Author: | ADOLPHE LANNE | ISBN: | 1230002689104 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 16, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ADOLPHE LANNE |
ISBN: | 1230002689104 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 16, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
PRÉFACE
À Quiberon, au bout de la presqu’île, deux monuments, statue et pyramide, ont été élevés pour commémorer l’événement sanglant du 21 juillet 1795 : déroute finale des émigrés, suivie de fusillades républicaines. Loin de renseigner, ces deux monuments, l’un par son emplacement, l’autre par son épigraphie, trompent le public et faussent manifestement l’histoire.
En effet, la statue de Hoche se dresse au bout d’un étang, moitié marais, moitié égout ; et, entre un hôtel et des villas, regarde une plage où le général ne passa jamais puisque, géographiquement, elle est située à l’opposite du Fort-Neuf, fort où Hoche arriva le dernier et d’où il partit le premier quand les émigrés, désespérément commandés par Sombreuil, renoncèrent à la résistance.
Sur une plage historiquement plus vraisemblable, entre Port-Haliguen et le Fort-Neuf, dans la partie est du territoire de la commune, à quelque distance d’une fontaine, une pyramide de laide architecture et de médiocre hauteur, porte deux inscriptions. « À Hoche » dit l’inscription tournée du côté de la baie. L’inscription tournée du côté de la campagne affirme que les émigrés et les Anglais furent défaits en cet endroit par les troupes de la Convention : erreur certaine, au moins en ce qui concerne les Anglais, lesquels, de l’aveu de tous les témoins, et d’après les récits de tous les écrivains, sans distinction de parti, assurèrent le débarquement, protégèrent le rembarquement, mais ne mirent jamais un seul homme à terre.
Cette menteuse pyramide, assurément mieux située que la statue, n’occupe cependant pas la place exacte des pourparlers de suspension d’armes, tenus entre Hoche et Sombreuil. S’il est plus poétique de concevoir que les deux chefs de corps se rencontrèrent auprès de la fontaine, sur le chemin menant au Fort-Neuf, pauvre fortification dont le plan annexé aux mémoires de Puisaye démontre la misère, il est plus raisonnable de croire que l’entrevue suprême se passa quelques cent mètres plus loin, dans un champ protégé par le massif rocheux portant la batterie. Là, les interlocuteurs se trouvaient à l’abri du feu de la corvette anglaise. D’où la facilité d’un entretien impossible ailleurs sur un terrain découvert et balayé par la mitraille.
C’est donc dans l’étude de la topographie et non dans la contemplation des monuments qu’il convient de chercher les raisons du désastre de cette entreprise héroïque, puérile en son action, démesurément cruelle en son dénouement qui s’appelle l’Affaire de Quiberon.
Où trouver l’explication de ces efforts sans résultat, de ces batailles qui semblent livrées pour être perdues, de ces mouvements subitement arrêtés, de ces retraites sans motifs, de ces incohérences militaires à la suite desquelles l’armée se décourage et du terrain resté irrémédiablement perdu ?
Le secret se découvre dans l’examen de cette campagne de Quiberon, désolée et si bien faite pour la mort qu’elle affecte l’aspect d’un cimetière. À droite et à gauche, battue par la mer qui, dans son calme même, garde de la menace, sur quatorze kilomètres de long, sur quatre de large, la grande lande de la pointe de Quiberon pousse dans les flots ses sables vert-de-grisés de plantes indigentes, ses villages maigres, et s’embaume au soleil, l’été, du parfum méprisé des œillets sauvages.
Au milieu des œillets, et comme les protégeant d’une ombre paternelle, les chardons fleurissent, hérissés et tout bleus. Les escargots s’y réfugient, envahissent les feuilles et leur donnent l’aspect d’une arborescence de pierre. Sur un monticule, taupinée qui, là-bas, prend des airs de montagne, des fruits rouges, espèces de groseilles inconnues, se traînent au travers de l’herbe métallique et dure à la dent des bestiaux. Il y a du sang sur cette terre, et l’on dirait que, par les beaux jours, le sang se montre en fleurs inquiétantes, au ras du sol.
Montons à la cote 30 sur la carte de l’État-Major, atteignons la suprême éminence de ce pays nu. Là, près du sémaphore, d’un seul regard, au milieu du vent qui siffle dans la plaine sans ombre, arrache aux cailloutis des murs une poussière agressive qui vole, pique les yeux et provoque les larmes ; là, par-dessus les murs de pierre séparant les champs, apparus au lointain ainsi que des cases de damier ; par-dessus les chardons, les escargots, les œillets, le sang revenu dans les fleurs, les monuments fallacieux, les menhirs qui, depuis des siècles, impassibles dans leur granit, connurent d’autres conflits et furent éternellement témoins des guerrières calamités du monde ; le panorama de l’aventure de Quiberon se développe et le malheur se fait comprendre.
Devant vous, vers le nord, voyez la plage de Carnac arrondie et dorée derrière le flot bleu de la baie. C’est la plage où débarquent les émigrés. Point de retard, et sitôt descendus de leurs navires, les voilà commandant les routes d’Auray et de Vannes. Hoche qui les a vus venir, loin de les attaquer, leur a laissé le champ libre. Reculant étrangement sur la gauche au-delà de Locoal-Mendon, il leur abandonne la droite et leur permet d’avancer tout à l’aise. Les contingents de la terre se joignent aux contingents de la mer et se disposent à marcher avec eux. La plus naturelle des ententes les rendrait immédiatement maîtres du pays d’où ils pourraient pousser jusqu’à Rennes et jusqu’au Mans.
Or il arrive que, précisément, l’entente ne se fait pas. Point d’accord, point de décision ; des conflits de préséance, des querelles de personnes, des incertitudes de commandement. Quand il conviendrait de brusquer les opérations, des lenteurs, des piétinements de corps d’armée s’épuisant à rester en place ; et une telle confusion dans l’esprit des chefs que, hésitant sur le plan arrêté dès l’abord, ne sachant à quoi se résoudre pour la conduite d’une expédition cependant concertée et préparée de longue date, dans une fainéante temporisation, ils attendent qu’un émissaire envoyé à Londres leur rapporte des conseils, des ordres, le parti nouveau qu’ils doivent prendre.
PRÉFACE
À Quiberon, au bout de la presqu’île, deux monuments, statue et pyramide, ont été élevés pour commémorer l’événement sanglant du 21 juillet 1795 : déroute finale des émigrés, suivie de fusillades républicaines. Loin de renseigner, ces deux monuments, l’un par son emplacement, l’autre par son épigraphie, trompent le public et faussent manifestement l’histoire.
En effet, la statue de Hoche se dresse au bout d’un étang, moitié marais, moitié égout ; et, entre un hôtel et des villas, regarde une plage où le général ne passa jamais puisque, géographiquement, elle est située à l’opposite du Fort-Neuf, fort où Hoche arriva le dernier et d’où il partit le premier quand les émigrés, désespérément commandés par Sombreuil, renoncèrent à la résistance.
Sur une plage historiquement plus vraisemblable, entre Port-Haliguen et le Fort-Neuf, dans la partie est du territoire de la commune, à quelque distance d’une fontaine, une pyramide de laide architecture et de médiocre hauteur, porte deux inscriptions. « À Hoche » dit l’inscription tournée du côté de la baie. L’inscription tournée du côté de la campagne affirme que les émigrés et les Anglais furent défaits en cet endroit par les troupes de la Convention : erreur certaine, au moins en ce qui concerne les Anglais, lesquels, de l’aveu de tous les témoins, et d’après les récits de tous les écrivains, sans distinction de parti, assurèrent le débarquement, protégèrent le rembarquement, mais ne mirent jamais un seul homme à terre.
Cette menteuse pyramide, assurément mieux située que la statue, n’occupe cependant pas la place exacte des pourparlers de suspension d’armes, tenus entre Hoche et Sombreuil. S’il est plus poétique de concevoir que les deux chefs de corps se rencontrèrent auprès de la fontaine, sur le chemin menant au Fort-Neuf, pauvre fortification dont le plan annexé aux mémoires de Puisaye démontre la misère, il est plus raisonnable de croire que l’entrevue suprême se passa quelques cent mètres plus loin, dans un champ protégé par le massif rocheux portant la batterie. Là, les interlocuteurs se trouvaient à l’abri du feu de la corvette anglaise. D’où la facilité d’un entretien impossible ailleurs sur un terrain découvert et balayé par la mitraille.
C’est donc dans l’étude de la topographie et non dans la contemplation des monuments qu’il convient de chercher les raisons du désastre de cette entreprise héroïque, puérile en son action, démesurément cruelle en son dénouement qui s’appelle l’Affaire de Quiberon.
Où trouver l’explication de ces efforts sans résultat, de ces batailles qui semblent livrées pour être perdues, de ces mouvements subitement arrêtés, de ces retraites sans motifs, de ces incohérences militaires à la suite desquelles l’armée se décourage et du terrain resté irrémédiablement perdu ?
Le secret se découvre dans l’examen de cette campagne de Quiberon, désolée et si bien faite pour la mort qu’elle affecte l’aspect d’un cimetière. À droite et à gauche, battue par la mer qui, dans son calme même, garde de la menace, sur quatorze kilomètres de long, sur quatre de large, la grande lande de la pointe de Quiberon pousse dans les flots ses sables vert-de-grisés de plantes indigentes, ses villages maigres, et s’embaume au soleil, l’été, du parfum méprisé des œillets sauvages.
Au milieu des œillets, et comme les protégeant d’une ombre paternelle, les chardons fleurissent, hérissés et tout bleus. Les escargots s’y réfugient, envahissent les feuilles et leur donnent l’aspect d’une arborescence de pierre. Sur un monticule, taupinée qui, là-bas, prend des airs de montagne, des fruits rouges, espèces de groseilles inconnues, se traînent au travers de l’herbe métallique et dure à la dent des bestiaux. Il y a du sang sur cette terre, et l’on dirait que, par les beaux jours, le sang se montre en fleurs inquiétantes, au ras du sol.
Montons à la cote 30 sur la carte de l’État-Major, atteignons la suprême éminence de ce pays nu. Là, près du sémaphore, d’un seul regard, au milieu du vent qui siffle dans la plaine sans ombre, arrache aux cailloutis des murs une poussière agressive qui vole, pique les yeux et provoque les larmes ; là, par-dessus les murs de pierre séparant les champs, apparus au lointain ainsi que des cases de damier ; par-dessus les chardons, les escargots, les œillets, le sang revenu dans les fleurs, les monuments fallacieux, les menhirs qui, depuis des siècles, impassibles dans leur granit, connurent d’autres conflits et furent éternellement témoins des guerrières calamités du monde ; le panorama de l’aventure de Quiberon se développe et le malheur se fait comprendre.
Devant vous, vers le nord, voyez la plage de Carnac arrondie et dorée derrière le flot bleu de la baie. C’est la plage où débarquent les émigrés. Point de retard, et sitôt descendus de leurs navires, les voilà commandant les routes d’Auray et de Vannes. Hoche qui les a vus venir, loin de les attaquer, leur a laissé le champ libre. Reculant étrangement sur la gauche au-delà de Locoal-Mendon, il leur abandonne la droite et leur permet d’avancer tout à l’aise. Les contingents de la terre se joignent aux contingents de la mer et se disposent à marcher avec eux. La plus naturelle des ententes les rendrait immédiatement maîtres du pays d’où ils pourraient pousser jusqu’à Rennes et jusqu’au Mans.
Or il arrive que, précisément, l’entente ne se fait pas. Point d’accord, point de décision ; des conflits de préséance, des querelles de personnes, des incertitudes de commandement. Quand il conviendrait de brusquer les opérations, des lenteurs, des piétinements de corps d’armée s’épuisant à rester en place ; et une telle confusion dans l’esprit des chefs que, hésitant sur le plan arrêté dès l’abord, ne sachant à quoi se résoudre pour la conduite d’une expédition cependant concertée et préparée de longue date, dans une fainéante temporisation, ils attendent qu’un émissaire envoyé à Londres leur rapporte des conseils, des ordres, le parti nouveau qu’ils doivent prendre.