passaient en moi. Comment les eussé-je expliqués ?
Et d'ailleurs, s'il y faut des commentaires, ne peuvent-ils être fournis par les articles de journaux, par la conversation ? Il m'est bien permis de noter qu'on n'est plus arrêté aujourd'hui par ce qu'on déclarait incompréhensible à l'apparition de ces volumes. Enfin ce livre,—et voici le fond de ma pensée,—je n'y mêlai aucune part didactique, parce que, dans mon esprit, je le recommande uniquement à ceux qui goûtent la sincérité sans plus et qui se passionnent pour les crises de l'âme, fussent-elles d'ailleurs singulières.
Extrait du livre :
Oui, il m'a semblé, en lisant mes critiques les plus bienveillants, que ces trois volumes, publiés à de larges intervalles (de 1888 à 91) n'avaient pas su dire tout leur sens. On s'est attaché à louer ou à contester des détails ; c'est la suite, l'ensemble logique, le système qui seuls importent. Voici donc un examen de l'ouvrage en réponse aux critiques les plus fréquentes qu'on en fait. Toutefois, de crainte d'offenser aucun de ceux qui me font la gracieuseté de me suivre, je procéderai par exposition, non par discussion.
Que peut-on demander à ces trois livres ?
N'y cherchez pas de psychologie, du moins ce ne sera pas celle de MM. Taine ou Bourget. Ceux-ci procèdent selon la méthode des botanistes qui nous font voir comment la feuille est nourrie par la plante, par ses racines, par le sol où elle se développe, par l'air qui l'entoure. Ces véritables psychologues prétendent remonter la série des causes de tout frisson humain ; en outre, des cas particuliers et des anecdotes qu'ils nous narrent, ils tirent des lois générales. Tout à l'encontre, ces ouvrages-ci ont été écrits par quelqu'un qui trouve l'Imitation de Jésus-Christ ou la Vita nuova du Dante infiniment satisfaisantes, et dont la préoccupation d'analyse s'arrête à donner une description minutieuse, émouvante et contagieuse des états d'âme qu'il s'est proposés.
Le principal défaut de cette manière, c'est qu'elle laisse inintelligibles, pour qui ne les partage pas, les sentiments qu'elle décrit. Expliquer que tel caractère exceptionnel d'un personnage fut préparé par les habitudes de ses ancêtres et par les excitations du milieu où il réagit, c'est le pont aux ânes de la psychologie, et c'est par là que les lecteurs les moins préparés parviennent à pénétrer dans les domaines très particuliers où les invite leur auteur.
Si un bon psychologue en effet ne nous faisait le pont par quelque commentaire, que comprendrions-nous à tel livre, l'Imitation, par exemple, dont nous ne partageons ni les ardeurs ni les lassitudes ? Encore la cellule d'un pieux moine n'est-elle pas, pour les lecteurs nés catholiques, le lieu le plus secret du monde : le moins mystique de nous croit avoir des lueurs sur les sentiments qu'elle comporte ; mais la vie et les sentiments d'un pur lettré, orgueilleux, raffiné et désarmé, jeté à vingt ans dans la rude concurrence parisienne, comment un honnête homme en aurait-il quelque lueur ? Et comment, pour tout dire, un Anglais, un Norvégien, un Russe se pourront-ils reconnaître dans le livre que voici, où j'ai tenté la monographie des cinq ou six années d'apprentissage d'un jeune Français intellectuel ?
On le voit, je ne me dissimule pas les difficultés de la méthode que j'ai adoptée. Cette obscurité qu'on me reprocha durant quelques années n'est nullement embarras de style, insuffisance de l'idée, c'est manque d'explications psychologiques. Mais quand j'écrivais, tout mené par mon émotion, je ne savais que déterminer et décrire les conditions des phénomènes qui se passaient en moi. Comment les eussé-je expliqués ?
Et d'ailleurs, s'il y faut des commentaires, ne peuvent-ils être fournis par les articles de journaux, par la conversation ? Il m'est bien permis de noter qu'on n'est plus arrêté aujourd'hui par ce qu'on déclarait incompréhensible à l'apparition de ces volumes. Enfin ce livre,—et voici le fond de ma pensée,—je n'y mêlai aucune part didactique, parce que, dans mon esprit, je le recommande uniquement à ceux qui goûtent la sincérité sans plus et qui se passionnent pour les crises de l'âme, fussent-elles d'ailleurs singulières.