Quatre jours à l’île de Sein

Nonfiction, Travel, Europe, France
Cover of the book Quatre jours à l’île de Sein by Charles Le Goffic, GILBERT TEROL
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Author: Charles Le Goffic ISBN: 1230000274562
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 16, 2014
Imprint: Language: French
Author: Charles Le Goffic
ISBN: 1230000274562
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 16, 2014
Imprint:
Language: French

Qu’il mérite bien son lugubre nom celtique de kerzu – « le très sombre » – ce mois de décembre qui n’a été sur la côte bretonne qu’une succession de sinistres : soixante bateaux perdus corps et biens au Guilvinec ; Penmarch coupé de la terre ferme ; la jetée de la Croix, à Concarneau, rasée sur une longueur de trente mètres ; l’île Tudy à moitié engloutie sous les lames ; Morgat, Saint-Nic-Pentrez, le Conquet, violemment éprouvés ; la mer, de Saint-Malo à Nantes, noire d’épaves !… Et tout cela n’est qu’un jeu, dit-on, au regard de ce qui s’est passé à Sein. L’après-midi du 4, un raz de marée aurait couvert l’île, noyé les terres, éteint le phare, démoli vingt-deux maisons. L’île, menacée de mourir de faim, est restée seize jours sans communication avec le continent. Les journaux sont pleins de détails sur ce sinistre qui excède en horreur tous les autres…

Audierne est le point du continent d’où l’on peut le plus aisément gagner Sein. Deux fois par semaine, – sur le papier, – un bateau-poste fait le service d’Audierne à l’île et de l’île à Audierne. Renseignements pris, la poste appareille mardi prochain à la première heure. Je n’ai que le temps de boucler ma valise : il faut un jour plein pour se rendre de Paris à Audierne. Parti le dimanche dans la nuit, j’arrive à 7 heures du soir le lendemain à Douarnenez. Là changement de ligne : on prend le « tortillard » qui souffle, fume, ahane, jusqu’à Pont-Croix. Puis la voie longe la rive droite du Goayen en direction d’Audierne. C’est jusant ; la nuit est sans lune, mais étoilée, et la rivière élargie luit d’une clarté mystérieuse entre ses berges d’ombre. Nous doublons des barques qui descendent au fil de l’eau. Toutes noires sur l’argent du fleuve, silencieuses et lentes, elles ont l’air de ces barques funèbres dont parle Procope et qui, sur ces mêmes rivages, il y a treize cents ans, faisaient de nuit la traversée du continent aux îles pour y déposer leur cargaison d’âmes. Le train siffle au disque ; sa grosse sirène huhule plaintivement dans la vallée ; des lumières tremblotent : Audierne. Tout le monde descend. Un ami que j’ai prévenu, Yves Gauthier, m’attend à la gare et c’est pour m’annoncer que le bateau-poste, qui devait quitter l’île ce matin, a été retenu par le mauvais temps. On pense qu’il arrivera demain au petit jour et repartira dans la soirée. Nous suivons les quais, déserts à cette heure. Audierne n’a pas encore de réverbères ; mais la nuit est claire ; les barques de pêche dorment dans le port ; à l’extrémité de la jetée

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Qu’il mérite bien son lugubre nom celtique de kerzu – « le très sombre » – ce mois de décembre qui n’a été sur la côte bretonne qu’une succession de sinistres : soixante bateaux perdus corps et biens au Guilvinec ; Penmarch coupé de la terre ferme ; la jetée de la Croix, à Concarneau, rasée sur une longueur de trente mètres ; l’île Tudy à moitié engloutie sous les lames ; Morgat, Saint-Nic-Pentrez, le Conquet, violemment éprouvés ; la mer, de Saint-Malo à Nantes, noire d’épaves !… Et tout cela n’est qu’un jeu, dit-on, au regard de ce qui s’est passé à Sein. L’après-midi du 4, un raz de marée aurait couvert l’île, noyé les terres, éteint le phare, démoli vingt-deux maisons. L’île, menacée de mourir de faim, est restée seize jours sans communication avec le continent. Les journaux sont pleins de détails sur ce sinistre qui excède en horreur tous les autres…

Audierne est le point du continent d’où l’on peut le plus aisément gagner Sein. Deux fois par semaine, – sur le papier, – un bateau-poste fait le service d’Audierne à l’île et de l’île à Audierne. Renseignements pris, la poste appareille mardi prochain à la première heure. Je n’ai que le temps de boucler ma valise : il faut un jour plein pour se rendre de Paris à Audierne. Parti le dimanche dans la nuit, j’arrive à 7 heures du soir le lendemain à Douarnenez. Là changement de ligne : on prend le « tortillard » qui souffle, fume, ahane, jusqu’à Pont-Croix. Puis la voie longe la rive droite du Goayen en direction d’Audierne. C’est jusant ; la nuit est sans lune, mais étoilée, et la rivière élargie luit d’une clarté mystérieuse entre ses berges d’ombre. Nous doublons des barques qui descendent au fil de l’eau. Toutes noires sur l’argent du fleuve, silencieuses et lentes, elles ont l’air de ces barques funèbres dont parle Procope et qui, sur ces mêmes rivages, il y a treize cents ans, faisaient de nuit la traversée du continent aux îles pour y déposer leur cargaison d’âmes. Le train siffle au disque ; sa grosse sirène huhule plaintivement dans la vallée ; des lumières tremblotent : Audierne. Tout le monde descend. Un ami que j’ai prévenu, Yves Gauthier, m’attend à la gare et c’est pour m’annoncer que le bateau-poste, qui devait quitter l’île ce matin, a été retenu par le mauvais temps. On pense qu’il arrivera demain au petit jour et repartira dans la soirée. Nous suivons les quais, déserts à cette heure. Audierne n’a pas encore de réverbères ; mais la nuit est claire ; les barques de pêche dorment dans le port ; à l’extrémité de la jetée

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