Author: | George Sand | ISBN: | 1230001323801 |
Publisher: | Eric HELAN | Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | George Sand |
ISBN: | 1230001323801 |
Publisher: | Eric HELAN |
Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Enfin, après s’être longtemps fait prier, il parla ainsi :
C’était en 1730, j’avais alors une vingtaine d’années, j’étais assez joli garçon, quoiqu’il n’y paraisse guère aujourd’hui. Je n’avais pas ce crâne dégarni, ce gros nez, ces petits yeux éraillés, ces joues flétries ; j’avais le teint frais, l’œil vif, le nez vierge de tabac, la taille élégante dans sa petitesse, le jarret tendu, la jambe admirable comme cela peut se voir encore. En somme, j’étais un joli petit cavalier, point gauche, nullement timide, et déjà stylé à prendre toutes les manières, soit bonnes, soit mauvaises, des gens avec qui je me trouvais ; faisant des madrigaux avec les belles dames, jurant avec les soudards, philosophant avec les beaux esprits, raisonnant avec les ecclésiastiques, et déraisonnant avec les marquis. Enfin je plaisais et je réussissais partout, et ma profession de comédien homme de lettres était un passe-port qui me faisait également bien accueillir dans la bonne comme dans la mauvaise compagnie. Je me rendais de Lyon à Dijon par le coche, pour rejoindre la troupe de campagne dont je faisais partie… C’était vers le milieu de l’automne, le temps était brumeux et déjà assez frais. Je me trouvai faire une dizaine de lieues avec un certain baron de Guernay qu’une affaire avait appelé dans les environs, et qui retournait coucher à son château situé dans une petite vallée de Bourgogne, à cent pas de la grand’route. Il était grand causeur, grand questionneur, grand amateur de vers et de romans. Je le charmai par ma conversation, et il ne sut pas plus tôt que j’étais auteur et acteur, qu’il ne voulut plus se séparer de moi. C’était un de ces dilettanti qui ont toujours en poche quelque petite drôlerie dramatique et qui espèrent vous la faire trouver excellente et vous en faire cadeau, pour avoir le plaisir de la voir représentée au prochain chef-lieu de bailliage sans bourse délier. Je ne m’y laissai point prendre, mais j’acceptai l’offre qu’il me fit de passer la nuit dans son manoir. Le coche s’arrêtait fort peu plus loin, et la tenue de mon baron m’annonçait un meilleur gîte et un meilleur souper que l’hôtellerie où j’aurais été forcé de passer douze ou quinze heures en attendant de pouvoir repartir...
Enfin, après s’être longtemps fait prier, il parla ainsi :
C’était en 1730, j’avais alors une vingtaine d’années, j’étais assez joli garçon, quoiqu’il n’y paraisse guère aujourd’hui. Je n’avais pas ce crâne dégarni, ce gros nez, ces petits yeux éraillés, ces joues flétries ; j’avais le teint frais, l’œil vif, le nez vierge de tabac, la taille élégante dans sa petitesse, le jarret tendu, la jambe admirable comme cela peut se voir encore. En somme, j’étais un joli petit cavalier, point gauche, nullement timide, et déjà stylé à prendre toutes les manières, soit bonnes, soit mauvaises, des gens avec qui je me trouvais ; faisant des madrigaux avec les belles dames, jurant avec les soudards, philosophant avec les beaux esprits, raisonnant avec les ecclésiastiques, et déraisonnant avec les marquis. Enfin je plaisais et je réussissais partout, et ma profession de comédien homme de lettres était un passe-port qui me faisait également bien accueillir dans la bonne comme dans la mauvaise compagnie. Je me rendais de Lyon à Dijon par le coche, pour rejoindre la troupe de campagne dont je faisais partie… C’était vers le milieu de l’automne, le temps était brumeux et déjà assez frais. Je me trouvai faire une dizaine de lieues avec un certain baron de Guernay qu’une affaire avait appelé dans les environs, et qui retournait coucher à son château situé dans une petite vallée de Bourgogne, à cent pas de la grand’route. Il était grand causeur, grand questionneur, grand amateur de vers et de romans. Je le charmai par ma conversation, et il ne sut pas plus tôt que j’étais auteur et acteur, qu’il ne voulut plus se séparer de moi. C’était un de ces dilettanti qui ont toujours en poche quelque petite drôlerie dramatique et qui espèrent vous la faire trouver excellente et vous en faire cadeau, pour avoir le plaisir de la voir représentée au prochain chef-lieu de bailliage sans bourse délier. Je ne m’y laissai point prendre, mais j’acceptai l’offre qu’il me fit de passer la nuit dans son manoir. Le coche s’arrêtait fort peu plus loin, et la tenue de mon baron m’annonçait un meilleur gîte et un meilleur souper que l’hôtellerie où j’aurais été forcé de passer douze ou quinze heures en attendant de pouvoir repartir...