Les Mystères de Paris Tome IX et X

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les Mystères de Paris Tome IX et X by EUGÈNE SUE, GILBERT TEROL
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Author: EUGÈNE SUE ISBN: 1230000213310
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 27, 2014
Imprint: Language: French
Author: EUGÈNE SUE
ISBN: 1230000213310
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 27, 2014
Imprint:
Language: French

Nous conduirons le lecteur chez la comtesse Mac-Gregor, qu’une crise salutaire venait d’arracher au délire et aux souffrances qui pendant plusieurs jours avaient donné pour sa vie les craintes les plus sérieuses.

Le jour commençait à baisser… Sarah, assise dans un grand fauteuil et soutenue par son frère Thomas Seyton, se regardait avec une profonde attention dans un miroir que lui présentait une de ses femmes agenouillées devant elle.

Cette scène se passait dans le salon où la Chouette avait commis sa tentative d’assassinat.

La comtesse était d’une pâleur de marbre, que faisait ressortir encore le noir foncé de ses yeux, de ses sourcils et de ses cheveux ; un grand peignoir de mousseline blanche l’enveloppait entièrement.

– Donnez-moi le bandeau de corail — dit-elle à une de ses femmes, d’une voix faible mais impérieuse et brève.

– Betty vous l’attachera… — reprit Thomas Seyton — vous allez vous fatiguer… Il est déjà d’une si grande imprudence de…

– Le bandeau ! le bandeau ! — répéta impatiemment Sarah, qui prit ce bijou et le posa à son gré sur son front. — Maintenant, attachez-le… et laissez-moi… — dit-elle à ses femmes.

Au moment où celles-ci se retiraient, elle ajouta :

– On fera entrer M. Ferrand, le notaire, dans le petit salon bleu… puis — reprit-elle avec une expression d’orgueil mal dissimulé, dès que S. A. R. le grand-duc de Gerolstein arrivera, on l’introduira ici.

« Enfin ! — dit Sarah en se rejetant au fond de son fauteuil, dès qu’elle fut seule avec son frère, enfin je touche à cette couronne… le rêve de ma vie… la prédiction va donc s’accomplir !

– Sarah, calmez votre exaltation — lui dit sévèrement son frère. — Hier encore on désespérait de votre vie ; une dernière déception vous porterait un coup mortel.

– Vous avez raison, Tom… la chute serait affreuse… car mes espérances n’ont jamais été plus près de se réaliser. J’en suis certaine, ce qui m’a empêchée de succomber à mes souffrances a été ma pensée constante de profiter de la toute-puissante révélation que m’a faite cette femme au moment de m’assassiner.

– De même pendant votre délire… vous reveniez sans cesse à cette idée.

– Parce que cette idée seule soutenait ma vie chancelante. Quel espoir !… Princesse souveraine… presque reine !… Ajouta-t-elle avec enivrement.

– Encore une fois, Sarah, pas de rêves insensés ; le réveil serait terrible.

– Des rêves insensés ?… Comment ! lorsque Rodolphe saura que cette jeune fille aujourd’hui prisonnière à Saint-Lazare[1], et autrefois confiée au notaire qui l’a fait passer pour morte, est notre enfant, vous croyez que…

Seyton interrompit sa sœur :

– Je crois — reprit-il avec amertume — que les princes mettent les raisons d’État, les convenances politiques avant les devoirs naturels.

– Comptez-vous si peu sur mon adresse ?

– Le prince n’est plus l’adolescent candide et passionné que vous avez autrefois séduit ; ce temps est bien loin de lui… et de vous, ma sœur.

Sarah haussa légèrement les épaules et dit :

– Savez-vous pourquoi j’ai voulu orner mes cheveux de ce bandeau de corail, pourquoi j’ai mis cette robe blanche ? C’est que la première fois que Rodolphe m’a vue, à la cour de Gerolstein… j’étais vêtue de blanc… et je portais ce même bandeau de corail dans mes cheveux…

– Comment ! — dit Thomas Seyton en regardant sa sœur avec surprise — vous voulez évoquer ces souvenirs ? vous n’en redoutez pas au contraire l’influence ?

– Je connais Rodolphe mieux que vous… Sans doute mes traits, aujourd’hui changés par l’âge et par la souffrance, ne sont plus ceux de la jeune fille de seize ans qu’il a éperdument aimée, qu’il a seule aimée… car j’étais son premier amour… Et cet amour, unique dans la vie de l’homme, laisse toujours dans son cœur des traces ineffaçables… Aussi, croyez-moi, mon frère, la vue de cette parure réveillera chez Rodolphe non-seulement les souvenirs de son amour, nais encore ceux de sa jeunesse… Et pour les hommes ces derniers souvenirs sont toujours doux et précieux…

– Mais à ces doux souvenirs s’en joignent de terribles ; et le sinistre dénoûment de votre amour ? et l’odieuse conduite du père du prince envers vous ? et votre silence obstiné lorsque Rodolphe, après votre mariage avec le comte Mac-Gregor, vous redemandait votre fille alors tout enfant, votre fille dont une froide lettre de vous lui a appris la mort il y a dix ans… Oubliez-vous donc que depuis ce temps le prince n’a eu pour vous que mépris… et haine ?

– La pitié a remplacé la haine. Depuis qu’il m’a sue mourante… chaque jour il a envoyé le baron de Graün s’informer de mes nouvelles.

– Par humanité…

– Tout à l’heure… il m’a fait répondre… qu’il allait venir ici. Cette concession est immense, mon frère.

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Nous conduirons le lecteur chez la comtesse Mac-Gregor, qu’une crise salutaire venait d’arracher au délire et aux souffrances qui pendant plusieurs jours avaient donné pour sa vie les craintes les plus sérieuses.

Le jour commençait à baisser… Sarah, assise dans un grand fauteuil et soutenue par son frère Thomas Seyton, se regardait avec une profonde attention dans un miroir que lui présentait une de ses femmes agenouillées devant elle.

Cette scène se passait dans le salon où la Chouette avait commis sa tentative d’assassinat.

La comtesse était d’une pâleur de marbre, que faisait ressortir encore le noir foncé de ses yeux, de ses sourcils et de ses cheveux ; un grand peignoir de mousseline blanche l’enveloppait entièrement.

– Donnez-moi le bandeau de corail — dit-elle à une de ses femmes, d’une voix faible mais impérieuse et brève.

– Betty vous l’attachera… — reprit Thomas Seyton — vous allez vous fatiguer… Il est déjà d’une si grande imprudence de…

– Le bandeau ! le bandeau ! — répéta impatiemment Sarah, qui prit ce bijou et le posa à son gré sur son front. — Maintenant, attachez-le… et laissez-moi… — dit-elle à ses femmes.

Au moment où celles-ci se retiraient, elle ajouta :

– On fera entrer M. Ferrand, le notaire, dans le petit salon bleu… puis — reprit-elle avec une expression d’orgueil mal dissimulé, dès que S. A. R. le grand-duc de Gerolstein arrivera, on l’introduira ici.

« Enfin ! — dit Sarah en se rejetant au fond de son fauteuil, dès qu’elle fut seule avec son frère, enfin je touche à cette couronne… le rêve de ma vie… la prédiction va donc s’accomplir !

– Sarah, calmez votre exaltation — lui dit sévèrement son frère. — Hier encore on désespérait de votre vie ; une dernière déception vous porterait un coup mortel.

– Vous avez raison, Tom… la chute serait affreuse… car mes espérances n’ont jamais été plus près de se réaliser. J’en suis certaine, ce qui m’a empêchée de succomber à mes souffrances a été ma pensée constante de profiter de la toute-puissante révélation que m’a faite cette femme au moment de m’assassiner.

– De même pendant votre délire… vous reveniez sans cesse à cette idée.

– Parce que cette idée seule soutenait ma vie chancelante. Quel espoir !… Princesse souveraine… presque reine !… Ajouta-t-elle avec enivrement.

– Encore une fois, Sarah, pas de rêves insensés ; le réveil serait terrible.

– Des rêves insensés ?… Comment ! lorsque Rodolphe saura que cette jeune fille aujourd’hui prisonnière à Saint-Lazare[1], et autrefois confiée au notaire qui l’a fait passer pour morte, est notre enfant, vous croyez que…

Seyton interrompit sa sœur :

– Je crois — reprit-il avec amertume — que les princes mettent les raisons d’État, les convenances politiques avant les devoirs naturels.

– Comptez-vous si peu sur mon adresse ?

– Le prince n’est plus l’adolescent candide et passionné que vous avez autrefois séduit ; ce temps est bien loin de lui… et de vous, ma sœur.

Sarah haussa légèrement les épaules et dit :

– Savez-vous pourquoi j’ai voulu orner mes cheveux de ce bandeau de corail, pourquoi j’ai mis cette robe blanche ? C’est que la première fois que Rodolphe m’a vue, à la cour de Gerolstein… j’étais vêtue de blanc… et je portais ce même bandeau de corail dans mes cheveux…

– Comment ! — dit Thomas Seyton en regardant sa sœur avec surprise — vous voulez évoquer ces souvenirs ? vous n’en redoutez pas au contraire l’influence ?

– Je connais Rodolphe mieux que vous… Sans doute mes traits, aujourd’hui changés par l’âge et par la souffrance, ne sont plus ceux de la jeune fille de seize ans qu’il a éperdument aimée, qu’il a seule aimée… car j’étais son premier amour… Et cet amour, unique dans la vie de l’homme, laisse toujours dans son cœur des traces ineffaçables… Aussi, croyez-moi, mon frère, la vue de cette parure réveillera chez Rodolphe non-seulement les souvenirs de son amour, nais encore ceux de sa jeunesse… Et pour les hommes ces derniers souvenirs sont toujours doux et précieux…

– Mais à ces doux souvenirs s’en joignent de terribles ; et le sinistre dénoûment de votre amour ? et l’odieuse conduite du père du prince envers vous ? et votre silence obstiné lorsque Rodolphe, après votre mariage avec le comte Mac-Gregor, vous redemandait votre fille alors tout enfant, votre fille dont une froide lettre de vous lui a appris la mort il y a dix ans… Oubliez-vous donc que depuis ce temps le prince n’a eu pour vous que mépris… et haine ?

– La pitié a remplacé la haine. Depuis qu’il m’a sue mourante… chaque jour il a envoyé le baron de Graün s’informer de mes nouvelles.

– Par humanité…

– Tout à l’heure… il m’a fait répondre… qu’il allait venir ici. Cette concession est immense, mon frère.

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