Author: | Chateaubriand | ISBN: | 1230000222834 |
Publisher: | Chateaubriand | Publication: | March 3, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Chateaubriand |
ISBN: | 1230000222834 |
Publisher: | Chateaubriand |
Publication: | March 3, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
PRÉFACE
Dans un château des environs de Viviers, propriété séculaire de sa famille,
demeurait, en l'année 1827, une femme d'une sensibilité délicate et de
l'esprit le plus distingué, la marquise de V... Née en 1779, elle avait
épousé à quinze ans un gentilhomme du Languedoc, d'excellente maison, lui
aussi; et elle avait eu de lui un fils, son unique enfant. Mais, en 1827,
elle demeurait seule dans son château du Vivarais. Son mari, entré dans
l'administration sous l'Empire, habitait Toulouse, où il remplissait les
fonctions d'inspecteur des douanes. Son fils, officier de chasseurs,
avait sa garnison à l'autre bout du royaume. De telle sorte que, dans sa
solitude, Mme de V... pouvait entretenir à loisir le culte qu'elle avait
voué depuis sa jeunesse à l'auteur du Génie du Christianisme. Elle avait
été de celles que l'apparition de ce livre, jadis, avait affolées
d'enthousiasme[1]: toujours, depuis lors, elle continuait à être partagée
entre son désir de connaître Chateaubriand et la crainte d'importuner
celui-ci ou de lui déplaire. Déjà en 1816, profitant d'un séjour à Paris,
elle avait écrit à son grand homme; puis, au dernier moment, elle avait
imaginé un prétexte pour se dispenser de le rencontrer. Onze ans plus
tard, à propos de quelques mots lus dans le Journal des Débats sur une
indisposition de Chateaubriand, elle s'enhardit à lui écrire de nouveau;
et, cette fois, sa lettre fut le point de départ d'une correspondance qui
devait durer sans interruption près de deux ans, jusqu'au mois de juin
[Note 1: «Je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenable
comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une
enveloppe écrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en
baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure.»
(Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.)]
Au moment où s'ouvrit cette correspondance, Chateaubriand traversait une
des périodes les plus tristes et les plus inquiètes de sa vie. Il avait
perdu, peu de mois auparavant, sa vieille amie Mme de Custine. Mme de
Chateaubriand, très souffrante elle-même, lui faisait sentir plus vivement
que jamais l'incompatibilité naturelle de leurs caractères. Ruiné,
dépossédé de toute influence politique, réduit à une opposition hargneuse
et rebutante, toujours plus ennuyé des autres et de lui-même à mesure
qu'il découvrait davantage son inutilité, René se trouvait dans une
disposition morale qui, sans doute, lui rendit plus sensible l'hommage
imprévu de la marquise de V... Le fait est qu'il y répondit aussitôt avec
une passion extraordinaire, se livrant comme il se livrait à peine à ses
plus intimes confidents. C'est ainsi que s'engagea, entre lui et son
«inconnue», un véritable petit roman, dont aucun de ses biographes ne
paraît avoir soupçonné l'existence, et que, grâce à une pieuse précaution
de Mme de V...[2], nous pouvons aujourd'hui mettre tout entier sous les
yeux du public.
EXTRAIT:
PRÉFACE
Dans un château des environs de Viviers, propriété séculaire de sa famille,
demeurait, en l'année 1827, une femme d'une sensibilité délicate et de
l'esprit le plus distingué, la marquise de V... Née en 1779, elle avait
épousé à quinze ans un gentilhomme du Languedoc, d'excellente maison, lui
aussi; et elle avait eu de lui un fils, son unique enfant. Mais, en 1827,
elle demeurait seule dans son château du Vivarais. Son mari, entré dans
l'administration sous l'Empire, habitait Toulouse, où il remplissait les
fonctions d'inspecteur des douanes. Son fils, officier de chasseurs,
avait sa garnison à l'autre bout du royaume. De telle sorte que, dans sa
solitude, Mme de V... pouvait entretenir à loisir le culte qu'elle avait
voué depuis sa jeunesse à l'auteur du Génie du Christianisme. Elle avait
été de celles que l'apparition de ce livre, jadis, avait affolées
d'enthousiasme[1]: toujours, depuis lors, elle continuait à être partagée
entre son désir de connaître Chateaubriand et la crainte d'importuner
celui-ci ou de lui déplaire. Déjà en 1816, profitant d'un séjour à Paris,
elle avait écrit à son grand homme; puis, au dernier moment, elle avait
imaginé un prétexte pour se dispenser de le rencontrer. Onze ans plus
tard, à propos de quelques mots lus dans le Journal des Débats sur une
indisposition de Chateaubriand, elle s'enhardit à lui écrire de nouveau;
et, cette fois, sa lettre fut le point de départ d'une correspondance qui
devait durer sans interruption près de deux ans, jusqu'au mois de juin
[Note 1: «Je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenable
comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une
enveloppe écrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en
baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure.»
(Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.)]
Au moment où s'ouvrit cette correspondance, Chateaubriand traversait une
des périodes les plus tristes et les plus inquiètes de sa vie. Il avait
perdu, peu de mois auparavant, sa vieille amie Mme de Custine. Mme de
Chateaubriand, très souffrante elle-même, lui faisait sentir plus vivement
que jamais l'incompatibilité naturelle de leurs caractères. Ruiné,
dépossédé de toute influence politique, réduit à une opposition hargneuse
et rebutante, toujours plus ennuyé des autres et de lui-même à mesure
qu'il découvrait davantage son inutilité, René se trouvait dans une
disposition morale qui, sans doute, lui rendit plus sensible l'hommage
imprévu de la marquise de V... Le fait est qu'il y répondit aussitôt avec
une passion extraordinaire, se livrant comme il se livrait à peine à ses
plus intimes confidents. C'est ainsi que s'engagea, entre lui et son
«inconnue», un véritable petit roman, dont aucun de ses biographes ne
paraît avoir soupçonné l'existence, et que, grâce à une pieuse précaution
de Mme de V...[2], nous pouvons aujourd'hui mettre tout entier sous les
yeux du public.