Author: | LOUIS GARNERAY | ISBN: | 1230002775074 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | November 1, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | LOUIS GARNERAY |
ISBN: | 1230002775074 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | November 1, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Je suis né à Paris le 19 février 1783. Mon père, peintre de genre, dont le nom figure honorablement dans les biographies des contemporains, me destinait à suivre sa carrière ; mais un penchant irrésistible que je ressentais pour les aventures et les voyages, un enthousiasme pour la gloire, partagé, au reste, par la jeune génération de cette époque, qui me brûlait le sang et me présentait sans cesse, pendant mes journées et mes nuits, des pensées et des rêves de combats, s’opposèrent à la réalisation des désirs de mon père.
J’avais à peine treize ans et demi lorsque je lui déclarai ma résolution de m’embarquer en qualité de marin, et je mis une telle ténacité dans mes instances que je finis enfin par obtenir ou, pour être plus exact, par lui arracher son consentement. Je dois avouer que ma fermeté, dans cette circonstance, fut énergiquement soutenue et stimulée par les conseils et les encouragements que je recevais, presque chaque matin, par la poste, d’un de mes parents, M. Beaulieu-Leloup, capitaine de frégate, qui se trouvait alors à Rochefort.
Mon cousin Beaulieu-Leloup, marin de corps et d’âme, éprouvait un profond sentiment de commisération pour les habitants des villes. Le bonheur sur la terre ferme lui semblait un paradoxe insoutenable : il ne comprenait la vie que sur un pont de navire ; et il n’admettait les relâches dans un port ou à la côte que comme une de ces contrariétés et l’un de ces ennuis inhérents à l’existence humaine, que l’on doit subir avec résignation puisqu’ils sont inévitables.
Le jour fixé pour mon départ de la maison paternelle arrivé — et quoique bien des années me séparent de ce souvenir, je me le rappelle encore comme s’il ne datait que d’hier —, je me revêtis, afin de mieux m’affermir encore dans ma résolution, d’un costume complet de matelot que l’on m’avait donné au ministère de la marine.
— Mon cher Louis, me dit mon père, qui, afin de rester plus longtemps avec moi, avait pris un fiacre et m’accompagnait en attendant que la voiture de Chartres nous rejoignît, n’oublie point, si ta nouvelle carrière ne répond pas à tes rêves et à tes espérances, que tu trouveras toujours ta place vacante et gardée dans mon atelier. Je te vois t’éloigner avec d’autant plus de douleur, que tes rapides progrès dans le dessin dépassaient mon attente. Après tout, qui sait ? Peut-être bien ta brusque entrée dans le monde, les privations que tu auras à subir, tes longs voyages, contribueront-ils à la réussite de ton avenir. Avoir beaucoup vu et beaucoup souffert sont deux choses excellentes pour les hommes d’énergie et d’intelligence, elles développent à la fois en eux l’esprit et le cœur. Et puis, faut-il te l’avouer, j’espère qu’une fois ton imagination refroidie par le rude contact de la réalité, dans quelques mois d’ici, peut-être, tu reviendras, guéri de tes folles idées, me redemander tes crayons.
Hélas ! mon pauvre père ne se doutait guère alors que mon premier atelier de peinture serait un ponton anglais, et que, marin aventureux et vagabond, je devais, avant de prendre le pinceau qu’il désirait voir dans mes mains, sillonner pendant vingt ans toutes les mers du globe.
La patache de Chartres nous ayant atteints au bout de l’allée des Veuves, j’embrassai mon père une dernière fois ; puis, refoulant, par un suprême effort de volonté, les larmes qui montaient à mes paupières, je m’élançai en deux bonds sur le siège du cocher.
À peine à Rochefort, mon premier soin fut de me rendre chez mon cousin : il commandait alors la frégate la Forte. Je le trouvai en compagnie de plusieurs capitaines et officiers de marine, au moment de se mettre à table pour dîner.
— Bravo, mon cher Louis, s’écria-t-il en m’embrassant, voilà ce qui s’appelle tenir sa parole : je ne puis trop te louer de ta résolution. Assieds-toi auprès de moi, et grise-toi de ton mieux. C’est le seul moyen passable que je connaisse pour s’étourdir un peu sur l’ennui que cause à tout homme intelligent un séjour à terre.
Cet accueil du capitaine Beaulieu produisit un assez vif étonnement parmi ses convives, car avec l’affreux vêtement taillé en entier dans une grossière toile noire que j’avais reçu au ministère de la marine je faisais une fort triste figure. Mon cousin me présenta alors officiellement à ses amis comme étant son parent, un jeune homme qui avait reçu de l’éducation et donnait des espérances, et ces messieurs devinrent aussitôt pour moi pleins de bienveillance.
Parmi les convives je vis un capitaine de vaisseau dont la figure franche et martiale attira tout d’abord mon attention et éveilla toute ma sympathie. C’était l’Hermite. J’étais bien loin de songer, en l’apercevant ainsi pour la première fois, que sous peu, presque pour mon début, je me retrouverais avec lui dans des circonstances critiques et terribles, et que son amitié pour moi durerait jusqu’au dernier jour de sa vie.
Je suis né à Paris le 19 février 1783. Mon père, peintre de genre, dont le nom figure honorablement dans les biographies des contemporains, me destinait à suivre sa carrière ; mais un penchant irrésistible que je ressentais pour les aventures et les voyages, un enthousiasme pour la gloire, partagé, au reste, par la jeune génération de cette époque, qui me brûlait le sang et me présentait sans cesse, pendant mes journées et mes nuits, des pensées et des rêves de combats, s’opposèrent à la réalisation des désirs de mon père.
J’avais à peine treize ans et demi lorsque je lui déclarai ma résolution de m’embarquer en qualité de marin, et je mis une telle ténacité dans mes instances que je finis enfin par obtenir ou, pour être plus exact, par lui arracher son consentement. Je dois avouer que ma fermeté, dans cette circonstance, fut énergiquement soutenue et stimulée par les conseils et les encouragements que je recevais, presque chaque matin, par la poste, d’un de mes parents, M. Beaulieu-Leloup, capitaine de frégate, qui se trouvait alors à Rochefort.
Mon cousin Beaulieu-Leloup, marin de corps et d’âme, éprouvait un profond sentiment de commisération pour les habitants des villes. Le bonheur sur la terre ferme lui semblait un paradoxe insoutenable : il ne comprenait la vie que sur un pont de navire ; et il n’admettait les relâches dans un port ou à la côte que comme une de ces contrariétés et l’un de ces ennuis inhérents à l’existence humaine, que l’on doit subir avec résignation puisqu’ils sont inévitables.
Le jour fixé pour mon départ de la maison paternelle arrivé — et quoique bien des années me séparent de ce souvenir, je me le rappelle encore comme s’il ne datait que d’hier —, je me revêtis, afin de mieux m’affermir encore dans ma résolution, d’un costume complet de matelot que l’on m’avait donné au ministère de la marine.
— Mon cher Louis, me dit mon père, qui, afin de rester plus longtemps avec moi, avait pris un fiacre et m’accompagnait en attendant que la voiture de Chartres nous rejoignît, n’oublie point, si ta nouvelle carrière ne répond pas à tes rêves et à tes espérances, que tu trouveras toujours ta place vacante et gardée dans mon atelier. Je te vois t’éloigner avec d’autant plus de douleur, que tes rapides progrès dans le dessin dépassaient mon attente. Après tout, qui sait ? Peut-être bien ta brusque entrée dans le monde, les privations que tu auras à subir, tes longs voyages, contribueront-ils à la réussite de ton avenir. Avoir beaucoup vu et beaucoup souffert sont deux choses excellentes pour les hommes d’énergie et d’intelligence, elles développent à la fois en eux l’esprit et le cœur. Et puis, faut-il te l’avouer, j’espère qu’une fois ton imagination refroidie par le rude contact de la réalité, dans quelques mois d’ici, peut-être, tu reviendras, guéri de tes folles idées, me redemander tes crayons.
Hélas ! mon pauvre père ne se doutait guère alors que mon premier atelier de peinture serait un ponton anglais, et que, marin aventureux et vagabond, je devais, avant de prendre le pinceau qu’il désirait voir dans mes mains, sillonner pendant vingt ans toutes les mers du globe.
La patache de Chartres nous ayant atteints au bout de l’allée des Veuves, j’embrassai mon père une dernière fois ; puis, refoulant, par un suprême effort de volonté, les larmes qui montaient à mes paupières, je m’élançai en deux bonds sur le siège du cocher.
À peine à Rochefort, mon premier soin fut de me rendre chez mon cousin : il commandait alors la frégate la Forte. Je le trouvai en compagnie de plusieurs capitaines et officiers de marine, au moment de se mettre à table pour dîner.
— Bravo, mon cher Louis, s’écria-t-il en m’embrassant, voilà ce qui s’appelle tenir sa parole : je ne puis trop te louer de ta résolution. Assieds-toi auprès de moi, et grise-toi de ton mieux. C’est le seul moyen passable que je connaisse pour s’étourdir un peu sur l’ennui que cause à tout homme intelligent un séjour à terre.
Cet accueil du capitaine Beaulieu produisit un assez vif étonnement parmi ses convives, car avec l’affreux vêtement taillé en entier dans une grossière toile noire que j’avais reçu au ministère de la marine je faisais une fort triste figure. Mon cousin me présenta alors officiellement à ses amis comme étant son parent, un jeune homme qui avait reçu de l’éducation et donnait des espérances, et ces messieurs devinrent aussitôt pour moi pleins de bienveillance.
Parmi les convives je vis un capitaine de vaisseau dont la figure franche et martiale attira tout d’abord mon attention et éveilla toute ma sympathie. C’était l’Hermite. J’étais bien loin de songer, en l’apercevant ainsi pour la première fois, que sous peu, presque pour mon début, je me retrouverais avec lui dans des circonstances critiques et terribles, et que son amitié pour moi durerait jusqu’au dernier jour de sa vie.