Author: | JUDITH GAUTIER | ISBN: | 1230000211852 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 22, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JUDITH GAUTIER |
ISBN: | 1230000211852 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 22, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
On faisait silence autour du roi, qui s’était assoupi. Mais un brouhaha de rires et de cris, de chocs singuliers montait, par intermittences, jusqu’à la terrasse, qu’abritait un velum de soie.
Les dames, appuyées au rebord de pierre, se penchaient pour mieux voir, et, auprès d’elles, avec un sourire un peu dédaigneux, les chevaliers regardaient aussi.
Par-dessus le rempart de Jérusalem, dans un méplat du terrain qui dégringole presque à pic jusqu’à la vallée de Josaphat, on pouvait suivre des yeux les évolutions d’un groupe d’écuyers et de damoiseaux jouant à la quintaine.
À cet endroit, la muraille, dominée par le palais royal et le massif du Temple, formait un angle rentrant et projetait une ombre très allongée, dans laquelle, à l’abri du soleil, on avait établi le jeu. Le mannequin, couvert d’armes sarrasines, était solidement attaché à des pieux et faisait face au jouteur, qui, la lance en arrêt, piquait son cheval et tâchait de pourfendre l’adversaire inanimé. Les rudes chocs bosselaient la cuirasse immobile, ou bien l’arme se brisait, ne laissant qu’un tronçon dans les mains de l’assaillant. Quelquefois un élan maladroit désarçonnait le cavalier, qui s’abattait sur le sol avec un grand bruit de métal froissé. Alors, sur la terrasse royale, les belles curieuses se rejetaient en arrière, étouffaient un rire et disaient à demi-voix :
— En voici un qui, de longtemps, ne sera pas digne de chausser les éperons !
Il y avait là trois très nobles dames : la princesse Sybille, fille du roi, blonde et fière ; Estiennette de Naplouse, veuve d’Homphroy du Toron et remariée à Milon de Plancy, cousin du souverain ; rieuse, très jeune encore : trente-deux ans à peine, elle a, de son premier mariage cependant, un fils déjà chevalier ; Eschive de Galilée, orgueilleusement belle, riche et fastueuse, mère honorée d’une lignée nombreuse. Auprès d’elle, son nouveau mari, le comte Raymond de Tripoli, lui chuchote à l’oreille des aveux d’une tendresse un peu brutale, dont elle se défend par de brusques mouvements d’épaules, tout en riant en dessous.
Raymond III, comte de Tripoli, est d’assez petite taille, maigre, avec des épaules carrées ; il a la face basanée, le regard aigu, la lippe pendante, les cheveux plats et châtains. C’est un homme terrible au combat, tellement que les infidèles l’ont surnommé le « Satan des Francs » ; mais il ne sait pas grand’chose, hors du métier des armes, malgré les efforts qu’il a faits pour s’instruire, pendant une captivité de huit années chez les Sarrasins.
C’est en apparence seulement que la princesse Sybille s’intéresse au tournoi des écuyers. Ses regards glissent de côté et s’arrêtent avec insistance sur un chevalier qui se tient à l’écart, absorbé dans une rêverie, l’air grave et le front baissé. Il est très jeune, mais d’aspect austère, large d’épaules, mince de taille, de haute stature, avec des yeux clairs et des cheveux blonds ; le type parfait de la mâle beauté, à ce que proclament toutes les femmes de la cour. Mais pourquoi est-il si froid et si réservé, si peu semblable aux autres chevaliers, dont les folies et les désordres vont souvent jusqu’au scandale ?
Sybille a, tout à coup, l’idée, qu’il nourrit peut-être le projet de prononcer des vœux, et cette supposition l’encolère à tel point qu’un flot de sang empourpre ses joues et que, résolument, elle marche vers le jeune homme pour le questionner. Arrivée près de lui, cependant, elle se calme, et ne dit pas ce qu’elle voulait dire.
— Que regardez-vous donc avec tant d’intérêt, messire Hugues de Césarée ? Ce n’est certes pas la quintaine que l’on joue au pied des murs.
Dans un sursaut, il se retourne, puis sourit à la princesse et lui répond respectueusement. Ce qu’il regarde, c’est un convoi de pèlerins, qui arrivent d’Europe, et entrent à Jérusalem par la porte de Josaphat. Ils vont en procession, avec croix et bannières, les uns nu-pieds, les cheveux couverts de cendres, d’autres se traînant sur les genoux, quelques-uns enveloppés d’un linceul qui, après avoir touché le Saint-Tombeau, sera conservé comme une relique et, lors de leur mort, les ensevelira. On voit la longue file s’engager, une fois la porte franchie, dans une petite rue montueuse, puis disparaître sous des voûtes, dans la direction du Saint-Sépulcre.
— Des pèlerins !
Sybille fronce le sourcil. L’appréhension du monastère lui revient, et elle demande d’une voix altérée :
On faisait silence autour du roi, qui s’était assoupi. Mais un brouhaha de rires et de cris, de chocs singuliers montait, par intermittences, jusqu’à la terrasse, qu’abritait un velum de soie.
Les dames, appuyées au rebord de pierre, se penchaient pour mieux voir, et, auprès d’elles, avec un sourire un peu dédaigneux, les chevaliers regardaient aussi.
Par-dessus le rempart de Jérusalem, dans un méplat du terrain qui dégringole presque à pic jusqu’à la vallée de Josaphat, on pouvait suivre des yeux les évolutions d’un groupe d’écuyers et de damoiseaux jouant à la quintaine.
À cet endroit, la muraille, dominée par le palais royal et le massif du Temple, formait un angle rentrant et projetait une ombre très allongée, dans laquelle, à l’abri du soleil, on avait établi le jeu. Le mannequin, couvert d’armes sarrasines, était solidement attaché à des pieux et faisait face au jouteur, qui, la lance en arrêt, piquait son cheval et tâchait de pourfendre l’adversaire inanimé. Les rudes chocs bosselaient la cuirasse immobile, ou bien l’arme se brisait, ne laissant qu’un tronçon dans les mains de l’assaillant. Quelquefois un élan maladroit désarçonnait le cavalier, qui s’abattait sur le sol avec un grand bruit de métal froissé. Alors, sur la terrasse royale, les belles curieuses se rejetaient en arrière, étouffaient un rire et disaient à demi-voix :
— En voici un qui, de longtemps, ne sera pas digne de chausser les éperons !
Il y avait là trois très nobles dames : la princesse Sybille, fille du roi, blonde et fière ; Estiennette de Naplouse, veuve d’Homphroy du Toron et remariée à Milon de Plancy, cousin du souverain ; rieuse, très jeune encore : trente-deux ans à peine, elle a, de son premier mariage cependant, un fils déjà chevalier ; Eschive de Galilée, orgueilleusement belle, riche et fastueuse, mère honorée d’une lignée nombreuse. Auprès d’elle, son nouveau mari, le comte Raymond de Tripoli, lui chuchote à l’oreille des aveux d’une tendresse un peu brutale, dont elle se défend par de brusques mouvements d’épaules, tout en riant en dessous.
Raymond III, comte de Tripoli, est d’assez petite taille, maigre, avec des épaules carrées ; il a la face basanée, le regard aigu, la lippe pendante, les cheveux plats et châtains. C’est un homme terrible au combat, tellement que les infidèles l’ont surnommé le « Satan des Francs » ; mais il ne sait pas grand’chose, hors du métier des armes, malgré les efforts qu’il a faits pour s’instruire, pendant une captivité de huit années chez les Sarrasins.
C’est en apparence seulement que la princesse Sybille s’intéresse au tournoi des écuyers. Ses regards glissent de côté et s’arrêtent avec insistance sur un chevalier qui se tient à l’écart, absorbé dans une rêverie, l’air grave et le front baissé. Il est très jeune, mais d’aspect austère, large d’épaules, mince de taille, de haute stature, avec des yeux clairs et des cheveux blonds ; le type parfait de la mâle beauté, à ce que proclament toutes les femmes de la cour. Mais pourquoi est-il si froid et si réservé, si peu semblable aux autres chevaliers, dont les folies et les désordres vont souvent jusqu’au scandale ?
Sybille a, tout à coup, l’idée, qu’il nourrit peut-être le projet de prononcer des vœux, et cette supposition l’encolère à tel point qu’un flot de sang empourpre ses joues et que, résolument, elle marche vers le jeune homme pour le questionner. Arrivée près de lui, cependant, elle se calme, et ne dit pas ce qu’elle voulait dire.
— Que regardez-vous donc avec tant d’intérêt, messire Hugues de Césarée ? Ce n’est certes pas la quintaine que l’on joue au pied des murs.
Dans un sursaut, il se retourne, puis sourit à la princesse et lui répond respectueusement. Ce qu’il regarde, c’est un convoi de pèlerins, qui arrivent d’Europe, et entrent à Jérusalem par la porte de Josaphat. Ils vont en procession, avec croix et bannières, les uns nu-pieds, les cheveux couverts de cendres, d’autres se traînant sur les genoux, quelques-uns enveloppés d’un linceul qui, après avoir touché le Saint-Tombeau, sera conservé comme une relique et, lors de leur mort, les ensevelira. On voit la longue file s’engager, une fois la porte franchie, dans une petite rue montueuse, puis disparaître sous des voûtes, dans la direction du Saint-Sépulcre.
— Des pèlerins !
Sybille fronce le sourcil. L’appréhension du monastère lui revient, et elle demande d’une voix altérée :