Notre cœur

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Notre cœur by GUY DE MAUPASSANT, GILBERT TEROL
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Author: GUY DE MAUPASSANT ISBN: 1230002747675
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 27, 2018
Imprint: Language: French
Author: GUY DE MAUPASSANT
ISBN: 1230002747675
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 27, 2018
Imprint:
Language: French

Un jour Massival, le musicien, le célèbre auteur de Rebecca, celui que, depuis quinze ans déjà, on appelait « le jeune et illustre maître », dit à André Mariolle, son ami :

— Pourquoi ne t’es-tu jamais fait présenter à Mme Michèle de Burne ? Je t’assure que c’est une des femmes les plus intéressantes du nouveau Paris.

— Parce que je ne me sens pas du tout mis au monde pour son milieu.

— Mon cher, tu as tort. C’est là un salon original, bien neuf, très vivant et très artiste. On y fait d’excellente musique, on y cause aussi bien que dans les meilleures potinières du dernier siècle. Tu y serais fort apprécié, d’abord parce que tu joues du violon en perfection, ensuite parce qu’on a dit beaucoup de bien de toi dans la maison, enfin parce que tu passes pour n’être point banal et point prodigue de tes visites.

Flatté mais résistant encore, supposant d’ailleurs que cette démarche pressante n’était point ignorée de la jeune femme, Mariolle fit un « Peuh ! je n’y tiens guère » où le dédain voulu se mêlait au consentement acquis déjà.

Massival reprit :

— Veux-tu que je te présente un de ces jours ? Tu la connais d’ailleurs par nous tous qui sommes de son intimité, car nous parlons d’elle assez souvent. C’est une fort jolie femme de vingt-huit ans, pleine d’intelligence, qui ne veut pas se remarier, car elle a été fort malheureuse une première fois. Elle a fait de son logis un rendez-vous d’hommes agréables. On n’y trouve pas trop de messieurs de cercle ou du monde. Il y en a juste ce qu’il faut pour l’effet. Elle sera enchantée que je t’amène à elle.

Vaincu, Mariolle répondit :

— Soit ! un de ces jours.

Dès le début de la semaine suivante, le musicien entrait chez lui, et demandait :

— Es-tu libre demain ?

— Mais… oui.

— Bien. Je t’emmène dîner chez Mme de Burne. Elle m’a chargé de t’inviter. Voici un mot d’elle, d’ailleurs.

Après avoir réfléchi quelques secondes encore, pour la forme, Mariolle répondit :

— C’est entendu !

Agé d’environ trente-sept ans, André Mariolle, célibataire et sans profession, assez riche pour vivre à sa guise, voyager et s’offrir même une jolie collection de tableaux modernes et de bibelots anciens, passait pour un garçon d’esprit, un peu fantasque, un peu sauvage, un peu capricieux, un peu dédaigneux, qui posait au solitaire plutôt par orgueil que par timidité. Très bien doué, très fin, mais indolent, apte à tout comprendre, et peut-être à faire bien beaucoup de choses, il s’était contenté de jouir de l’existence en spectateur, ou plutôt en amateur. Pauvre, il fût devenu sans aucun doute un homme remarquable ou célèbre ; né bien renté, il s’adressait l’éternel reproche de n’avoir pas su être quelqu’un. Il avait fait, il est vrai, des tentatives diverses, mais trop molles, vers les arts : une vers la littérature, en publiant des récits de voyage agréables, mouvementés et de style soigné ; une vers la musique, en pratiquant le violon, où il avait acquis, même parmi les exécutants de profession, un renom respecté d’amateur ; et une enfin vers la sculpture, cet art où l’adresse originale, où le don d’ébaucher des figures hardies et trompeuses remplacent pour les yeux ignorants le savoir et l’étude. Sa statuette en terre « Masseur tunisien » avait même obtenu quelque succès au Salon de l’année précédente.

Remarquable cavalier, c’était aussi, disait-on, un excellent escrimeur, bien qu’il ne tirât jamais en public, obéissant en cela peut-être à la même inquiétude qui le faisait se dérober aux milieux mondains, où des rivalités sérieuses étaient à craindre.

Mais ses amis l’appréciaient et le vantaient avec ensemble, peut-être parce qu’il leur portait peu d’ombrage. On le disait en tous cas sûr, dévoué, agréable de rapports et très sympathique de sa personne.

De taille plutôt grande, portant la barbe noire courte sur les joues et finement allongée en pointe sur le menton, des cheveux un peu grisonnants mais joliment crépus, il regardait bien en face, avec des yeux bruns, clairs, vifs, méfiants et un peu durs.

Parmi ses intimes il avait surtout des artistes, le romancier Gaston de Lamarthe, le musicien Massival, les peintres Jobin, Rivollet, de Maudol, qui semblaient priser beaucoup sa raison, son amitié, son esprit et même son jugement, bien qu’au fond, avec la vanité inséparable du succès acquis, ils le tinssent pour un très aimable et très intelligent raté.

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Un jour Massival, le musicien, le célèbre auteur de Rebecca, celui que, depuis quinze ans déjà, on appelait « le jeune et illustre maître », dit à André Mariolle, son ami :

— Pourquoi ne t’es-tu jamais fait présenter à Mme Michèle de Burne ? Je t’assure que c’est une des femmes les plus intéressantes du nouveau Paris.

— Parce que je ne me sens pas du tout mis au monde pour son milieu.

— Mon cher, tu as tort. C’est là un salon original, bien neuf, très vivant et très artiste. On y fait d’excellente musique, on y cause aussi bien que dans les meilleures potinières du dernier siècle. Tu y serais fort apprécié, d’abord parce que tu joues du violon en perfection, ensuite parce qu’on a dit beaucoup de bien de toi dans la maison, enfin parce que tu passes pour n’être point banal et point prodigue de tes visites.

Flatté mais résistant encore, supposant d’ailleurs que cette démarche pressante n’était point ignorée de la jeune femme, Mariolle fit un « Peuh ! je n’y tiens guère » où le dédain voulu se mêlait au consentement acquis déjà.

Massival reprit :

— Veux-tu que je te présente un de ces jours ? Tu la connais d’ailleurs par nous tous qui sommes de son intimité, car nous parlons d’elle assez souvent. C’est une fort jolie femme de vingt-huit ans, pleine d’intelligence, qui ne veut pas se remarier, car elle a été fort malheureuse une première fois. Elle a fait de son logis un rendez-vous d’hommes agréables. On n’y trouve pas trop de messieurs de cercle ou du monde. Il y en a juste ce qu’il faut pour l’effet. Elle sera enchantée que je t’amène à elle.

Vaincu, Mariolle répondit :

— Soit ! un de ces jours.

Dès le début de la semaine suivante, le musicien entrait chez lui, et demandait :

— Es-tu libre demain ?

— Mais… oui.

— Bien. Je t’emmène dîner chez Mme de Burne. Elle m’a chargé de t’inviter. Voici un mot d’elle, d’ailleurs.

Après avoir réfléchi quelques secondes encore, pour la forme, Mariolle répondit :

— C’est entendu !

Agé d’environ trente-sept ans, André Mariolle, célibataire et sans profession, assez riche pour vivre à sa guise, voyager et s’offrir même une jolie collection de tableaux modernes et de bibelots anciens, passait pour un garçon d’esprit, un peu fantasque, un peu sauvage, un peu capricieux, un peu dédaigneux, qui posait au solitaire plutôt par orgueil que par timidité. Très bien doué, très fin, mais indolent, apte à tout comprendre, et peut-être à faire bien beaucoup de choses, il s’était contenté de jouir de l’existence en spectateur, ou plutôt en amateur. Pauvre, il fût devenu sans aucun doute un homme remarquable ou célèbre ; né bien renté, il s’adressait l’éternel reproche de n’avoir pas su être quelqu’un. Il avait fait, il est vrai, des tentatives diverses, mais trop molles, vers les arts : une vers la littérature, en publiant des récits de voyage agréables, mouvementés et de style soigné ; une vers la musique, en pratiquant le violon, où il avait acquis, même parmi les exécutants de profession, un renom respecté d’amateur ; et une enfin vers la sculpture, cet art où l’adresse originale, où le don d’ébaucher des figures hardies et trompeuses remplacent pour les yeux ignorants le savoir et l’étude. Sa statuette en terre « Masseur tunisien » avait même obtenu quelque succès au Salon de l’année précédente.

Remarquable cavalier, c’était aussi, disait-on, un excellent escrimeur, bien qu’il ne tirât jamais en public, obéissant en cela peut-être à la même inquiétude qui le faisait se dérober aux milieux mondains, où des rivalités sérieuses étaient à craindre.

Mais ses amis l’appréciaient et le vantaient avec ensemble, peut-être parce qu’il leur portait peu d’ombrage. On le disait en tous cas sûr, dévoué, agréable de rapports et très sympathique de sa personne.

De taille plutôt grande, portant la barbe noire courte sur les joues et finement allongée en pointe sur le menton, des cheveux un peu grisonnants mais joliment crépus, il regardait bien en face, avec des yeux bruns, clairs, vifs, méfiants et un peu durs.

Parmi ses intimes il avait surtout des artistes, le romancier Gaston de Lamarthe, le musicien Massival, les peintres Jobin, Rivollet, de Maudol, qui semblaient priser beaucoup sa raison, son amitié, son esprit et même son jugement, bien qu’au fond, avec la vanité inséparable du succès acquis, ils le tinssent pour un très aimable et très intelligent raté.

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