Jean et Jeannette

Romance, Contemporary
Cover of the book Jean et Jeannette by THÉOPHILE GAUTIER, GILBERT TEROL
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Author: THÉOPHILE GAUTIER ISBN: 1230000212550
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 24, 2014
Imprint: Language: French
Author: THÉOPHILE GAUTIER
ISBN: 1230000212550
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 24, 2014
Imprint:
Language: French

Trouver un fiacre, ce ne fut pas long ; il en flânait un par là, la caisse peinte en bleu perruquier et doublée en vieux velours d’Utrecht jaune. En amour, souvent un fiacre vaut un bosquet de Cythère.

Nos deux amants y montèrent, et dans le trajet qui malheureusement n’était pas long, Jean, avec une hardiesse respectueuse, s’était emparé de la main de Mlle Jeannette, qui ne l’avait pas trop disputée, et en couvrait les ongles roses de baisers.

La voiture s’arrêta, et un : déjà ! naïf s’échappa des lèvres de Mme de Champrosé. Exclamation qui dut charmer beaucoup M. Jean, car elle pouvait passer pour un aveu, ou tout au moins pour la préface d’un aveu.

M. Jean, qui avait donné la main à Mlle Jeannette pour descendre du fiacre, n’avait pas lâché les jolis petits doigts qu’il tenait pressés délicatement entre les siens.

La stricte bienséance eût peut-être voulu qu’il saluât et se retirât ; mais M. Jean, quoique de province et le plus respectueux du monde dans ses façons, n’était pas homme à lâcher le toupet de l’occasion lorsqu’il le tenait.

Il suivit Jeannette pour l’aider à monter l’escalier, bien qu’elle prétendît le pouvoir faire aisément toute seule, les grisettes n’ayant point d’écuyer pour leur tendre le poing.

Avec une insistance douce quoique opiniâtre, M. Jean, en dépit de la révérence que lui fit Jeannette, arrivée à sa porte, pénétra dans la chambre d’un air si candide, si décent, si réservé, que Mme de Champrosé ne le put trouver mauvais.

« Ah ! que dira Justine, pensa la marquise ; dès la seconde entrevue, l’ennemi est déjà dans la place et mon cœur bat la chamade. »

Un peu fatiguée de sa course et plus émue qu’elle n’osait se l’avouer, Mmede Champrosé se laissa tomber dans l’antique bergère, s’éventant de son mouchoir, quoi qu’il ne fît pas très chaud.

Prenant un petit tabouret, M. Jean vint s’établir aux pieds de Jeannette, ce qui n’était pas si gauche, se dit la marquise, pour quelqu’un d’Auxerre ; car cette position si respectueuse en apparence, et qui se peut prendre vis-à-vis des reines, a cet avantage de ne se prêter pas moins aux audaces qu’aux adorations.

C’est d’un grand stratégiste dans la guerre de l’amour que de s’y mettre tout d’abord, et les Polybes de la chose l’ont toujours conseillé. C’est donc un coup de maître que de débuter ainsi.

« Vous êtes bien logée, mademoiselle Jeannette, dit M. Jean, en promenant son regard autour de lui.

— Oui, fit négligemment Jeannette, il y a assez de place pour travailler et pour chanter.

— Et pour aimer !

— Oh ! pour cela, je n’en sais rien ; ma tante Ursule avait des principes. Avec sa mine rébarbative, elle recevait les galants de Turc à Maure. »

« Malheureusement, elle est morte l’année passée ! Pauvre tante ! » Et ici Jeannette éleva vers le plafond, qui représente le ciel dans les scènes d’intérieur, un œil aussi sec que possible.

« Que Dieu veuille avoir son âme, s’exclama d’un air de componction suffisante Jean, qui n’était nullement fâché du trépas de cette tante revêche, dragon qui gardait les pommes d’Hespérides, — et vous vivez seule, ici ?

— Je ne vois que ma cousine Justine ; vous savez, celle qui m’a conduite au bal ; une bien bonne fille. Je ne sors dans la semaine que pour reporter mon ouvrage, et le dimanche pour aller à la messe et à vêpres,

— Où diable la vertu va-t-elle se nicher ? pensa M. Jean, appliquant à la grisette le mot de Molière au mendiant.

— Ma mère et mon père sont morts lorsque j’étais toute jeune ; c’est ma tante qui m’a élevée, et maintenant que je n’ai plus que Justine, vous êtes la première personne étrangère qui ait mis le pied dans ce réduit. Ma cousine me grondera bien de vous avoir laissé entrer.

— Et, moi, je vous en remercie comme d’une précieuse faveur. On ne peut voir voler la fauvette sans désirer connaître son nid. Ce me sera une satisfaction bien douce, en pensant à vous, de pouvoir mettre derrière votre image le fond sur lequel elle se détache habituellement.

« Le jour, je vous verrai assise dans ce grand fauteuil, près de cette fenêtre, où un rayon de soleil viendra se dorer à vos cheveux, occupant au travail des doigts faits pour le sceptre ; la nuit, je me représenterai votre tête virginale faisant des songes enfantins sur le chaste oreiller de ce petit lit bleu et blanc, et je saurai le matin quelles sont les fleurs que vous respirez lorsque, pour faire honte à l’aurore, vous allez en vous levant ouvrir votre croisée.

— Oh ! monsieur Jean, vous parlez comme écrivent ceux qui font des chansons. Seriez-vous un auteur et méditeriez-vous une pièce pour la comédie ? dit Jeannette d’un air un peu alarmé.

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Trouver un fiacre, ce ne fut pas long ; il en flânait un par là, la caisse peinte en bleu perruquier et doublée en vieux velours d’Utrecht jaune. En amour, souvent un fiacre vaut un bosquet de Cythère.

Nos deux amants y montèrent, et dans le trajet qui malheureusement n’était pas long, Jean, avec une hardiesse respectueuse, s’était emparé de la main de Mlle Jeannette, qui ne l’avait pas trop disputée, et en couvrait les ongles roses de baisers.

La voiture s’arrêta, et un : déjà ! naïf s’échappa des lèvres de Mme de Champrosé. Exclamation qui dut charmer beaucoup M. Jean, car elle pouvait passer pour un aveu, ou tout au moins pour la préface d’un aveu.

M. Jean, qui avait donné la main à Mlle Jeannette pour descendre du fiacre, n’avait pas lâché les jolis petits doigts qu’il tenait pressés délicatement entre les siens.

La stricte bienséance eût peut-être voulu qu’il saluât et se retirât ; mais M. Jean, quoique de province et le plus respectueux du monde dans ses façons, n’était pas homme à lâcher le toupet de l’occasion lorsqu’il le tenait.

Il suivit Jeannette pour l’aider à monter l’escalier, bien qu’elle prétendît le pouvoir faire aisément toute seule, les grisettes n’ayant point d’écuyer pour leur tendre le poing.

Avec une insistance douce quoique opiniâtre, M. Jean, en dépit de la révérence que lui fit Jeannette, arrivée à sa porte, pénétra dans la chambre d’un air si candide, si décent, si réservé, que Mme de Champrosé ne le put trouver mauvais.

« Ah ! que dira Justine, pensa la marquise ; dès la seconde entrevue, l’ennemi est déjà dans la place et mon cœur bat la chamade. »

Un peu fatiguée de sa course et plus émue qu’elle n’osait se l’avouer, Mmede Champrosé se laissa tomber dans l’antique bergère, s’éventant de son mouchoir, quoi qu’il ne fît pas très chaud.

Prenant un petit tabouret, M. Jean vint s’établir aux pieds de Jeannette, ce qui n’était pas si gauche, se dit la marquise, pour quelqu’un d’Auxerre ; car cette position si respectueuse en apparence, et qui se peut prendre vis-à-vis des reines, a cet avantage de ne se prêter pas moins aux audaces qu’aux adorations.

C’est d’un grand stratégiste dans la guerre de l’amour que de s’y mettre tout d’abord, et les Polybes de la chose l’ont toujours conseillé. C’est donc un coup de maître que de débuter ainsi.

« Vous êtes bien logée, mademoiselle Jeannette, dit M. Jean, en promenant son regard autour de lui.

— Oui, fit négligemment Jeannette, il y a assez de place pour travailler et pour chanter.

— Et pour aimer !

— Oh ! pour cela, je n’en sais rien ; ma tante Ursule avait des principes. Avec sa mine rébarbative, elle recevait les galants de Turc à Maure. »

« Malheureusement, elle est morte l’année passée ! Pauvre tante ! » Et ici Jeannette éleva vers le plafond, qui représente le ciel dans les scènes d’intérieur, un œil aussi sec que possible.

« Que Dieu veuille avoir son âme, s’exclama d’un air de componction suffisante Jean, qui n’était nullement fâché du trépas de cette tante revêche, dragon qui gardait les pommes d’Hespérides, — et vous vivez seule, ici ?

— Je ne vois que ma cousine Justine ; vous savez, celle qui m’a conduite au bal ; une bien bonne fille. Je ne sors dans la semaine que pour reporter mon ouvrage, et le dimanche pour aller à la messe et à vêpres,

— Où diable la vertu va-t-elle se nicher ? pensa M. Jean, appliquant à la grisette le mot de Molière au mendiant.

— Ma mère et mon père sont morts lorsque j’étais toute jeune ; c’est ma tante qui m’a élevée, et maintenant que je n’ai plus que Justine, vous êtes la première personne étrangère qui ait mis le pied dans ce réduit. Ma cousine me grondera bien de vous avoir laissé entrer.

— Et, moi, je vous en remercie comme d’une précieuse faveur. On ne peut voir voler la fauvette sans désirer connaître son nid. Ce me sera une satisfaction bien douce, en pensant à vous, de pouvoir mettre derrière votre image le fond sur lequel elle se détache habituellement.

« Le jour, je vous verrai assise dans ce grand fauteuil, près de cette fenêtre, où un rayon de soleil viendra se dorer à vos cheveux, occupant au travail des doigts faits pour le sceptre ; la nuit, je me représenterai votre tête virginale faisant des songes enfantins sur le chaste oreiller de ce petit lit bleu et blanc, et je saurai le matin quelles sont les fleurs que vous respirez lorsque, pour faire honte à l’aurore, vous allez en vous levant ouvrir votre croisée.

— Oh ! monsieur Jean, vous parlez comme écrivent ceux qui font des chansons. Seriez-vous un auteur et méditeriez-vous une pièce pour la comédie ? dit Jeannette d’un air un peu alarmé.

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