Author: | GEORGES EEKHOUD | ISBN: | 1230002753508 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 28, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | GEORGES EEKHOUD |
ISBN: | 1230002753508 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 28, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ce premier juin, Henry de Kehlmark, le jeune « Dykgrave » ou comte de la Digue, châtelain de l’Escal-Vigor, traitait une nombreuse compagnie, en manière de Joyeuse Entrée, pour célébrer son retour au berceau de ses aïeux, à Smaragdis, l’île la plus riche et la plus vaste d’une de ces hallucinantes et héroïques mers du Nord, dont les golfes et les fiords fouillent et découpent capricieusement les rives en des archipels et des deltas multiformes.
Smaragdis ou l’île smaragdine dépend du royaume mi- germain et mi- celtique de Kerlingalande. À l’origine du commerce occidental, une colonie de marchands hanséates s’y fixa. Les Kehlmark prétendaient descendre des rois de mer ou vikings danois. Banquiers un peu mâtinés de pirates, hommes d’action et de savoir, ils suivirent Frédéric Barberousse dans ses expéditions en Italie, et se distinguèrent par un attachement inébranlable, la fidélité du thane pour son roi, à la maison de Hohenstaufen.
Un Kehlmark avait même été le favori de Frédéric II, le sultan de Lucera, cet empereur voluptueux, le plus artiste de cette romanesque maison de Souabe, qui vécut les rêves profonds et virils du Nord dans la radieuse patrie du soleil. Ce Kehlmark périt à Bénévent avec Manfred, le fils de son ami.
Aujourd’hui encore, un grand panneau de la salle de billard d’Escal-Vigor représentait Conradin, le dernier des Hohenstaufen, embrassant Frédéric de Bade avant de monter avec lui sur l’échafaud.
Au xve siècle, à Anvers, un Kehlmark florissait, créancier des rois, comme les Fugger et les Salviati, et il figurait parmi ces Hanséates fastueux qui se rendaient à la cathédrale ou à la Bourse, précédés de joueurs de fifres et de violes.
Demeure historique et même légendaire, tenant d’un burg teuton et d’un palazzo italien, le château d’Escal-Vigor se dresse à l’extrémité occidentale de l’île, à l’intersection de deux très hautes digues d’où il domine tout le pays.
De temps immémorial, les Kehlmark, avaient été considérés comme les maîtres et les protecteurs de Smaragdis. La garde et l’entretien des digues monumentales leur incombaient depuis des siècles. On attribuait même à un ancêtre d’Henry la construction de ces remparts énormes qui avaient à jamais préservé la contrée de ces inondations, voire de ces submersions totales dans lesquelles s’engloutirent plusieurs îles sœurs.
Une seule fois, vers l’an 1400, en une nuit de cataclysme, la mer était parvenue à rompre une partie de cette chaîne de collines artificielles et à rouler ses flots furieux jusqu’au cœur de l’île même ; et la tradition voulait que le bourg d’Escal-Vigor eût été assez vaste et assez approvisionné pour servir de refuge et d’entrepôt à toute la population.
Tant que les eaux couvrirent le pays, le Dykgrave hébergea son peuple, et lorsqu’elles se furent retirées, non seulement il répara la digue à ses frais, mais il rebâtit les chaumières de ses vassaux. Avec le temps, ces digues, près de cinq fois séculaires, avaient revêtu l’aspect de collines naturelles. Elles étaient plantées, à leur crête, d’épais rideaux d’arbres un peu penchés par le vent d’ouest. Le point culminant était celui où les deux rangées de collines se rejoignaient pour former une sorte de plateau ou de promontoire, avançant comme un éperon ou une proue dans la mer. C’était précisément à l’extrémité de ce cap que se dressait le château. Face à l’Océan, la digue taillée à pic présentait un mur de granit rappelant ces rocs majestueux du Rhin dans lesquels semble avoir été découpé le manoir qui les couronne.
Ce premier juin, Henry de Kehlmark, le jeune « Dykgrave » ou comte de la Digue, châtelain de l’Escal-Vigor, traitait une nombreuse compagnie, en manière de Joyeuse Entrée, pour célébrer son retour au berceau de ses aïeux, à Smaragdis, l’île la plus riche et la plus vaste d’une de ces hallucinantes et héroïques mers du Nord, dont les golfes et les fiords fouillent et découpent capricieusement les rives en des archipels et des deltas multiformes.
Smaragdis ou l’île smaragdine dépend du royaume mi- germain et mi- celtique de Kerlingalande. À l’origine du commerce occidental, une colonie de marchands hanséates s’y fixa. Les Kehlmark prétendaient descendre des rois de mer ou vikings danois. Banquiers un peu mâtinés de pirates, hommes d’action et de savoir, ils suivirent Frédéric Barberousse dans ses expéditions en Italie, et se distinguèrent par un attachement inébranlable, la fidélité du thane pour son roi, à la maison de Hohenstaufen.
Un Kehlmark avait même été le favori de Frédéric II, le sultan de Lucera, cet empereur voluptueux, le plus artiste de cette romanesque maison de Souabe, qui vécut les rêves profonds et virils du Nord dans la radieuse patrie du soleil. Ce Kehlmark périt à Bénévent avec Manfred, le fils de son ami.
Aujourd’hui encore, un grand panneau de la salle de billard d’Escal-Vigor représentait Conradin, le dernier des Hohenstaufen, embrassant Frédéric de Bade avant de monter avec lui sur l’échafaud.
Au xve siècle, à Anvers, un Kehlmark florissait, créancier des rois, comme les Fugger et les Salviati, et il figurait parmi ces Hanséates fastueux qui se rendaient à la cathédrale ou à la Bourse, précédés de joueurs de fifres et de violes.
Demeure historique et même légendaire, tenant d’un burg teuton et d’un palazzo italien, le château d’Escal-Vigor se dresse à l’extrémité occidentale de l’île, à l’intersection de deux très hautes digues d’où il domine tout le pays.
De temps immémorial, les Kehlmark, avaient été considérés comme les maîtres et les protecteurs de Smaragdis. La garde et l’entretien des digues monumentales leur incombaient depuis des siècles. On attribuait même à un ancêtre d’Henry la construction de ces remparts énormes qui avaient à jamais préservé la contrée de ces inondations, voire de ces submersions totales dans lesquelles s’engloutirent plusieurs îles sœurs.
Une seule fois, vers l’an 1400, en une nuit de cataclysme, la mer était parvenue à rompre une partie de cette chaîne de collines artificielles et à rouler ses flots furieux jusqu’au cœur de l’île même ; et la tradition voulait que le bourg d’Escal-Vigor eût été assez vaste et assez approvisionné pour servir de refuge et d’entrepôt à toute la population.
Tant que les eaux couvrirent le pays, le Dykgrave hébergea son peuple, et lorsqu’elles se furent retirées, non seulement il répara la digue à ses frais, mais il rebâtit les chaumières de ses vassaux. Avec le temps, ces digues, près de cinq fois séculaires, avaient revêtu l’aspect de collines naturelles. Elles étaient plantées, à leur crête, d’épais rideaux d’arbres un peu penchés par le vent d’ouest. Le point culminant était celui où les deux rangées de collines se rejoignaient pour former une sorte de plateau ou de promontoire, avançant comme un éperon ou une proue dans la mer. C’était précisément à l’extrémité de ce cap que se dressait le château. Face à l’Océan, la digue taillée à pic présentait un mur de granit rappelant ces rocs majestueux du Rhin dans lesquels semble avoir été découpé le manoir qui les couronne.