Author: | ALPHONSE ALLAIS | ISBN: | 1230000212525 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 24, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ALPHONSE ALLAIS |
ISBN: | 1230000212525 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 24, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
On se rappelle la fâcheuse aventure de ce collectionneur d’objets macabres, funèbres et criminalistes dont la plus belle pièce, — le faux-col d’une victime célèbre, — fut lavée, empesée, repassée par une chambrière zélée, mais peu documentaire.
Pareille aventure arriva, voilà tantôt quelques années et même un peu plus, à un vieux gentilhomme que je connaissais, et qui s’appelait le marquis de Bois-Lamothe.
Un rude homme dans son temps que le marquis !
Riche, solide, beau gars, inlassable trousseur de jupes, craignant pas Dieu et camarade du diable, Bois-Lamothe était la terreur de tous les maris des voisinages.
Je dis des voisinages, au pluriel, car le marquis, alors grand propriétaire foncier en même temps que nature frivole et baladeuse, changeait de voisinage comme de chemise.
Hélas ! on ne peut pas être et avoir été, comme l’a si bien observé Francisque Sarcey, notre oncle à tous.
Le marquis de Bois-Lamothe avait vieilli, ses anciennes bonnes amies aussi.
D’hypothèques en licitations (?), les biens domaniaux du marquis s’étaient envolés aux quatre vents des enchères publiques.
Ses écus avaient tellement sonné qu’une aphonie cruelle s’en était suivie, et tant trébuché que l’œil le plus exercé n’en trouvait plus trace, hormis pourtant dans la bourse des autres.
Seul, un vieux petit bien patrimonial s’était conservé intact, trop intact même, car depuis vingt ans, nul jardinier n’en avait foui le sol et nul bûcheron attenté à la hautaine poussée des châtaigniers héraldiques.
Revenu de tout, solitaire, le marquis s’était un beau jour découvert, en son vieux cœur parcheminé, une fibre fraîche, une fibre toute neuve qui vibrait maintenant comme toute une florissante manufacture de harpes.
Bois-Lamothe avait été pris de la manie, de la rage, du délire de la collection.
Et la drôle de collection !
Le marquis collectionnait les haricots écossés.
Ceux de mes lecteurs qui ont été à la campagne savent ce que c’est que des haricots (quant aux autres, je n’écris pas pour eux. Qu’ils se le tiennent pour dit, une fois pour toutes).
Imaginez-vous 4,500 haricots dont les plus semblables hurlaient encore — pour l’œil d’un amateur — de disparatisme.
Il y en avait des blancs, des noirs, des bleus, des rouges, des violets. Il y en avait des rayés, des chinés. Il y en avait des jaune et violet, des bleu et orange, des rouge et vert.
Ce n’étaient plus des haricots, c’était une polychromie à damner Antonin Proust.
Cette collection, que Bois-Lamothe savait par cœur, à un spécimen près, et qu’il aimait comme une seconde famille, était contenue tout entière dans un vaste saladier, tout prêt à déborder.
Et chaque matin, le marquis se disait, dans la langue du grand siècle : « Faudra pourtant que je la classe ! Faudra pourtant que je la classe ! »
Mais chaque soir tombait sur la plaine sans qu’elle fût classée, la précieuse collection.
On se rappelle la fâcheuse aventure de ce collectionneur d’objets macabres, funèbres et criminalistes dont la plus belle pièce, — le faux-col d’une victime célèbre, — fut lavée, empesée, repassée par une chambrière zélée, mais peu documentaire.
Pareille aventure arriva, voilà tantôt quelques années et même un peu plus, à un vieux gentilhomme que je connaissais, et qui s’appelait le marquis de Bois-Lamothe.
Un rude homme dans son temps que le marquis !
Riche, solide, beau gars, inlassable trousseur de jupes, craignant pas Dieu et camarade du diable, Bois-Lamothe était la terreur de tous les maris des voisinages.
Je dis des voisinages, au pluriel, car le marquis, alors grand propriétaire foncier en même temps que nature frivole et baladeuse, changeait de voisinage comme de chemise.
Hélas ! on ne peut pas être et avoir été, comme l’a si bien observé Francisque Sarcey, notre oncle à tous.
Le marquis de Bois-Lamothe avait vieilli, ses anciennes bonnes amies aussi.
D’hypothèques en licitations (?), les biens domaniaux du marquis s’étaient envolés aux quatre vents des enchères publiques.
Ses écus avaient tellement sonné qu’une aphonie cruelle s’en était suivie, et tant trébuché que l’œil le plus exercé n’en trouvait plus trace, hormis pourtant dans la bourse des autres.
Seul, un vieux petit bien patrimonial s’était conservé intact, trop intact même, car depuis vingt ans, nul jardinier n’en avait foui le sol et nul bûcheron attenté à la hautaine poussée des châtaigniers héraldiques.
Revenu de tout, solitaire, le marquis s’était un beau jour découvert, en son vieux cœur parcheminé, une fibre fraîche, une fibre toute neuve qui vibrait maintenant comme toute une florissante manufacture de harpes.
Bois-Lamothe avait été pris de la manie, de la rage, du délire de la collection.
Et la drôle de collection !
Le marquis collectionnait les haricots écossés.
Ceux de mes lecteurs qui ont été à la campagne savent ce que c’est que des haricots (quant aux autres, je n’écris pas pour eux. Qu’ils se le tiennent pour dit, une fois pour toutes).
Imaginez-vous 4,500 haricots dont les plus semblables hurlaient encore — pour l’œil d’un amateur — de disparatisme.
Il y en avait des blancs, des noirs, des bleus, des rouges, des violets. Il y en avait des rayés, des chinés. Il y en avait des jaune et violet, des bleu et orange, des rouge et vert.
Ce n’étaient plus des haricots, c’était une polychromie à damner Antonin Proust.
Cette collection, que Bois-Lamothe savait par cœur, à un spécimen près, et qu’il aimait comme une seconde famille, était contenue tout entière dans un vaste saladier, tout prêt à déborder.
Et chaque matin, le marquis se disait, dans la langue du grand siècle : « Faudra pourtant que je la classe ! Faudra pourtant que je la classe ! »
Mais chaque soir tombait sur la plaine sans qu’elle fût classée, la précieuse collection.