On peut dire que ce livre ne fait rien d’autre que laisser parler Leopardi. C’est une nécessité. Nous ne l’avons jamais vraiment écouté. Schopenhauer, Wagner, Nietzsche surent qu’ils se trouvaient en face d’un génie. Mais quand Nietzsche, dont l’influence sur la culture contemporaine est décisive, écrit que Leopardi est « le plus grand prosateur » de son siècle, ou « le philologue idéal », il contribue de façon déterminante à en dissimuler la grandeur philosophique – dont il est profondément débiteur. De façon analogue, quand De Sanctis soutient que la pensée de Leopardi est substantiellement identique à celle de Schopenhauer, et en exprime même de façon encore plus prégnante la substance, il ne fait rien d’autre qu’effacer, faire disparaître la philosophie de Leopardi. Pour la culture marxiste, il s’agit d’une philosophie authentiquement révolutionnaire, et pourtant, cette réévaluation de la pensée léopardienne a contribué à en réduire le poids et la signification, dans la mesure où elle demeure considérée dans le contexte de la philosophie contemporaine, dominée par la pensée de Marx. Ou bien encore, la pensée de Leopardi est reconduite à la philosophie et à la culture des Lumières : on ne s’aperçoit pas, dès lors, que c’est cette pensée qui a constitué, de façon souterraine mais décisive, ce contexte et qui a tourné le dos à la tradition de l’Occident et à ce qui reste d’elle dans la philosophie moderne. On n’a pas écouté le dialogue de Leopardi avec la culture et la civilisation entière de l’Occident et le futur de celle-ci. Pascal, Rousseau, Schiller et Schopenhauer eux-mêmes sont encore tournés vers le passé. Leopardi ouvre au contraire la voie parcourue par la culture contemporaine. Il indique la direction essentielle qu’emprunte cette voie.
Traduit par David JEROME
A PROPOS DE L'AUTEUR
Emanuele Severino (Brescia, 1929) développe depuis 1957 (La Struttura originaria) une méditation questionnant les problématiques essentielles de la métaphysique, de Parménide à Heidegger, ainsi que les « tendances fondamentales de notre temps » à travers des ouvrages comme Essenza del nichilismo (1972), Destino della necessità (1980), Oltre il linguaggio (1992), Discussioni intorno al senso della verità (2009). Paru en 1990, Il Nulla e la poesia constitue, avec Cosa arcana e stupenda (1998), le premier volume d’un diptyque consacré à l’exposition de la « configuration de fonds » de la pensée du philologue, poète et philosophe Giacomo Leopardi.
On peut dire que ce livre ne fait rien d’autre que laisser parler Leopardi. C’est une nécessité. Nous ne l’avons jamais vraiment écouté. Schopenhauer, Wagner, Nietzsche surent qu’ils se trouvaient en face d’un génie. Mais quand Nietzsche, dont l’influence sur la culture contemporaine est décisive, écrit que Leopardi est « le plus grand prosateur » de son siècle, ou « le philologue idéal », il contribue de façon déterminante à en dissimuler la grandeur philosophique – dont il est profondément débiteur. De façon analogue, quand De Sanctis soutient que la pensée de Leopardi est substantiellement identique à celle de Schopenhauer, et en exprime même de façon encore plus prégnante la substance, il ne fait rien d’autre qu’effacer, faire disparaître la philosophie de Leopardi. Pour la culture marxiste, il s’agit d’une philosophie authentiquement révolutionnaire, et pourtant, cette réévaluation de la pensée léopardienne a contribué à en réduire le poids et la signification, dans la mesure où elle demeure considérée dans le contexte de la philosophie contemporaine, dominée par la pensée de Marx. Ou bien encore, la pensée de Leopardi est reconduite à la philosophie et à la culture des Lumières : on ne s’aperçoit pas, dès lors, que c’est cette pensée qui a constitué, de façon souterraine mais décisive, ce contexte et qui a tourné le dos à la tradition de l’Occident et à ce qui reste d’elle dans la philosophie moderne. On n’a pas écouté le dialogue de Leopardi avec la culture et la civilisation entière de l’Occident et le futur de celle-ci. Pascal, Rousseau, Schiller et Schopenhauer eux-mêmes sont encore tournés vers le passé. Leopardi ouvre au contraire la voie parcourue par la culture contemporaine. Il indique la direction essentielle qu’emprunte cette voie.
Traduit par David JEROME
A PROPOS DE L'AUTEUR
Emanuele Severino (Brescia, 1929) développe depuis 1957 (La Struttura originaria) une méditation questionnant les problématiques essentielles de la métaphysique, de Parménide à Heidegger, ainsi que les « tendances fondamentales de notre temps » à travers des ouvrages comme Essenza del nichilismo (1972), Destino della necessità (1980), Oltre il linguaggio (1992), Discussioni intorno al senso della verità (2009). Paru en 1990, Il Nulla e la poesia constitue, avec Cosa arcana e stupenda (1998), le premier volume d’un diptyque consacré à l’exposition de la « configuration de fonds » de la pensée du philologue, poète et philosophe Giacomo Leopardi.