Author: | Jacques Boucher de Perthes | ISBN: | 1230001279795 |
Publisher: | CP | Publication: | July 19, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Jacques Boucher de Perthes |
ISBN: | 1230001279795 |
Publisher: | CP |
Publication: | July 19, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Je vous ai promis, ma chère sœur, le récit de mon voyage. Il ne vous offrira rien de nouveau : je n’ai à vous montrer que des pays que tout le monde a vus et que je vous ai dépeints dix fois, et en vérité je ne sais plus qu’en dire. N’importe ! disons toujours.
Le 11 août 1859, je pars d’Abbeville par le train de huit heures. Dans le wagon où je me trouve on causait mécanique, et en termes qui m’annoncent que les causeurs sont dans leur sujet. Ils n’en étaient pas plus d’accord, et la discussion devint si vive que je crus un moment qu’ils allaient en venir aux mains. Le plus ou moins de mérite de telle vis, de tel écrou, de tel ressort, de telle qualité de rail et de fer leur remuait si bien la cervelle qu’elle semblait avoir déraillé : ils déraisonnaient à qui mieux mieux. Dans un moment lucide, ils voulurent me prendre pour arbitre. Je les remerciai de l’honneur qu’ils me faisaient, et me gardai bien d’accepter : donner raison à l’un, c’était risquer de me faire étrangler par les autres. Je leur répondis donc que j’étais trop peu au fait de ces questions pour me prononcer, mais que, quelque importantes qu’elles pussent être, je n’y voyais pas un motif pour se brouiller ; qu’au contraire, il me semblait préférable de les étudier ensemble et de les résoudre s’il se pouvait. Ils comprirent, et si la dispute continua, on y mit moins d’aigreur : l’on ne cria plus si fort et l’on s’entendit mieux. Les bonnes raisons ne gagnent rien à être hurlées, et les mauvaises n’en deviennent pas meilleures.
Je vous ai promis, ma chère sœur, le récit de mon voyage. Il ne vous offrira rien de nouveau : je n’ai à vous montrer que des pays que tout le monde a vus et que je vous ai dépeints dix fois, et en vérité je ne sais plus qu’en dire. N’importe ! disons toujours.
Le 11 août 1859, je pars d’Abbeville par le train de huit heures. Dans le wagon où je me trouve on causait mécanique, et en termes qui m’annoncent que les causeurs sont dans leur sujet. Ils n’en étaient pas plus d’accord, et la discussion devint si vive que je crus un moment qu’ils allaient en venir aux mains. Le plus ou moins de mérite de telle vis, de tel écrou, de tel ressort, de telle qualité de rail et de fer leur remuait si bien la cervelle qu’elle semblait avoir déraillé : ils déraisonnaient à qui mieux mieux. Dans un moment lucide, ils voulurent me prendre pour arbitre. Je les remerciai de l’honneur qu’ils me faisaient, et me gardai bien d’accepter : donner raison à l’un, c’était risquer de me faire étrangler par les autres. Je leur répondis donc que j’étais trop peu au fait de ces questions pour me prononcer, mais que, quelque importantes qu’elles pussent être, je n’y voyais pas un motif pour se brouiller ; qu’au contraire, il me semblait préférable de les étudier ensemble et de les résoudre s’il se pouvait. Ils comprirent, et si la dispute continua, on y mit moins d’aigreur : l’on ne cria plus si fort et l’on s’entendit mieux. Les bonnes raisons ne gagnent rien à être hurlées, et les mauvaises n’en deviennent pas meilleures.